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Dépasser le libéralisme signifie opter pour une économie planifiée. Économie « dirigée », « planification » économique, « plan quinquennal », toute cette terminologie semble être une série de gros mots aujourd’hui. L’image de l’Union soviétique et ses Gosplan, sa bureaucratie et ses pénuries, répugne. Face à cela, la gloire de l’ultralibéralisme est écrasante, monopolistique, quasi-divine. Mais, nous l’avons vu, si individuellement nous n’avons jamais été aussi riche grâce à l’ultralibéralisme, du point de vue de l’espèce, nous n’avons jamais été autant menacé dans notre existence. Et si une réinvention d’une planification économique était notre seule planche de salut possible ?
Si l’on prend au sérieux les risques existentiels pesant sur l’humanité qu’implique le dérèglement climatique, il est nécessaire de se fixer des objectifs communs pour assurer notre survie. Atteindre une fin demande nécessairement de se donner suffisamment de moyens. Les moyens sont alors conditionnés aux fins. Or, jusqu’à aujourd’hui, notre système économique était celui du règne des moyens : l’économie est dite « libre » car les fins sont conditionnés aux moyens. La science économique, issue des marginalistes, nous incite par définition à une économie libre. Comme nous l’avons vu, par construction, la science économique est l’étude des moyens plutôt que des fins : la variable d’intérêt est donc les moyens, et la variable d’ajustement, les fins. Il est donc naturel pour la science économique de prôner de manière systématique le retrait de l’État, conduit avant tout par les fins, des affaires économiques.
Mais, à partir du moment où l’on inverse la perspective et que les fins sont premières (ici l’impératif écologique et l’impératif social), l’économie ne peut plus être libre, devant être orientée vers les fins. La primauté des fins, appelle donc nécessairement une économie « dirigée », par opposition à « libre ». L’économie dirigée est ainsi le système économique qui guiderait l’entreprise publique et privée vers l’exécution d’un plan général fixé par une autorité reconnue d’un commun accord.
Durant la Grande Dépression des années 1930 aux États-Unis et en Europe, c’est un sentiment d’échec du libéralisme qui domina une partie de l’élite intellectuelle cherchant alors une nouvelle voie. Les débats sur la planification économique étaient alors nombreux. En France, les plus influents au sein de ce débat étaient les membres du groupe de polytechniciens, nommé X-Crise, autour du démographe Alfred Sauvy notamment. Aux États-Unis, de nombreux économistes étaient de fervents défenseurs du planisme.
Pour plusieurs d’entre eux tels l’économiste américain Lewis Lorwin (1883-1970), la planification était la suite logique du taylorisme en entreprise : après avoir scientifiquement organisé le travail dans l’entreprise, il s’agissait d’organiser scientifiquement le travail de l’économie entière en vue de la sortir de la crise. De même pour le très influent Ordway Tead (1891-1973) qui écrivait au tout début des années 1930, que ce taylorisme au niveau des États ou même des relations interétatiques « soit devenu l’inévitable prochain pas dans l’évolution économique, si l’on veut éviter que notre mécanisme de production s’écroule complètement ». Visionnaire !
Lewis Lorwin, à l’occasion du congrès universel de l’Association Internationale pour l’Étude des Relations Industrielles, tenu fin août 1931 à Amsterdam, avait proposé un plan quinquennal universel contre les deux périls de l’époque que sont la crise sociale et le danger des nationalismes. Sous l’égide de la Société des Nations, le plan aurait coordonné la reprise économique avec quelques principes clés : le rétablissement de « l’égalité morale et juridique » entre les nations victorieuses et vaincues, la priorité de « l’intérêt économique universel » sur les intérêts nationaux, la reconnaissance de l’impossibilité de faire supporter par un seul pays le poids des dommages causés par la guerre, la mobilisation des capitaux-or accumulés en certains pays, et l’augmentation du pouvoir d’achat.
La seule limitation de ce plan notée par les commentateurs de l’époque n’était pas qu’il ne fonctionnerait pas, mais que la puissance qui pourrait le faire entrer en vigueur n’existait pas, la Société des Nations étant trop faible pour cela. La question se pose encore aujourd’hui et révèle une vérité inébranlable : sans une volonté minimale des peuples du monde, rien ne pourra se passer, et cela quelle que soit la solution proposée pour lutter contre l’extinction du genre humain. Mais avec une vraie volonté populaire, nous avons les moyens de nous en sortir !
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