Max Weber : Confucianisme et taoïsme III. Le pouvoir en lutte contre la concentration des richesses

L’empire, le pouvoir central chinois, tenta au fil des siècles, essentiellement par l’impôt, d’empêcher la concentration des richesses et l’apparition avec elle de seigneurs (autour desquels se regroupaient spontanément pour obtenir une protection, les familles surendettées) qui contesteraient son autorité. Le relatif succès de l’empire, malgré de nombreuses hésitations au cours de l’histoire entre autoritarisme et laxisme, provoqua cependant au 18ème siècle, une explosion de la population rurale.

Confucianisme et taoïsme (1915 ; Gallimard 2000) par Max Weber
Résumé du livre par Madeleine Théodore

III. Les bases sociologiques : Administration et régime agraire.

Ce qui est le plus remarquable dans la Chine, contrastant avec l’Occident, est le phénomène suivant : l’époque qui commence avec le 18ème siècle ne se caractérise pas par une diminution (relative) de la population rurale et paysanne mais par un accroissement énorme de celle-ci.

Le gouvernement cherchait à maintenir l’obligation fiscale directe des paysans et, avant tout, à empêcher l’émergence d’une classe de seigneurs, classe politiquement dangereuse, auprès desquels ils s’étaient regroupés, par désir de protection ou surendettement.

L’obligation de cultiver le sol, imposée pour des raisons fiscales, passait toujours pour l’élément premier, et le « droit » sur la terre qui y correspondait pour un élément dérivé. Cependant il ne semble pas que cela ait donné naissance à une exploitation en commun par le village. Pour les ordonnances impériales, en effet, ce n’est pas le village, mais la famille et ses membres qui étaient considérés comme unité fiscale. La cohésion de la parentèle subsista inaltérée durant des millénaires ainsi que la position éminente du chef de parentèle. L’ancienne seigneurie foncière pourrait bien avoir ici ses racines.

Après l’instauration de la propriété privée, c’est-à-dire après que les familles individuelles se furent approprié formellement le sol (ou son usufruit), il arriva que le chef de parentèle fût remplacé dans sa fonction par les propriétaires fonciers les plus riches. L’« ancien » s’est transformé en un seigneur foncier, et les membres de sa parentèle appauvris sont devenus ses dépendants.

Les changements décisifs du régime agraire procédaient apparemment toujours du gouvernement, et ils étaient liés à la réglementation des opérations militaires et des redevances. Afin de maintenir et d’accroître le nombre de paysans susceptibles de fournir des prestations, donc pour empêcher l’accumulation de la propriété et la formation de terres en friche ou cultivées de manière extensive, on essaya toujours de fixer des maxima de propriété, de lier le droit à la propriété à la culture effective du sol, d’ouvrir des terres à la colonisation, de susciter des redistributions de terre sur la base d’un allotissement de la propriété foncière en lots moyens attribués à chaque force de travail paysanne.

Le fisc favorisa, voire imposa de toutes ses forces la subdivision des familles, afin d’élever autant que possible le nombre des unités soumises à ces obligations. Il existait également le système du « puits » : un champ découpé en neuf parties, en divisant en trois chaque partie d’un carré, et dont la partie centrale devait être cultivée au bénéfice du fisc (ou du seigneur foncier) par les huit propriétaires qui l’entouraient.

L’égalisation de la propriété échoua à cause du grand pouvoir des parentèles et des fonctionnaires. L’administration se contenta d’intervenir dans la formation des rentes fermières afin de protéger les paysans. Il fut interdit d’exiger des corvées pour usage personnel. Un maximum de propriété foncière fut établi pour les fonctionnaires.

Mais la création de l’Empire unifié alla de pair avec une extension gigantesque de corvées exigées de la population civile pour des travaux de construction (un million d’âmes à la fois pour les travaux fluviaux). Le noyau de l’armée était au 11ème siècle constitué par des mercenaires dont la fidélité était en permanence douteuse, et suspendue à un paiement régulier de la solde. Wang Ngan-che (1049) tenta de créer les moyens permettant de constituer une armée suffisante et efficace. Ses adversaires contestaient ses mesures : l’armement du peuple, dangereux pour l’autorité des fonctionnaires et le risque de révolte, l’élimination du commerce qui compromettait les capacités fiscales et surtout l’accaparement du grain pratiqué par l’Empereur. Grâce à lui cependant, si son entreprise militaire échoua, le système d’auto-administration chinois conserva sa forme.

Seule la politique du gouvernement qui visait la protection des paysans trouva l’appui de la population, parce qu’elle était dirigée contre l’accumulation capitaliste, c’est-à-dire la transformation en fortune foncière de possessions accumulées grâce aux offices publics, au commerce et à l’affermage des impôts.

L’appropriation du sol eut un caractère extrêmement précaire durant de longs siècles, un millénaire et demi, le droit de la propriété foncière fut d’une grande irrationalité et, du fait de la politique fiscale, oscillait entre le laisser-faire et l’arbitraire total. Tous les phénomènes propres au régime agraire vont dans le même sens : la lutte entre l’attachement ancien au sol de la parentèle, d’un côté la puissance monétaire des acheteurs de terres, de l’autre les interventions tempérées, mais essentiellement motivées par des intérêts fiscaux, du pouvoir politique patrimonial. En finale, la bureaucratisation patrimoniale eut pour corrélation une tendance au nivellement social. Moins d’un hectare était tenu pour suffisant pour une famille de cinq personnes, quand il ne s’agissait pas d’une culture de jardins.

Seule l’époque du début du 20ème siècle, sous l’influence européenne, a introduit des rapports de dépendance capitalistes de caractère occidental, sous leurs formes typiques. Pourquoi ?

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