J’avais entendu parler anglais à la maison durant toute mon enfance. Jusqu’à ce que j’aie six ou sept ans, la radio chez nous ne parlait que l’anglais : quand on ouvrait le poste on tombait sur la BBC qui avait été écoutée religieusement pendant toute l’occupation. C’est en jouant un jour avec les boutons que j’ai découvert accidentellement une station où l’on parlait français. J’étais très fier ! Et l’ai annoncé triomphalement à ma mère : « Il y a un endroit dans le poste où on parle français ! » Elle m’a regardé d’un air interloqué : en réalité elle était au courant.
Mes études à l’Université de Cambridge au titre d’étudiant thésard débuteraient le 1er janvier 1975, mais à l’été précédent, malgré mes années d’écoute passive de la BBC, je m’étais inquiété de ma connaissance de l’anglais. Je m’étais inscrit à un cours d’apprentissage de l’anglais de deux semaines qui se déroulerait sur le campus de l’université du Kent à Canterbury. L’un de nos quatre instructeurs : deux hommes et deux femmes, Tony, qui invita d’ailleurs la douzaine de participants chez lui, à la bonne franquette, était un dialecticien redoutable. Irrité par une jeune femme parmi nous qui refusait obstinément, jour après jour, d’ouvrir la bouche, il lui tendit un piège. Il dit un jour : « La pilule est une invention du diable. Quelqu’un veut-il commenter ? » Elle fut alors intarissable, ce qui nous permit de découvrir son anglais ma foi très honorable.
Parmi ceux qui participaient au cours, une famille entière : père, mère, fils et fille, de Barcelone où le père était médecin. La fille, qui devait avoir vingt ans, une petite rigolote au visage tout rond, me dit un jour en fronçant la barre de sourcils noirs qui ornait son front : « Nous sommes ensemble, n’est-ce pas ? » Je dis : « Pardon ? ». Elle ajouta : « Je me suis assise à côté de vous dès le premier jour, et nous bavardons durant toutes les interruptions ! ». Je lui répondis en souriant : « Oui, c’est vrai. Mais cela ne suffit pas pour que nous soyons ‘ensemble’ ». « Pourquoi pas ? », répondit-elle sans se démonter. Je dis : « Parce que c’est plus compliqué que ça ! » Ma réponse la plongea dans une profonde perplexité. Ayant bien réfléchi aux implications pratiques de ce que je venais de dire, elle reprit : « Vous ne voulez pas que nous fassions l’amour ? Moi je suis d’accord ». Je la vois encore, très mignonne, la peau très basanée, désarmante, mais je me défilai : « Non, je suis désolé, ce n’est pas comme cela que cela fonctionne ». Elle insistait : « Écoutez, je suis toujours vierge, je ne veux pas que ça dure éternellement. Je me suis dit qu’un jour je verrais un homme et je me dirais : ‘Voilà l’homme qui mettra fin à ça’, et cet homme, c’est vous ! » Elle disait ça très gentiment, avec un grand sourire. Je hochais la tête, je disais : « Non ».
Les jours suivants, elle continuerait de s’asseoir à côté de moi, boudant de manière ostensible toute la journée. Dans la soirée, elle faisait le forcing en restant assise sur un escalier faisant face à la porte de ma chambre. Est-ce la seconde ou la troisième nuit de sa veille que j’ai fini par ouvrir la porte et lui ai dit : « J’aimerais que vous entriez ». Elle ne savait absolument rien mais était toute disposée à apprendre : elle n’arrêtait pas de poser des questions d’ordre technique. Je lui dis : « Chut ! » Elle finit par se taire, ce fut très doux.
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