Le mot grand absent du débat politique, par écodouble

Billet invité.

Dans tous les pays, les campagnes électorales – ces mascarades qui nous font croire que nous vivons en démocratie (1) – se suivent et se ressemblent par le fait que la médiocrité s’affirme, les années passant, en pleine croissance chez les peuples, les candidats, les candidates et les médias.

Il est d’ailleurs frappant de constater que le néolibéralisme prospère d’autant plus que cette médiocrité s’étend et s’affiche. De là à penser que ce dernier ne peut se développer que si la médiocrité est imposée en tant que règle principale, il n’y a qu’un pas ; un pas que beaucoup ont franchi il y a belle lurette. Et il suffit de constater les ravages que la société de consommation et la publicité associée provoquent sur les cerveaux, puis de remarquer que, depuis les années 80 (2), les systèmes éducatifs produisent presque exclusivement des consommatrices et consommateurs « acultivés », alors qu’ils ne devraient former que des citoyen(ne)s, pour comprendre que les choses ne vont pas aller en s’améliorant. Le néolibéralisme voulant coûte que coûte vivre et prospérer, fort de la toute-puissance que lui procure l’argent qu’il concentre de plus en plus, il met tout en œuvre avec succès pour faire de nous de bons consommateurs boulimiques et techno-scientistes tout autant que de bien piètres citoyens ignorants des Lois immuables les plus fondamentales.

Maintenant englués dans notre crasse médiocrité – Peuple et zélites s’alimentant mutuellement en la matière – nous sommes devenus incapables d’analyser complètement la réalité de notre situation économique.

En effet, si le constat des crises sociale, environnementale, financière, climatique, est fait (plus ou moins bien ; faut préciser quand même !) par tous les candidats et tous les électeurs, les avis divergent, voire s’opposent, dès qu’il s’agit d’envisager des solutions. Certains et certaines veulent continuer dans la direction qui nous a conduits là où nous en sommes et d’autres veulent prendre le contre-pied, sans pour autant vouloir changer le cadre systémique favorisant la production qui est toujours resté le nôtre depuis le Néolithique. Les passions se déchainent ; les personnes candidates braillent plus ou moins fort qu’il faut tout changer, reconstruire en relançant l’économie et la croissance, à grand renfort de grands travaux et/ou de restrictions budgétaires et chacune, ou presque, ont même chiffré en bonne monnaie trébuchante leurs programmes.

Hélas, deux fois hélas, elles trébuchent toutes dans leur analyses en ne remarquant pas que ces crises ont un point commun : L’Énergie !

En grattant un peu en effet, quiconque voudra bien faire un petit effort intellectuel, sans même devoir disposer d’une culture scientifique, en viendra à reconnaître son omniprésence dans tout, absolument tout, ce qui fait notre économie néolibérale.

Il est donc frappant de constater que le mot « Énergie » n’est jamais employé dans le discours politique sinon pour parler d’énergie au sens de « volonté » et « courage » des « entrepreneurs » ou bien pour évoquer la nécessité qu’il y aurait à « conserver à tout prix les centrales nucléaires parce qu’elles fournissent une énergie propre » (3). Nos « zélites » parleront aussi volontiers de développement durable, de transition énergétique, de solaire, d’éolien, de biomasse, d’hydraulique, d’hydrogène, de gaz naturel, de géothermie, d’électrique et de biocarburant. Certaines iront même jusqu’à citer l’osmose ou la pile à combustible lorsqu’elles voudront paraître très savantes. Mais elle le feront sans comprendre ce que signifient ces techniques en réalité, physiquement parlant ; et en tout cas, jamais, deux fois jamais, elles ne laisseront penser que l’Énergie abondante vient à manquer alors qu’elle reste, il faut sans cesse le répéter, l’indispensable carburant de notre économie néolibérale, quand bien même il s’agit de « produire » (4) de l’énergie dite renouvelable (5).

Mais comment donc en sommes-nous arrivés là ?

Il est vraisemblable que c’est parce que presque tous les politiques et financiers ne savent pas ce qu’est l’Énergie et que ces derniers n’ont pas la moindre once de conscience que sa présence reste la condition première pour que quelque chose se passe dans notre monde réel et, plus encore, dans une économie comme la nôtre.
Bien sûr, quelques personnes ayant des notions de Physique dans cette caste politico-financière savent bien que l’Énergie Mère De Toute Croissance, le pétrole, devient très rare, notamment au regard des monstrueuses envies de croissances et de consommations qui nous ont été « généreusement données ». Mais ce n’est pas pour autant qu’elles utilisent le mot « Énergie » dans leur vocabulaire ; et parions que si ces rares lucides ne veulent ni parler ni décider et agir en prévision de la déplétion pétrolière, il y a des chances pour que ce soit parce qu’elles espèrent garder suffisamment longtemps, c’est-à-dire jusqu’à leur mort, le contrôle sur le « pétrole finissant », grâce à tous les moyens dont elles disposent, même violents, et ainsi ne pas devoir renoncer à leur style de vie si dispendieux de toutes les ressources naturelles. Après moi le déluge ! Telle est leur devise !

Ainsi, jamais prononcé par les politiques, « Énergie » semble être le plus gros des gros mots. Et entendre ce mot dans son acception scientifique au cours du spectacle politique ou durant le cirque d’une campagne électorale relève de l’impossible (même en France où « impossible » n’existe pas) car il ne faut ni ennuyer l’auditoire – la médiocrité encore, ni affoler les masses qui doivent rester concentrées sur la consommation, dût-elle conduire à l’effondrement de la Civilisation.

Le problème que nous avons avec l’Énergie étant éludé dans le débat public, comment dès lors discuter de ses solutions pour résoudre La Crise ? La réponse reste à trouver.

Néanmoins, pour avancer un peu dans la recherche de la réponse, il faut savoir et admettre que le Pic du pétrole a été dépassé en 2006 (6). Il faut aussi savoir que les banques sont peu enthousiastes à l’idée de se lancer dans le financement des infrastructures nécessaires à l’exploitation des deux derniers grands gisements de pétrole sur Terre, en Arctique et en Sibérie, dont les retours énergétiques sont très mauvais (7), tout cela nous condamnant à manquer très bientôt de notre « drogue préférée ».

Il y a donc urgence. Sauf à adopter rapidement une économie écologique, dans laquelle tout se déciderait en fonction des coûts énergétiques, les versions les plus primaires de l’esclavage risquent bien de vite réapparaître, juste parce que le Pétrole, Père De Toutes Croissances, vient à disparaître et qu’après lui il ne restera plus que l’énergie musculaire (8).

En fait, si nous souhaitons vraiment « du changement »- dans le bon sens, cela va de soi – il faut changer de système – ce serait une première depuis le Néolithique – et, plus qu’en terme d’argent, il nous faut raisonner et compter en terme d’Énergie ; qui se compte en Joule (9), le Joule étant la seule monnaie qui devrait valoir désormais.

Tout cela revient à dire que pour arriver à résoudre les problèmes sociétaux de notre époque, de façon globale, nous devons impérativement commencer par sortir du cadre, évoluer en nous-même et repenser notre rapport à l’Énergie.

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(1) Une réelle démocratie désigne ses représentants par tirage au sort.
(2) Surtout que maintenant les écrans ont envahi les écoles à la plus grande joie, hélas, des parents d’élèves.
(3) Un scientifique rigoureux se demande bien ce qu’est de l’énergie propre.
(4) On ne sait pas produire de l’énergie ; on sait seulement récolter, transporter, transformer, voire, parfois, stoker de l’énergie.
(5) Un scientifique très rigoureux se demande bien ce qu’est de l’énergie renouvelable.
(6) Cf. le rapport de l’année 2010 de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE).
(7) Cf. le blog « Oil Man » de Mathieu Auzanneau.
(8) Selon JM Jancovici, grâce à sa consommation de pétrole, un humain moyen a l’équivalent de 200 personnes à son service 24 heures sur 24.
(9) Le Joule, lorsque des systèmes interfèrent entre eux, peut être assimilé à une monnaie d’échange avec laquelle il est impossible de tricher.

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