Une planification internationale efficace est-elle possible ?, par Vincent Burnand-Galpin

Ouvert aux commentaires.

Face à l’échec des négociations actuelles sur le climat, et notamment des « COP » (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques), pouvons-nous rester optimistes ? Sommes-nous définitivement incapables d’œuvrer ensemble vers un but commun ?

L’histoire nous enseigne pourtant le contraire : plusieurs exemples de coopérations internationales nous montrent que l’homme est pleinement capable de lutter contre sa propre autodestruction.

L’exemple de la protection de l’Antarctique

Le Traité sur l’Antarctique fut signé le 1er décembre 1959. Il avait initialement pour objectif de mettre fin aux prétentions territoriales des États et de favoriser la coopération scientifique sur le continent. Le traité est encore effectif aujourd’hui, plusieurs dispositions spécifiques ayant été progressivement ajoutées pour assurer une meilleure préservation des écosystèmes. C’est enfin le « Protocole relatif à la protection de l’environnement en Antarctique » signé en 1991 qui fait du continent une vaste réserve naturelle.

En juillet 2019, les États signataires réaffirment leur volonté de poursuivre cet effort collectif. Les résultats sont là : l’Antarctique fait partie de ces communs encore préservés des dégâts causés par l’homme.

Aujourd’hui, sous l’égide de l’ONU, les États du monde négocient un traité en faveur de la protection de la haute mer. La haute mer se définit comme les zones de l’océan situées en dehors de toute juridiction nationale. Actuellement, ces zones représentent 43% de la surface du globe. Les enjeux de ce traité sont donc considérables en termes de préservation de la biodiversité mais aussi en termes de climat. Selon un rapport de Greenpeace, publié fin 2019 (30X30 – Feuille de route pour la protection des océans), les océans sont essentiels à la régulation du climat : sans eux notre atmosphère contiendrait 50% de CO2 en plus, ce qui rendrait la Terre inhabitable.

Depuis septembre 2018, l’ONU organise un cycle de négociations qui doit se terminer au printemps 2020. Il doit aboutir à un accord « juridiquement contraignant » pour permettre d’encadrer l’exploitation des ressources de la mer. Mais pour l’instant les discussions patinent à cause de résistances notamment des États-Unis et de la Russie.

L’heure est au sursaut et non aux tergiversations ! Les États du monde ont déjà été capables de s’accorder sur un traité juridiquement contraignant pour protéger les communs de l’humanité. Au vu de l’urgence actuelle, un traité ambitieux sur la haute mer devrait lui aussi être une évidence.

L’exemple de la lutte contre le trou dans la couche d’ozone

Un autre exemple historique est particulièrement emblématique, celui de la lutte contre la disparition de la couche d’ozone. Il y a encore quinze ans, cette question était très préoccupante mais le problème est maintenant considéré résolu.

La couche d’ozone est une couche atmosphérique bien particulière car elle absorbe la plus grande partie du rayonnement solaire ultraviolet dangereux pour les organismes vivants (coups de soleil, cancers de la peau…). C’est elle qui nous permet de bronzer tranquillement sur les plages en été !

Dès les années 1970, on découvre que la couche avait tendance à s’amincir au fil des années. Plusieurs recherches scientifiques montrent rapidement le rôle des CFC (chlorofluorocarbones) dans ce phénomène. Les CFC sont alors des gaz utilisés dans l’industrie du froid principalement (climatiseurs, réfrigérateurs, congélateurs,…) et dans les solvants industriels.

La situation était ainsi la même qu’aujourd’hui concernant les émissions de carbone. L’industrie était dépendante d’un certain nombre de techniques utilisant les CFC. Mais aussi, la solution ne pouvait être que mondiale, car les CFC émis par les États-Unis se retrouvaient tout autant dans la stratosphère au-dessus de l’Europe, ou de la Chine, et vice versa. La situation était classique : comment préserver un commun (la couche d’ozone) avec le problème du « passager clandestin » ? Le passager clandestin pense : « si les autres États font l’effort de réduire leur pollution, je n’ai pas plus besoin de le faire et cela m’économise les coûts de transformation de mon industrie ».

Malgré les désaccords sur la gravité du problème et ses possibles solutions, le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) lance en 1981 un processus de négociations pour réduire l’émission des CFC. Les négociations s’enlisent jusqu’au « moment Pearl Harbor ». En 1985, on découvre un trou béant dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique. Et ce trou semblait s’étendre progressivement jusqu’à recouvrir des zones peuplées du globe, ce qui menaçait gravement la vie de ses habitants.

En 1987, les États se mirent alors d’accord sur le protocole de Montréal pour lutter contre l’utilisation des CFC. Le protocole prévoyait de diviser par deux la consommation des CFC en dix ans. Au fil des années, les ambitions du protocole en vinrent à s’accorder sur l’élimination complète de l’utilisation des CFC en 2020 pour les pays industrialisés et en 2040 pour les pays en voie de développement.

Grâce à cet effort international, la cause environnementale du trou de la couche d’ozone connaît une victoire sans précédent. En 2015, Achim Steiner, Directeur exécutif du PNUE, déclara que les parties prenantes avaient réussi à éliminer plus de 98% de toutes les substances qui appauvrissaient la couche d’ozone. En 2009, le texte fut finalement ratifié par l’ensemble des membres l’ONU faisant de ce traité le premier en son genre à atteindre l’objectif d’une ratification universelle. Même si la couche d’ozone demeure fragile, on estime que d’ici à 2055, elle devrait avoir retrouvé son état d’origine.

L’humanité réunie autour d’un même objectif a su lutter contre la catastrophe qui menaçait sa pérennité. Elle a su se donner les moyens pour que les accords soient appliqués. Le protocole avait notamment créé un secrétariat général pour observer les efforts de chacun avec le pouvoir de sanctionner les signataires ne respectant pas leurs engagements.

Pourquoi pensons nous aujourd’hui que nous ne serions incapables de nous entendre sur des accords contraignants, alors que nous l’avons déjà fait par le passé ? La raison en est bien entendu les intérêts économiques sous-jacents. Nous sommes beaucoup plus dépendants des émissions de carbone aujourd’hui que des CFC d’hier. Mais si nous avons pu surpasser notre dépendance à certains produits par le passé, nous le pouvons encore aujourd’hui. Ce qui nous manque, c’est une réelle volonté politique.

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11 réponses à “Une planification internationale efficace est-elle possible ?, par Vincent Burnand-Galpin”

  1. Avatar de Christian MOYON
    Christian MOYON

    « Ce qui nous manque, c’est une réelle volonté politique. » : y’a pas que ça, moi je veux bien mais comment tu fais pour discuter avec ces imbéciles à des postes très importants de certains pays, à la botte des banquiers ignorants des considérations écologiques, et négationnistes scientifiques? Le recours à la force, dont on a l’impression que c’est le seul arguments à la portée de compréhension de ces gens, est évidemment une mauvaise solution, ou plutôt n’en est pas une, acceptable. Mais moi je ne vois pas.

    1. Avatar de Christian MOYON
      Christian MOYON

      Quand on voit le temps qu’on met et les trainailleries pour foutre dehors un incompétent notoire, nuisible à l’humanité (chef d’accusation absent de cette parodie de procès), moi ça ne me rassure pas.

      1. Avatar de Christian MOYON
        Christian MOYON

        C’est hors sujet mais bon: je pense qu’ils (vous devinez de qui je parle, mais je ne mets pas de nom de pays ni de nom de personne afin d’éviter de faire sonner les moteurs de recherche) ne le sortiront jamais, non pas parce que leur parti est majoritaire au sénat, mais parce qu’ils (la totalité de la population, cette fois) ne veulent pas reconnaître auprès du monde qu’ils ont fait une grosse bourde en élisant cet imbécile. Et ceci pour la deuxième fois, après GBJ, et je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas d’autres. Ça aussi ça m’inquiète.

  2. Avatar de arkao

    Pour les CFC, l’existence d’autres fluides frigorigènes a quand même facilité l’accord, ainsi que quelques mesures techniques simples de récupération et de neutralisation des fluides sur les appareils mis au rebut.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Fluide_frigorig%C3%A8ne

    1. Avatar de Christian MOYON
      Christian MOYON

      Surtout qu’ils ont été remplacés par l’iso-butane, qui est un gaz à effet de serre bien pire que le CO_2.

      1. Avatar de Arnaud Castex
        Arnaud Castex

        Jamais entendu parler d’un problème sur Isobutane. D’où vient l’info ?

      2. Avatar de arkao

        En fait peu importe. La question n’est pas seulement le produit en lui-même, mais la gestion des fuites sur les appareils, puis la méthode de recyclage (prélever le fluide dans de bonnes conditions). C’est pour cela que dans les déchetteries, frigos et congélos sont mis à part du reste de l’électroménager.

  3. Avatar de Christian MOYON
    Christian MOYON

    « Jamais entendu parler d’un problème sur Isobutane. D’où vient l’info ? »
    Étant donné que le butane aliphatique est un gaz à effet de serre, je pensais que c’était aussi le cas de l’iso-butane, mais, suite à votre commentaire, je viens de regarder dans différentes publications, notamment Wikipedia, et effectivement, ce n’est pas avéré. A vérifier, donc, mais bon, peu importe pour le présent contexte.

  4. Avatar de Mercier Jean-Luc
    Mercier Jean-Luc

    Si, dans les cas de la protection de l’Antarctique ou de la lutte contre le trou dans la couche d’ozone, une planification internationale efficace a été possible, c’est peut-être parce que les implications sont d’un tout autre ordre que dans le cas du climat pour lequel il faudrait considérer que 1° les gaz à effet de serre sont le produit de notre activité industrielle et agricole, que 2° plus de 85 % de l’énergie primaire sur la planète est d’origine fossile génératrice de CO2 et que 3° énergie et PIB sont corrélés. Dans ces conditions, diminuer efficacement notre empreinte climatique nécessiterait une « économie de guerre », avec des restrictions sévères sur les ressources et les industries permises qui sont incompatibles avec le système actuel. Une planification internationale efficace devrait dès lors inventer un « non-capitalisme ». Ça ne semble pas mûr pour le moment…

  5. Avatar de timiota
    timiota

    Comme du temps du « Nom de la Rose » du regretté Umberto Eco, il y a des « relapses » (rechutes) pour l’ozone:
    Le reprise en Chine d’usage de CFC-11 pour l’isolatino polyuréthane.
    __________________________

    https://www.bbc.com/news/science-environment-48353341

    Ozone layer: Banned CFCs traced to China say scientists
    By Matt McGrath Environment correspondent

    22 May 2019

    Researchers say that they have pinpointed the major sources of a mysterious recent rise in a dangerous, ozone-destroying chemical.

    CFC-11 was primarily used for home insulation but global production was due to be phased out in 2010.
    But scientists have seen a big slowdown in the rate of depletion over the past six years.
    This new study says this is mostly being caused by new gas production in eastern provinces of China.

    Greenhouse gas levels at new record high
    China ‘home foam’ gas key to ozone mystery
    Ozone: The Earth’s protective shield is repairing

    CFC-11 is also known as trichlorofluoromethane, and is one of a number of chloroflurocarbon (CFC) chemicals that were initially developed as refrigerants during the 1930s.

    However, it took many decades for scientists to discover that when CFCs break down in the atmosphere, they release chlorine atoms that are able to rapidly destroy the ozone layer which protects us from ultraviolet light. A gaping hole in the ozone layer over Antarctica was discovered in the mid 1980s.
    Media captionTwenty-five years of ice loss in the Antarctic

    The international community agreed the Montreal Protocol in 1987, which banned most of the offending chemicals. Recent research suggests that the hole in the Northern Hemisphere could be fully fixed by the 2030s and Antarctica by the 2060s.
    When was the CFC problem discovered?

    CFC-11 was the second most abundant CFCs and was initially seen to be declining as expected.

    However in 2018 a team of researchers monitoring the atmosphere found that the rate of decline had slowed by about 50% after 2012.

    That team reasoned that they were seeing new production of the gas, coming from East Asia. The authors of that paper argued that if the sources of new production weren’t shut down, it could delay the healing of the ozone layer by a decade.
    What did investigators find on the ground?

    Further detective work in China by the Environmental Investigation Agency in 2018 seemed to indicate that the country was indeed the source. They found that the illegal chemical was used in the majority of the polyurethane insulation produced by firms they contacted.

    One seller of CFC-11 estimated that 70% of China’s domestic sales used the illegal gas. The reason was quite simple – CFC-11 is better quality and much cheaper than the alternatives.
    So what does this latest study show?

    This new paper seems to confirm beyond any reasonable doubt that some 40-60% of the increase in emissions is coming from provinces in eastern China.

    Using what are termed « top-down » measurements from air monitoring stations in South Korea and Japan, the researchers were able to show that since 2012 CFC-11 has increased from production sites in eastern China.
    Image copyright Getty Images

    They calculated that there was a 110% rise in emissions from these parts of China for the years 2014-2017 compared to the period between 2008-2012.

    « This new study is based on spikes in the data on air that comes from China, » lead author Dr Matt Rigby, a reader at the University of Bristol, told BBC Inside Science.

    « Using computer simulations of the transport of these gases through the atmosphere we can start to put numbers on emissions from different regions and that’s where we come up with this number of around 7,000 tonnes of extra CFC-11 emissions coming out of China compared to before 2012.

    « But from the data, all we just see are the ultimate releases to the atmosphere, we don’t have any information on how that CFC-11 was used or where it was produced, it is entirely possible that it was manufactured in some other region, some other part of China or even some other country and was transported to the place where they are making insulating foams at which point some of it could have been emitted to the atmosphere. »
    Where are the rest of the emissions coming from?

    The researchers are not sure. It’s possible that the missing emissions are coming from other parts of China, as the monitoring stations just can’t see them. They could also be coming from India, Africa or South America as again there is very little monitoring in these regions.
    Does this have implications for climate change?

    Yes – the authors say that these CFCs are also very potent greenhouse gases. One tonne of CFC-11 is equivalent to around 5,000 tonnes of CO2.

    Chat to our climate change bot on Facebook Messenger

    « If we look at these extra emissions that we’ve identified from eastern China, it equates to about 35 million tonnes of CO2 being emitted into the atmosphere every year, that’s equivalent to about 10% of UK emissions, or similar to the whole of London. »
    Will China clampdown on the production?

    The Chinese say they have already started to clamp down on production by what they term « rogue manufacturers ». Last November, several suspects were arrested in Henan province, in possession of 30 tonnes of CFC-11.

    Clare Perry from the Environmental Investigations Agency (EIA) said that the new findings re-affirmed the need to stamp out production.

    « I think with this study, it is beyond doubt that China is the source of these unexpected emissions, and we would hope that China is leaving no stone unturned to discover the source of the CFC-11 production.

    « Unless the production of the chemical is shut down it will be near impossible to end the use and emissions in the foam companies. »

    The study has been published in the journal Nature.

  6. Avatar de Tout me hérisse
    Tout me hérisse

    L’isobutane utilisé en tant que fluide frigorigène ne présente pas les mêmes caractéristiques que les CFC ou les HCFC, en rapport avec la destruction de la couche d’ozone, en revanche, il peut s’avérer dangereux, en cas de fuite accidentelle du compresseur, car très inflammable.
    Il faut savoir également que l’isobutane est utilisé comme gaz propulseur dans les flacons d’aérosols (laque, déodorants,etc..), à ne pas utiliser donc à proximité d’une flamme.
    https://encyclopedia.airliquide.com/fr
    http://www.agrobat.fr/media/document/ed969.pdf
    https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/le-casse-tete-des-frigos_496584.html
    Un autre gaz refait son apparition à grande échelle en raison de l’exploitation des schistes par les USA, l’éthane : http://www.journaldelenvironnement.net/article/au-secours-l-ethane-revient,71580

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