Les concepts centraux de la religion vaudoue

La religion vaudoue est originaire du royaume du Dahomey. Elle a essaimé en particulier du fait de l’esclavagisme qui a enlevé des pratiquants de cette religion pour en faire les victimes du travail forcé en divers endroits de la planète, en Haïti en particulier. Le mot « vaudoun » en langue fon se traduit en français par « sacré » ou « saint ». Les informations qui suivent m’ont été confiées à Cotonou (Bénin), le 2 octobre 1984.

Le wensagun

C’est le messager de la mort, ou pour prévenir d’un mal. C’est surtout vrai pour les croyants, c’est un signe vu dans la vie quotidienne ou vu dans un rêve. L’adepte voit son fétiche devant lui qui lui annonce le mal qui va arriver. On peut essayer d’anéantir ce mal avant qu’il n’arrive. Quand c’est la mort, on ne peut rien faire. On invite ses fils et ses petits-fils et on leur transmet sa science, les choses qu’on ne peut transmettre que juste avant sa disparition.

Pour les maux, il y a deux sortes de choses qu’on peut faire : faire des sacrifices, donner à manger aux enfants (distribuer de la nourriture). Quand le charlatan est averti, il met sa science en application : il réunit les feuilles qu’il faut ; il consulte aussi pour voir s’il faut faire des sacrifices en plus. [Les missionnaires imposèrent d’appeler « charlatan » le bokonon, le devin].

Quand une grossesse arrive à terme, deux jours environ avant d’habitude, la nuit on voit ce que c’est, si c’est un mort-né, on le voit. On se réveille, et on se voit avec des larmes sur la figure, on dit « J’ai vu une telle chose dans la nuit ». Les parents se préparent alors pour sauver la vie de la femme en priorité. Le wensagun peut aussi prévenir du bien qui se prépare, mais c’est rare.

Le joto

C’est le « parrain » et la « marraine », mais ils sont décédés. Toutes vos démarches sont semblables à celles de ces personnes disparues. On découvre ces personnes au cours d’une cérémonie. Les parents de l’enfant, des deux côtés, mettent de l’argent 24 heures avant la cérémonie dans la cabane où se trouvent les asens des disparus [objet votif, voir illustration].

Il faut que l’argent soit mis la veille, sinon on reporte la cérémonie. La nuit, les morts discutent entre eux qui prendra cette place, ils la laissent à quelqu’un parmi eux. Le lendemain, les chefs de famille amènent cet argent, ils le déposent devant le charlatan. Il a rassemblé tous ses yama-yama (ingrédients), gris-gris, etc. pour consulter le fa. Pendant que le charlatan consulte, les chefs de famille boivent. En général, c’est du sodabi [alcool de palme] mais ça peut être du gin ou de la bière (selon les préférences).

Le charlatan détermine d’abord si c’est un parent du côté de la mère ou du côté du père. Une fois qu’une partie est choisie, le chef de famille de cette partie s’avance. Il cite toutes les personnes décédées de sa maison. À chaque nom le charlatan consulte. Quand ce n’est pas lui, le fa [ce que révèle la divination] dit carrément que ce n’est pas lui. Les gens (qui sont versés dans le fa) regardent aussi, et ils reconnaissent (la décision).

C’est un « parrain » pour un homme, et une « marraine » pour une femme. À partir de ce moment-là, l’enfant reproduit son joto : dans sa façon de se fâcher, tout. Et cela jusqu’à la mort. 

On peut faire la cérémonie à partir de l’âge de trois mois, et jusqu’à sept ans (après on devient semblable à son joto).

La cérémonie se fait toujours avant midi (il faut qu’elle commence avant midi), elle peut se terminer plus tard. Avant cette cérémonie, aucun ancêtre n’a pris cet enfant en charge. Si la cérémonie n’est pas faite avant l’âge de sept ans, l’enfant commence à être gêné par les parents morts et vivants, les charlatans et les sorciers peuvent prendre des libertés envers lui. Les enfants commencent à se comporter comme des animaux, à être fous (à cause de ce manque).

Dans une famille, il y a une femme qui représente la responsable des ancêtres, c’est elle qui seconde le chef de famille, c’est elle qui dépose l’argent. Cette femme s’adresse aux ancêtres si on n’a pas fait la cérémonie. Quand elle passe devant la cabane aux asens, elle crie le nom de l’enfant. « Jusqu’à ce jour cet enfant n’est pas venu se prosterner devant vous ». Les wensaguns vont commencer à se manifester.

Sans ce protecteur, l’enfant est vulnérable. Si l’enfant est malade, le joto vient à son secours. Si l’enfant naît à l’étranger, il faut faire cette cérémonie à son retour au Bénin.

Le se

C’est le destin, le sort. Chacun est né avec son sort, bon ou mauvais. Il est déterminé avant qu’il naisse.

Le kpoli

C’est l’horoscope, le signe de quelqu’un. On commence à le chercher vers l’âge de 12 à 15 ans. Il y a deux cérémonies, la première, c’est le fasinden, c’est une cérémonie qui dure deux jours. On prépare à manger, des poulets des ignames, de l’huile de palme. C’est une cérémonie peu coûteuse. Le charlatan consulte et il trouve le signe de l’individu. Il y en a un par personne parmi 16. On retient son signe toute sa vie.

L’autre cérémonie, c’est le kpoli, c’est une cérémonie très coûteuse. On peut la faire à partir de 31 ans, mais il faut avoir eu des enfants. Elle dure 24 heures, il faut beaucoup de nourriture, des poulets, des cabris. Il faut inviter 21 charlatans. Pour un to-legba, un legba de village, il faut 41 charlatans. Grâce à cette cérémonie, on devient un père de famille respectable. On vous construit un diable [esprit malin], un legba. Chacun des 21 charlatans donne sa science pour constituer un legba. S’il n’y a pas assez de charlatans pour mettre leur science ensemble, il est mal construit, et cela va gêner le père de famille. Il faut que toutes les bonnes feuilles soient réunies ensemble, sinon cela va lui nuire. Le fétiche (proprement dit) est secret, il n’est pas visible, il est sous le sol, ce sont toutes les feuilles enterrées, recouvertes d’un canari [pot servant à stocker et rafraîchir l’eau de boisson]. Les charlatans font un cercle, chacun met sa contribution, puis on place le canari dans le trou. On construit par-dessus, avec du sable que chacun malaxe, un legba. On le fait comme un être humain, c’est votre silhouette. Si on met du piment sur ses yeux, vous avez mal aux yeux.

Après la cérémonie, les charlatans se retrouvent dans une brousse touffue avec un petit puits ou une rivière. On va tuer l’oiseau (le coq), mais de mort naturelle. Ils font de la pâte dans une petite calebasse et on (dessine) le signe de votre horoscope dessus. Puis on recouvre d’une petite toile. On pose l’oiseau dessus, il pousse des chants incantatoires, puis il meurt. Votre première femme, celle qui vous est fidèle, mange le coq, elle doit tout manger. C’est le kpoli de son mari. On demande aux femmes laquelle d’entre elle peut le manger, elle lève le doigt. Si la femme n’est pas fidèle et mange le kpoli, elle meurt. Si aucune femme ne lève le doigt, on jette le poulet, c’est très mauvais pour celui qui a fait la cérémonie pour son kpoli. On n’est pas obligé de courir ce risque si on ne veut pas et celui qui fait le kpoli a généralement fait son enquête parmi ses femmes, avant. Mais il arrive que le jour même, les femmes (qui ont dit qu’elles étaient fidèles) s’enfuient pendant la cérémonie.

Il y a des palmiers qu’on appelle Fa-dé, on utilise leurs fruits pour les cérémonies, ils ont de très belles noix, dures et lisses. Elles restent dans la calebasse. Le récipiendaire garde jalousement son signe qui lui est remis (par exemple dans une armoire). À cette même occasion, on lui révèle ses « su », ses interdits. Ce sont des interdits alimentaires, mais aussi des gestes interdits. Par exemple, on ne peut pas assister un corps humain tout frais (on ne peut pas toucher un cadavre), ou bien on ne peut pas aller dans tel couvent [temple de la religion vaudoue], etc.

Le ye

C’est l’âme. Quand quelqu’un meurt, tout de lui vit encore dans la maison. Jusqu’à ce qu’on ait fait certaines cérémonies.

Ces cérémonies ont lieu entre 20 heures et 5 heures, à cause du mal. On attend qu’il y ait moins de circulation. On prévient la maisonnée, on se réunit, le chef de famille prend un fusil africain, il tire en l’air, ça fait « Gbo ! ». Tout le monde alors se met à pleurer. C’est à ce moment-là que l’âme s’en va. Si on est près d’un carrefour, on voit une silhouette qui disparaît. On ne sait où ça va. À ce moment-là, toute la population est alertée qu’il y a eu décès.

(Nous les intellectuels, nous ne croyons pas à beaucoup de ces choses tant que nous ne les avons pas vues. Le lindon, je n’y crois pas, l’âme si. Il vient un moment où on voit ces choses, et alors on y croit).

Le lindon

Quelqu’un meurt, sa respiration est partie, son âme est partie. Les gens racontent toujours ceci : le lendemain on va au village et on vous dit que cette personne (morte) est venue la nuit : « Elle nous a réveillés, elle nous a prévenus du mal ».

Les vieux meurent tranquillement, mais quand c’est un jeune, souvent des parents dans un autre village, dans un autre pays, ont vu le lindon du mort venir dans la nuit. Quand on apprend qu’il est mort on dit : « Ce n’est pas possible, on l’a vu ici ». Celui qui a vu le mort, un parent proche (en général), tombe malade de cette mort, elle le terrasse.

Il y a une cousine à Parakou, on lui donne un coup de fil pour lui apprendre la mort de l’enfant au village. Elle dit : « Ce n’est pas possible ». L’enfant est venu chez elle le soir d’avant accompagné de telle personne qui dit : « Je l’ai vu arriver au train ». On lui dit « Non, elle est morte (hier) ». Elle dit « Non ». (Plus tard) quand elle voit le corps, elle est prise d’une fièvre très forte. On lui dit « Tu doutais, parce que vous avez causé ensemble ». La maladie est causée par le lindon.

L’âme n’est jamais enterrée. On ne la voit pas après qu’on ait appris la mort. Le lindon gêne parfois ceux qui enterrent les morts. Quand on meurt en désordre, l’enterrement peut être tout un problème parce que le corps ne veut pas rejoindre la fosse. [« mourir en désordre » : voir plus loin].

Le fossoyeur doit lutter, il se met en caleçon, on voit qu’il déploie des efforts, il transpire fort. Évidemment, on ne voit pas contre qui il lutte. Si on vous met une feuille scientifique sur les yeux, alors vous voyez le lindon lutter avec le fossoyeur. Parfois, le corps ne commence à se battre qu’une fois dans la fosse, le fossoyeur ne peut pas ressortir. Souvent, il y a un fossoyeur au fond et deux en haut qui passent le corps dans son cercueil ou enroulé dans une natte. Au village, on enterre le corps à environ 1,2 mètre de profondeur, en bas on creuse le sous-sol en largeur sur 0,5 mètre de hauteur. Le corps peut lutter contre celui qui est en bas, au moment où il a déposé le corps à côté de lui. Les deux autres qui sont en haut demandent alors ce qu’il faut faire. Il dit d’abord d’apporter des gris-gris, mais il peut demander qu’on referme sur lui. Il mourrait de toute façon au bout d’un moment car il y a beaucoup de chaleur là-dessous. Quand on a tout refermé, on place une petite calebasse sur la tombe et on la frappe avec un bâton pour l’éclater. Quand on casse la calebasse, le corps n’a rien dit au fossoyeur en bas [?].

Pour les mineurs, on ne tire pas en l’air pour annoncer la mort, c’est quand on casse la calebasse que le ye est mort. On met le kpoli d’un homme dans sa tombe. Quand c’est un féticheur qui meurt, on prend tout ce qu’il a acheté pour son fétiche et on le garde pour celui qui prendra la relève. Chaque féticheur a son capital en vêtements.

« Mourir en désordre » : chacun est né avec son sort. Pour certains, leur destin est de tuer un être humain, ça leur rapporte de l’argent : « Dans mon service, je souffre de tel malaise, il faut que j’élimine telle personne qui gagne plus que moi. S’il part, j’hérite de sa place. Je vais voir un homme, il dit ‘Il faut telle somme, tel oiseau, etc.’. Si on lui donne ça, il tue la personne (comme on veut) dans 7 jours, dans un mois, dans 41 jours ». C’est une personne qui est morte comme ça qui se révolte (lors de l’enterrement). Elle lutte parce que la mort n’était pas naturelle. Le spécialiste [bokonon : devin] peut alors l’interroger au moment de la lutte, il lui demande pourquoi il fait ça. Il pose des questions. On entend les questions mais pas les réponses. Si on vous met la feuille scientifique, vous pouvez entendre les réponses. Si un parent proche demande la feuille, il vaut mieux pas : s’il voit le mort, il criera et il pourra devenir fou pour l’éternité.

Après l’inhumation, le spécialiste pourra faire le compte rendu à ceux qui demanderont le nom de l’assassin. Mais les parents proches leur en voudront. Il est mort de toute façon, il vaut mieux garder ce secret pour garder les choses en paix.

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5 réponses à “Les concepts centraux de la religion vaudoue

  1. Avatar de Benjamin
    Benjamin

    Bonsoir Paul,

    Texte très intéressant car il revient aux origines africaines du Vaudou, car contrairement à ce que beaucoup de monde pense, il n’y a pas une mais des religions « Vaudou »…. avec des « schismes » différents en fonction des continents et des contacts avec d’autres religions.

  2. Avatar de timiota
    timiota

    Qu’avions nous besoin du besogneux et non moins médiatique Gérald Bronner pour faire prévaloir la rationalité et dire son fait au wokisme (« canaillou ! ») ?
    Il suffit d’avoir la « feuille scientifique », et le savoir apparait au travers.

  3. Avatar de Stéphane
    Stéphane

    Ça tangote dur avec ce que, chez nous, on appelle et on considère comme une maladie, c’est-à-dire la psychose. Pour moi perso, la psychose est cette opération gérée par l’organisme qui consiste à peupler d’objets psychiques, liés à la mémoire, les bords du monde du langage. Le Vaudou m’a tout l’air d’être un tango-psychotico-attracté. En termes de morphogenèse, ce tango (le vaudou), cette forme est le fruit d’un couplage entre le monde des perceptions et celui de la psychose (exogène-endogène), l’un n’existant pas sans l’autre. Au Dahomey (je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui au Bénin), n’importe quel enfant, dans sa façon d’intégrer la psychose qui quoi qu’on en en dise est un phénomène parfaitement naturelle, est à coté de nous, un véritable petit Mozart. Chez nous, on a beaucoup de mal avec tout ce qui est endogène et pour ce qui concerne la psychose : c’est carrément l’ennemi.
    La psychose, là-bas, est non seulement connue mais en plus elle est encouragée et elle accompagne l’humain, portée par tout un collectif et cela avant même que celui-ci sorte du ventre de sa mère.
    On a une schizoïdie (endogène-exogène) assumée et intégrée par l’organisme, exprimée au sein même du langage et renforcée, soutenue par toute une culture.
    Et là, j’aime mieux vous dire que pour traverser le « pont de … (1)», c’est-à-dire passer d’un monde vaudou à un monde occidental et contemporain quelconque, niveau capacités à déconstruire, il faut être sacrement balaise et avoir les couilles ou les ovaires bien accrochés.

    (1) Je ne me souviens plus du nom de ce pont que PJ traversait, enfant, lorsqu’il venait du monde catholique-zombie pour retourner au monde luthérien.

    1. Avatar de Stéphane
      Stéphane

      Traverser le pont dans un sens et dans l’autre. Faire des allers-retours.

  4. Avatar de Tout me hérisse
    Tout me hérisse

    L’on pourrait citer également la Santeria à Cuba, qui est un culte hérité de la religion Yoruba.
    La chose le plus surprenante est le fait que la Santeria s’est beaucoup plus implantée à La Havane qui est une ville plutôt à peuplement majoritairement ‘blanc’, qu’à Santiago de Cuba, ville à peuplement ‘noir’.
    Plus surprenant encore, j’ai pu voir des espagnols, se convertir à cette religion, ce qui peut s’analyser comme un non sens pour un esprit européen plutôt rationnel !
    Un lien intéressant : https://journals.openedition.org/cal/1287

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