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Soyons prêts pour l’après-Covid-19
À l’heure où j’écris 3.300 personnes sont mortes en Chine du coronavirus Covid-19. Parallèlement, toujours en Chine, 53.000 vies ont été épargnées, dont celles de 1.400 enfants, du fait de la baisse de la pollution résultant de la paralysie de l’activité économique. Au même moment, des compagnies américaines obtiennent des dérogations aux lois de protection de l’environnement, autrement dit le droit de polluer davantage, en raison du caractère « exceptionnel » des circonstances : du coup, davantage de morts de la pandémie justifieront davantage de morts dus à la pollution.
Les paradoxes ne s’arrêtent pas là : des sans abri sont verbalisés pour être dans la rue malgré les consignes de confinement. Des prisonniers mettent en bouteille du gel désinfectant auquel ils n’auront pas accès parce qu’il contient de l’alcool. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban classe dans la même catégorie le coronavirus et les migrants, « parce qu’ils se déplacent ». Pour repérer les malades, nos pays recourent aux méthodes de surveillance qui n’étaient utilisées jusqu’ici que pour suivre à la trace les criminels les plus dangereux.
Apparaît ainsi en pleine lumière à quel point un souci auquel les dirigeants de nos nations avaient été sensibles des années trente jusqu’aux années soixante, s’est aujourd’hui effacé de leur horizon : faire en sorte que le ressentiment ne gonfle pas dans une partie importante de la population, faire en sorte que chacun se déclare suffisamment heureux dans sa condition pour aller vaquer à ses affaires le coeur léger.
Le prix à payer pour un tel dédain envers les préoccupations profondes de la population s’était déjà révélé avant même le début de la pandémie dans des éruptions du type jacquerie, comme le mouvement des « gilets jaunes », ou le soutien qu’apportent des citoyens désorientés aux revendications « populistes ». Cette forme malhabile de contestation, si elle est révélatrice du mécontentement, désigne stupidement comme responsables des malheurs qui nous touchent, des minorités, plutôt que les structures déséquilibrées véritablement en cause. Aux yeux de celui ou de celle pour qui le mécanisme réel apparaît trop complexe ou à qui son existence est soigneusement cachée, la xénophobie remplace tragiquement une analyse des causes.
La question n’est pas que nous ne saurions pas quelle société nous souhaitons : nous le savons, mais que le rapport de forces à la sortie de la crise risque d’être le même qu’aujourd’hui, ou qu’il sera pire encore car le système dont nous ne voulons plus depuis longtemps en fait, a l’art d’utiliser les plus démunis comme ses boucliers vivants. Si bien qu’à chaque sortie de crise, le rapport de forces est plus défavorable encore à ceux qui prônent la « bonne vie », plus favorable encore à ceux qui veulent que ce soient les choses qui dominent les êtres
Rien n’est garanti d’avance, mais le premier geste à poser en tout cas est de prendre au mot nos politiciens affirmant avec des trémolos dans la voix avoir compris leurs errements du passé : que l’on ne peut pas bâtir une société où la plupart ruminent leur rancoeur du fait de telle ou telle injustice. Enregistrons leurs paroles et rappelons-leur qu’ils les ont dites, et cela sans attendre qu’ils se renient, parce qu’il serait alors trop tard. Rappelons-le leur sans relâche, souvenons-nous de la leçon de l’hiver 2008, quand il nous fut dit : « Tout s’arrange : le crédit repart ! », alors que ce n’était pas le crédit qui devait repartir mais un pouvoir d’achat fondé sur un salaire en hausse et non sur de nouvelles reconnaissances de dette consenties à la banque.
On entend aujourd’hui dire à propos de cette crise des subprimes : « Pourquoi n’avons-nous pas tiré les leçons ? » Or nous avons tiré les leçons de la crise, nous n’ignorons rien de ce qui s’est véritablement passé. La question n’est pas là, notre malheur est que ceux qui décidèrent ce qui se passerait ensuite n’étaient pas ceux qui avaient tiré les leçons de la crise, ou plus précisément, les décideurs tirèrent parmi toutes les leçons, la seule qui les intéressait : faire en sorte qu’à chaque nouvelle crise, le vieux principe de « privatisation des bénéfices, socialisation des pertes », reste d’application.
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