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La planification indicative « à la française » (1946 – 2006) : l’équilibre fragile entre libre entreprise et intérêt général
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs pays européens tentèrent la planification indicative pour assurer une reconstruction rapide des infrastructures essentielles. Mais l’expérience la plus aboutie fut certainement l’expérience française, notamment autour du Commissariat général du Plan créé en 1946 pour coordonner le travail de planification.
Si les origines de la planification en France remontent au colbertisme, elle trouve sa source dans les débats de l’entre-deux-guerres, mais surtout dans l’immédiat après-guerre. L’idée aurait germé de la rencontre entre Jean Monnet et de Gaulle :
Le premier convainquit le second de la nécessité de rassembler les composantes principales de l’activité économique pour faire repartir l’économie. Il y avait en effet à l’époque une cassure entre le pouvoir économique qui était dans les mains du patronat, traditionnellement de droite, et le pouvoir politique qui était à gauche après le discrédit jeté sur la droite par sa collaboration avec le régime fasciste. Les syndicats étaient en totale opposition avec le patronat aussi bien sur le plan social que sur le plan politique ; mais leurs compétences économiques étaient réduites ainsi que leur capacité à remettre en marche seuls la machine ; il fallait pour cela les connaissances de gestionnaire du patronat. La difficulté était de faire collaborer ces deux blocs. Le Plan apparut alors à Jean Monnet comme un moyen d’y arriver et de redonner par là unité et élan à l’activité économique nationale.
Mais les parties prenantes n’en avaient pas les mêmes conceptions. Le patronat y participait contraint et forcé ; il le considérait comme un moindre mal pour la reprise de l’activité, et le souhaitait éphémère. […] Pour les milieux de gauche, la planification était un des moyens de réformer la société et de mettre en œuvre des modalités d’organisation conformes aux principes du socialisme. […] Quant à l’Administration, la troisième composante de l’activité planificatrice, c’était pour elle le moyen de perpétuer une emprise sur l’activité économique qui lui avaient fournie les mesures corporatistes de l’économie de guerre et du régime de Vichy. (Quinet, Émile, La Planification française, Que sais-je ?, 1990 : 18-19).
La planification française, organisée autour du Commissariat général du Plan, était le fruit du travail de plusieurs organismes rattachés et partenaires. En soi, le Commissariat était doté d’un personnel relativement faible, d’une centaine d’agents. Un certain nombre de centres d’études y étaient rattachés : le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales, le Centre d’Études des Revenus et des Coûts, le Centre de Recherches et de Documentation sur la Consommation, le Centre d’Études Prospectives d’Économie et Mathématiques Appliquées à la Planification, ou encore le Bureau d’Informations et de Prévisions Économiques. Avec d’autres partenaires comme l’INSEE, ces centres étaient en charge de documenter le travail de planification du Commissariat.
Pour ce qui est de l’application du plan, le Commissariat était en relation constante avec la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) mais aussi avec de nombreux organismes d’État comme le FDES, le Fonds de Développement Économique et Social, qui avait été créé justement pour financer les projets du Plan. Le Commissariat était aussi présent à la Direction du Trésor ou encore au Ministère de l’Économie et des Finances pour veiller au respect du Plan.
Pour ce qui est de l’effectivité des plans, le succès fut réel du premier plan de 1947 jusqu’au cinquième plan venant à échéance en 1970. Le premier plan (1947-1953) comportait des objectifs quantitatifs de production des principales denrées économiques (charbon, électricité, carburants, ciment,…). Grâce au Plan Marshall, il atteignit ses buts. Le deuxième plan (1954-1957) devait achever la reconstruction avec des objectifs quantitatifs en termes de production, mais aussi en termes d’indicateurs macro-économiques. Le plan fut bien exécuté notamment grâce à la volonté étatique de le réaliser, en mettant à profit la puissance du capital public.
Les troisième (1957-1961), quatrième (1962-1965) et cinquième (1966-1970) plans se concentrèrent sur les indicateurs macroéconomiques comme le PIB, la consommation des ménages ou les investissements. Ils furent considérés comme satisfaisants.
Le cinquième plan fut le point culminant, notamment dans la politique industrielle : « il s’accompagne de grands programmes de recherche ou d’investissement dans différents domaines : l’énergie, les transports, la construction aéronautique, la construction navale, avec indication des moyens de financements correspondants (exonérations fiscales, bonification de prêts, subventions…). Enfin, le Ve Plan comporte le début de ce qu’on a appelé la politique industrielle, avec des recommandations pour la constitution de grands groupes industriels ». (Quinet, Émile, La Planification française, Que sais-je ? 1990 : 63)
C’est à partir du sixième plan (1970-1975) que leur exécution devint insatisfaisante. Certes, cela s’explique en partie par la crise pétrolière de 1973 et la transition vers une économie qui ne reposait plus essentiellement sur les matières premières et l’industrie lourde, la rendant plus difficile à planifier, mais aussi par le processus de retrait progressif de l’État de l’économie, dû à l’idéologie libérale, ne garantissant ainsi plus l’application des plans. Cela va jusqu’à la suppression du Commissariat général du Plan en 2006 laissant libre cours aux évolutions macroéconomiques menées par le marché.
Aujourd’hui, de nombreux organismes étatiques français continuent à planifier, en vain, le développement économique français. On pourrait même qualifier ce phénomène de « sur-planification », plusieurs plans étant produits par des administrations différentes sans qu’aucune cohérence d’ensemble ne soit réellement recherchée, et surtout, aucun moyen n’étant mobilisé pour mettre ces plans en application.
Dans le domaine énergétique, Laure Després note l’« enchevêtrement des dispositifs » de planification écologique :
Dès 2011, la France a été pionnière en adoptant un « Plan énergie climat (plan d’atténuation) » et un « Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) » qui reprenaient les objectifs européens du « Paquet sur le climat et l’énergie à l’horizon 2020 ». Après le changement de majorité présidentielle en 2012, le gouvernement a fait voter « la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte » qui a renforcé le rôle des intercommunalités. Les plans et schémas « climat, air, énergie » sont ainsi déclinés aux niveaux national, régional et territorial. (Després, Laure, « Une planification écologique et sociale : un impératif ! », dans Actuel Marx, n°65, 1/2019).
Les communes de plus de 20 000 habitants sont ainsi obligées de produire des Plans climat-air-énergie territorial (PCAET) qui doivent être compatibles avec les Schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE). Mais ces SRCAE doivent être intégrés dans des Schéma régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) qui continuent à coexister avec les Plans Régionaux santé-environnement (eux-mêmes compatibles avec le Plan national correspondant) et les Schémas régionaux biomasse et les Plans régionaux d’efficacité énergétique.
Mais encore, comme l’affirme Laure Després, ils doivent « prendre en compte la Stratégie nationale bas-carbone, le Plan de protection de l’atmosphère et le Plan de réduction des polluants atmosphériques. Toujours au niveau national, la Programmation pluriannuelle de l’énergie coexiste avec le Plan national d’adaptation au changement climatique, mais doit être compatible avec la Stratégie nationale bas-carbone. Comment et par qui sont déterminés les documents qui doivent « être compatibles », ceux qui doivent « prendre en compte » et ceux qui peuvent coexister sans aucun rapport entre eux reste mystérieux » (Després, 2019). De quoi perdre la tête !
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