LA DYNAMIQUE DE MACRON VUE D’ALLEMAGNE ET D’ITALIE, par François Leclerc

Billet invité.

En Allemagne, l’embellie du SPD dans les sondages s’est révélée un feu de paille, éloignant maintenant qu’il est éteint toute perspective de victoire électorale à l’automne et rendant moins vraisemblable la reconduction d’une grande coalition avec la CDU/CSU. Cette perspective augure mal de la dynamique que le président français voudrait instaurer en développant d’étroites relations avec le gouvernement allemand, qui pour l’instant trouve quelques difficultés à démarrer.

Ni le voyage à Berlin de Bruno Le Maire, le nouveau ministre français de l’économie, ni l’intervention d’Emmanuel Macron en faveur de la Grèce n’ont en effet démontré au-delà des paroles la connivence qui est recherchée. Tout au plus peut-il aujourd’hui être prétendu que cela ne peut pas se construire en un jour. Mais le scénario d’une future coalition gouvernementale avec les libéraux du FDP, désormais envisageable, serait loin de créer les meilleures conditions pour que cette dynamique se poursuive.

En fait de dynamique, Emmanuel Macron pourrait se trouver enfermé dans un délicat dilemme, ses partenaires liant toute assouplissement de leur doctrine en matière de relance communautaire à un strict renforcement de la discipline budgétaire. Ceci alors que le gouvernement français attend les résultats de l’audit des comptes publics qu’il a lancé pour mesurer l’effort qui va devoir être entrepris, afin de rester comme promis dans les clous du seuil maximum de 3% du PIB de déficit budgétaire.

Considéré sous un autre angle, celui de la BCE, les perspectives ne sont pas plus réjouissantes. Analysant les risques qui pèsent sur la situation, celle-ci privilégie parmi ceux-ci la remontée des taux obligataires, avec comme conséquence la hausse du coût du financement des pays les plus fragiles, qu’elle n’identifie pas, dans son dernier état des lieux biannuel sur les principaux risques qui planent sur la stabilité financière en zone euro.

La BCE envisage même « les risques d’une hausse brusque des rendements des obligations publiques sans une amélioration simultanée des perspectives de croissance », y voyant les effets conjugués de la hausse des rendements obligataires aux États-Unis et l’éventualité de la sortie plus rapide que prévue de son programme d’achat massif d’actifs, si elle se concrétisait.

La banque centrale est également sensible à la situation des banques, qui n’aspirent qu’à une hausse des taux obligataires pour améliorer leur rendement, alors que beaucoup d’entre elles voient leur bilan plombé par des stocks importants de créances douteuses. La liste n’en est également pas donnée, mais l’on sait que ce ne sont pas seulement les banques des pays fragiles qui sont dans ce cas, les banques allemandes et autrichiennes l’étant également. L’évacuation des bilans de ces créances douteuses se heurtant à de nombreuses difficultés et lenteurs, comme on le constate en Italie. Ranimer le marché de la titrisation au prétexte qu’elle sera sage ne se concrétisant pas (1), il pourrait être tentant, de ce point de vue qui importe à la BCE, d’œuvrer à la hausse des taux obligataires ! Mais comme elle ne peut pas les contenir et les laisser filer en même temps, elle a choisi le moindre mal.

Paradoxalement, le Brexit est relégué au rang de préoccupations lointaines, en dépit de toutes ses incertitudes qui sont loin d’être résorbées. Que la préoccupation d’une montée des taux obligataires soit ainsi soulignée illustre l’instabilité générale de toute la zone euro. Une telle hausse est pourtant souhaitée par les autorités allemandes, Bundesbank compris, qui y verrait une contrainte salutaire incitant au respect de sa politique budgétaire et fiscale. Cela ne ferait par contre pas l’affaire des responsables français dont les marges de manœuvre sociales et politiques diminueraient afin de respecter leur promesse d’instauration de la confiance.

Le scénario des années à venir se précise, associant dans la durée une faible croissance à la poursuite de la politique d’austérité destinée à peser sur les salaires et à poursuivre l’amaigrissement de l’État.

Dans l’immédiat, la BCE a peu de raisons d’entamer l’arrêt progressif de ses programmes de soutien monétaire, mais va-t-elle pouvoir résister longtemps aux incitations en ce sens ? Peter Praet, son économiste en chef, temporise en justifiant son attentisme : « les pressions sur l’inflation sous-jacente ne donnent encore que des indications peu nombreuses d’une tendance à la hausse convaincante alors que les tensions sur les coûts domestiques, en particulier la croissance des salaires, demeurent limitées ». Comment pourrait-il en être autrement, la banque centrale continuant de préconiser comme une figure imposée « des réformes structurelles et des efforts budgétaires… » ?

Rien n’est gravé dans le marbre, « le cycle politique n’est pas fini » s’alarment des analystes. En employant le terme de « cycle », ceux-ci veulent à nouveau croire en un mécanisme mystérieux bouclant la boucle d’un éternel recommencement avec de mauvais moments à passer. Ils qualifient élégamment ces derniers de « problèmes de gouvernabilité », devenus des phénomènes secondaires dans un monde régi par les marchés tout-puissants.

Les dirigeants politiques italiens sont en plein dedans, obnubilés par la remise à plat de leur système électoral. Tous les scénarios sont étudiés afin de voir s’il est possible d’échapper à la nécessité de former une coalition pour emporter une majorité parlementaire dans le contexte actuel de partage de l’électorat. Las ! aucun n’aboutit à ce résultat dans les projections, et la constitution d’une telle coalition reste une obligation lancinante pleine de chausse-trappes. De quoi perpétrer leurs jeux politiques favoris et laisser le pays continuer à s’enfoncer. Pour parachever le tableau, jouant les épouvantails, le Mouvement des cinq étoiles continue de devancer dans les sondages le Parti démocrate de Matteo Renzi, dans l’attente des élections de 2018…

L’Italie est un très gros grain de sable dont la dynamique pourra tout perturber.

***

(1)  L’encadrement de la titrisation reste en suspens, une nouvelle réunion des représentants des États membres, de la Commission et du Parlement européen s’étant tenue le 16 mai dernier sans aboutir, en raison de désaccords persistants sur la réglementation à adopter.

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