Impeachment : Rébellion parmi les Évangéliques

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Mark Galli : « Quiconque n’est pas d’extrême-droite est considéré d’extrême-gauche par le Président ».

Mark Galli est né en Californie en 1954. Il a été pasteur presbytérien, avant de se déclarer anglican. Il dirige le périodique évangélique Christianity Today qui compte 90.000 abonnés aux États-Unis.

Mark Galli fait la une de l’actualité pour avoir appelé au départ de Donald Trump, que ce soit par sa destitution ou par un vote qui lui soit défavorable aux prochaines élections présidentielles, à la fin de l’année qui vient.

Si la nouvelle a un tel retentissement, c’est que les Évangéliques ont voté pour 80% d’entre eux en faveur de Trump à l’élection présidentielle d’octobre 2016.

Pourquoi un tel engouement de leur part pour le président ? Le terme « Évangéliques » regroupe un ensemble d’églises protestantes conservatrices, voire réactionnaires, comme le baptisme, le pentecôtisme et le mouvement charismatique. L’enthousiasme des Évangéliques pour Trump est dû à l’espoir qu’il fera interdire l’avortement, et à son soutien en ce moment même à la nomination de juges anti-avortement à la Cour suprême, et dans les cours locales.

Quoi que M. Trump ait pu dire et faire jusqu’ici n’a pas pu entamer ce soutien indéfectible fondé sur la conviction qu’aucun candidat à la présidence Démocrate, ni même Républicain probablement, ne représente un espoir aussi sûr de voir renverser « Roe vs. Wade » le jugement qui fit jurisprudence dans l’autorisation de l’avortement aux États-Unis, aucune loi fédérale ne garantissant cette pratique, mais seulement un arrêt de la Cour Suprême en 1973 qui déclara anticonstitutionnelles les lois des états qui interdisaient l’avortement.

Qu’est-ce qui a conduit M. Galli à sortir du rang ?

« Aucun des aspects positifs du Président ne peut contrebalancer le danger moral et politique que nous courons sous la direction d’un chef au caractère aussi grossièrement immoral ».

Et abordant franchement la question de l’avortement, Galli écrit :

« Pouvons-nous affirmer avec aplomb que l’avortement est un grand mal que nous ne pouvons tolérer et, avec le même aplomb, que le caractère corrompu et vicié du chef de notre nation n’a en fin de compte pas beaucoup d’importance ? »

Le rédacteur de Christianity Today justifie son jugement sans appel :

« Il a nommé et révoqué un certain nombre de personnes qui sont désormais des criminels avérés. Il a lui-même admis avoir commis des actes immoraux en affaires et dans ses relations avec les femmes, ce dont il reste fier. Son compte Twitter à lui seul – avec sa litanie de faussetés, de mensonges, et de calomnies – offre l’exemple quasi parfait d’un être humain perdu et dans la confusion sur le plan moral ».

Pourquoi avons-nous, nous Évangéliques, été aussi patients jusqu’ici, ajoute-t-il ? « La raison pour laquelle beaucoup ne sont pas choqués par cette situation est que ce président a trivialisé la notion de moralité au sein de son administration. »

Et dans un entretien qu’il a accordé par la suite, Galli utilise une métaphore : celle du mari qui pourvoit comme il faut aux besoins de sa famille mais est un tyran domestique : « Quand ce mari devient violent et physiquement abusif, l’équilibre est rompu. Le moment est venu pour lui de quitter le foyer. Voilà ce que je dis à propos de la présidence de Trump ». Et Galli de se reprocher alors d’avoir trop tardé dans sa dénonciation : « Je suis prêt à me plier en quatre pour être charitable et patient envers les gens, y compris les soutiens de Trump. Je me suis probablement trop laissé aller à cette tendance. »

Quelles ont été les réactions à l’éditorial de Galli ? L’unanimité s’est rapidement faite sur cette question, en dépit de la polarisation en ce moment de l’opinion américaine sur l’ensemble des questions de société : « Son texte n’aura pas le moindre impact », a-t-il été répété partout.

Les motivations pour le dire sont cependant différentes : du côté de l’opinion réactionnaire, il s’agit de serrer les rangs : « Circulez, il n’y a rien à voir ! », alors que du côté des progressistes, il s’agit de l’expression d’un profond découragement : « Contre Trump, il n’y a rien à faire : il ne sera pas destitué, et il sera réélu ! ». Cette résignation s’apparente chez eux au fameux « esprit de Munich » de sinistre réputation : le pire est inéluctable. Souvenons-nous en France d’un titre en une du quotidien Le Monde alors que Trump venait de subir une cinglante défaite en étant destitué par la Chambre aux États-Unis : « une démarche vouée à l’échec ».

Mais est-ce bien le cas ? Si l’équipe de campagne 2020 de Trump signala immédiatement que Cissie Graham Lynch, petite-fille du prédicateur Billy Graham, fondateur du magazine Christianity Today avait choisi, en opposition à son éditorialiste, de louer le président, la presse rapportait de son côté que le petit-fils du même Billy Graham félicitait lui Galli pour son éditorial, déclarant : « C’est très bien dit, à plusieurs niveaux ». Allant dans le même sens d’une opinion évangélique loin d’être monolithique, divers commentateurs rappelaient deux lignes de fracture traversant aujourd’hui le mouvement : celle des communautés ethniques et des générations, les Afro-américains et les jeunes étant particulièrement irrités par la xénophobie de Trump se manifestant dans sa politique migratoire brutale et par son alignement sur les thèses du suprémacisme blanc.

Quant à Trump lui-même, il n’a pas pu s’empêcher, comme à son habitude, d’aller à l’encontre de son propre intérêt en faisant une publicité tonitruante à l’éditorial de Christianity Today, tempêtant contre, dans ses propres termes, « un non-croyant extrémiste, qui veut vous voler votre religion et vos armes ».

« Vos armes ! », celles qui vous permettront de vous défendre contre vos voisins plus ou moins basanés, plus ou moins mécréants, qui chercheront un jour à vous voler ce continent vierge dont Dieu vous a un jour fait le don, à vous, Chrétiens blancs.

Le cercle rapproché de Trump, à chaque fois décontenancé, voire embarrassé, quand son chef de file, en proie à une panique constante, vend la mèche quant à ses motivations profondes, lui rappelait que le lectorat du magazine se limitait essentiellement à une élite de pasteurs éclairés et qu’il avait, une fois de plus, surréagi.

Le fait est que le débat a bien débuté au sein du mouvement évangélique, les partisans de Trump étant immédiatement sur la défensive, rappelant à qui voulait les entendre, que Trump ne constituait pas une première en matière pour Dieu de truchements sujets à caution : « Dieu s’est choisi en lui, comme soldat, un véhicule imparfait. » L’activiste fondamentaliste David Lane déclarait : « Nul n’imagine que Trump soit saint Donald. Quelle qu’en soit la raison, Dieu a élevé Donald Trump. D’un point de vue évangélique, tout ce qu’il a affirmé qu’il ferait, il l’a fait. Aucun des autres candidats en 2016 n’aurait fait ce que Donald Trump a fait ».

Er c’est ce que Trump a rappelé lui-même sur Twitter : les Évangéliques voudraient-ils à la tête du pays, d’un Bernie Sanders, d’une Elizabeth Warren, avec leur « penchant socialiste/communiste » ? Tout Démocrate serait pire que lui avec « leur choix de l’école, leur avortement, leur position sur Israël, leur mariage pour tous, leurs hommes dans le sport féminin et leurs garçons dans le vestiaire des filles ».

Mais ce genre de pragmatisme politique cynique a cessé de faire l’unanimité parmi les Évangéliques. Doug Birdsall, ancien président du Mouvement de Lausanne, une organisation missionnaire, ancien président aussi de l’American Bible Society qui diffuse un texte de la Bible d’inspiration protestante, a exprimé lui son mécontentement : « Le sentiment existe maintenant que ceux que l’on appelle ‘Évangéliques’ manifestent un plus grand amour pour Trump que pour le Christ. Quand vous pensez aux Évangéliques vous avez cessé de penser à Jésus et à la Bible, vous pensez aux casquettes rouges [Make America Great Again] et à Trump ».

Mark Galli et son éditorial qui a fait scandale dans le mouvement n’a rien voulu dire d’autre quand il a écrit : « Qu’il doive être destitué, nous pensons, n’est pas une question de loyautés partisanes mais de loyauté envers le Créateur des Dix Commandements. […] Rappelez-vous qui vous êtes et qui vous servez. Examinez comment votre justification de M. Trump influence votre témoignage envers votre Seigneur et Sauveur ».

Le 3 janvier, Galli aura cessé d’être rédacteur en chef de Christianity Today. Le sens tactique en matière politique ne lui est pas étranger, pas moins à lui qu’aux autres Évangéliques.

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3 réponses à “Impeachment : Rébellion parmi les Évangéliques

  1. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Donc, si je comprends bien, l’ « Ukraine gate » révélé par un lanceur d’alerte et partiellement validé par Trump « himself », souffre d’un excès d’égoïsme qui dépasse les bornes morales chrétiennes.
    Je pense plutôt que Nancy Pelosi et les Démocrates ont très bien manœuvré pour faire sortir les grands pontes de la communauté chrétienne hors de leur mutisme. L’acte d’accusation contre Trump se concentre sur des violations de principes constitutionnels (on remonte à l’époque glorieuse des fondateurs des USA) et la déposition (lecture) s’est faite sous le regard bienveillant de « In God we trust ». Ce qui a obligé les leaders républicains à bricoler la défense de leur protégé avec des insinuations dignes de l’envol d’une mouche à merde, mais chrétienne authentifiée du Ier siècle BC.
    Polarisation quand tu nous tiens, tactiquement les Démocrates obligent les chrétiens à se positionner, s’arrêteront-ils là, ou porteront-ils le fer jusque dans le corps des armées ?

  2. Avatar de Toulet Alexis
    Toulet Alexis

    L’éditorial de Mark Galli a clairement fait du bruit. Cela dit, ne connaissant pas le protestantisme évangélique américain, j’ai essayé d’en savoir plus sur ce que représente Christianity Today dans ce mouvement, et voici comment Galli lui-même le décrit dans un entretien (1) sur son éditorial

    « Vous sentez-vous déphasé par rapport à la masse des évangéliques aux Etats-Unis – et particulièrement les évangéliques blancs – qui pour l’essentiel soutiennent Trump ?

    Galli : Oui. C’est juste un fait de la vie. Du moins depuis que je suis rédacteur en chef, je n’ai jamais imaginé que nous, à Christianity Today, parlions au nom de tous les évangéliques. Nous parlons pour les évangéliques modérés, de centre-droit et de centre-gauche. L’extrême-droite… ils ne nous lisent pas. Ils ne se soucient pas de ce que nous pensons. Ils pensent que nous avons été cooptés par le gauchisme. Je comprends donc que nous ne représentons pas l’ensemble du mouvement. Et quiconque pense que le CT le fait, ce n’est tout simplement pas le cas. »

    L’éditorial est certainement un événement remarquable, mais je me demande du coup quelle sera sa véritable portée. Sans doute de faire réfléchir un certain nombre de personnes. Mais pas nécessairement beaucoup, vu son audience semble-t-il assez réduite

    Voir encore cette opinion (2) à la fois lucide sur Trump et arrivant à une conclusion opposée à celle de Galli, à partir de prémisses et de convictions chrétiennes conservatrices semblables

    « Je ne suis pas vraiment en désaccord avec beaucoup des points soulevés par l’éditorial de Christianity Today.

    (…) Quant à la question de 2020, quand Trump était un hypothétique avec les défauts de caractère qu’on lui connaît, j’ai voté 3e parti. Je n’allais pas voter pour lui ni pour Hillary. Maintenant, nous avons une foule de démocrates, chacun progressivement plus fou que l’autre, et tous soutiennent l’extermination légale totale des êtres humains qu’ils jugent commode en plus d’autres politiques terribles. Je devrai me tenir le nez pour le faire et je préférerais que ce soit Pence au sommet, mais je voterai pour Trump en 2020. Il n’est pas le Président hypothétique auquel on ne peut pas faire confiance. C’est un politicien profondément imparfait et immoral qui a étonnamment réussi à tenir nombre de ses promesses de campagne et à ne pas gaspiller la vie de nos soldats et marins pour des causes justes qui perdent leur raison d’être. »

    A noter aussi, même si c’est anecdotique, cette observation de Rod Dreher, lui aussi chrétien conservateur, regardant en direction de la France (3) et s’étonnant que parmi les Français qui ont des convictions semblables aux siennes

    « Plus surprenant encore, ils sont tous des fans de Bernie Sanders »

    Comme quoi le conservatisme et le christianisme ne signifient pas nécessairement exactement la même chose dans des pays différents 🙂

    (1) Source : https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/12/christianity-today-trump-removal/603952/
    (2) Source : https://theresurgent.com/2019/12/19/on-that-christianity-today-editorial/
    (3) Source : https://www.theamericanconservative.com/dreher/new-french-right-mark-lilla-catholic/

    1. Avatar de Paul Jorion

      « L’éditorial est certainement un événement remarquable, mais je me demande du coup quelle sera sa véritable portée. Sans doute de faire réfléchir un certain nombre de personnes. Mais pas nécessairement beaucoup, vu son audience semble-t-il assez réduite. »

      Pourquoi cet enthousiasme morose à dire que cela n’aura aucun impact (« ne pas se créer de faux espoirs » ?), alors que … cela a DÉJÀ un impact, puisque tout le monde en parle ? Si Christianity Today est insignifiant, pourquoi tout ce ramdam à propos de ce qui y est écrit ? Pourquoi MÊME le Blog de PJ en parle-t-il ?

      Cela me rappelle ces mails que je reçois – je ne sais pas, une demi-douzaine dans une journée – qui me disent « PERSONNE ne parle de X ou Y ? » Et je leur réponds : « Personne, sauf la demi-douzaine de personnes qui dans la journée m’ont dit que … personne n’en parlait ! ».

      « un lecteur » ici est beaucoup plus proche d’avoir saisi ce qui vient de se passer quand il écrit :

      Je pense plutôt que Nancy Pelosi et les Démocrates ont très bien manœuvré pour faire sortir les grands pontes de la communauté chrétienne hors de leur mutisme.

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