Retranscription de « VALIS » (« SIVA ») de Philip K. Dick, le 17 avril 2022.
Bonjour, nous sommes le dimanche de Pâques 2022 qui est le 17 avril et aujourd’hui, je vous parle d’un livre. Alors, voilà le livre, Philip K. Dick, « VALIS ». Je l’ai lu en anglais. En français, ça a été traduit, ça s’appelle « SIVA ».
Une première remarque bien entendu, « VALIS », ça fait cinq lettres, « SIVA », ça en fait quatre. Quand vous pensez que « VALIS », c’est un des noms de Dieu et que vous pensez au fait qu’en français, on a oublié un des qualificatifs du nom de Dieu dans la traduction, cela attire une fois de plus votre attention sur la qualité des traductions des ouvrages en anglais ou en américain en français.
J’en ai déjà beaucoup parlé, je ne reviens pas là-dessus. Ça doit être lié au fait qu’on veut traduire beaucoup plus de choses de l’anglais en français que le nombre de francophones qui comprennent véritablement l’anglais. Je vous ai déjà cité des horreurs même chez des grandes maisons d’édition, des gens qui nous écrivent des phrases qui ne veulent absolument rien dire parce qu’ils n’ont pas compris qu’il y avait une expression anglaise ou une citation de l’anglais et voilà, tout ça est assez consternant.
Ceci dit, il y a des, comment dire, il y a des références dans la littérature. Il paraît que le regretté Boris Vian ne comprenait pas grand-chose à l’anglais. Il était traducteur quand même de livres pour la Série noire et je crois qu’il s’en est expliqué en disant qu’il comprenait vaguement de quoi ça parlait et qu’il faisait un livre qui, souvent, était sans doute beaucoup mieux que celui dont on l’avait chargé d’assurer la traduction donc voilà, il y a une justification à ça. Récemment, il a été question de traduire un de mes livres en anglais. Quand c’est un petit texte, je le traduis moi-même, quand c’est un très long texte, on demande à des professionnels et là, la querelle s’est développée sur le fait que, quand je disais à cette personne que ça ne ressemblait pas, il me disait que c’était normal parce qu’il était traducteur et qu’en tant que traducteur, il produisait une œuvre originale. Alors, l’originalité de son œuvre, c’était donc de s’écarter de mon texte dans la traduction. J’ai dit que non, pour moi, une traduction, c’était essayer de rendre l’esprit d’un texte dans une langue, dans une autre. Ce n’est pas facile, ce n’est pas évident. Il faut souvent une très très bonne connaissance des deux langues pour pouvoir faire l’exercice.
Mais qu’est-ce que ça veut dire donc « VALIS » et « SIVA » ? Alors, « VALIS », il faut commencer par l’avant parce qu’il faut quand même dire « Vaste… », voilà, « Vaste… » et puis, comme c’est de l’anglais, il faut commencer par l’arrière : « … Système d’Intelligence Vivante Active », voilà. On a traduit ça plus ou moins de la même manière en français. On a oublié le « Vaste ». C’est quand même un aspect de la divinité qui est important, la vastitude. Alors, à quoi ça renvoie ? Eh bien, là, M. Philip K. Dick, l’auteur, ne vous laisse absolument pas dans le doute : « VALIS » est l’acronyme donc de ce que je viens de vous dire, c’est le nom d’un film américain : « une perturbation dans le champ de réalité dans laquelle se manifeste un tourbillon néguentropique spontané et auto-contrôlant qui tend progressivement à absorber et à incorporer son environnement pour en faire un arrangement d’informations. Il est caractérisé par là une quasi-conscience, des objectifs, une intelligence, la croissance et une cohérence semblable à celle du système des planètes et des étoiles », voilà ! Donc, ce n’est pas exactement Dieu : c’est une version de Dieu à la Philip K. Dick.
Quand vous regarderez la définition de ce livre, quand vous la regarderez dans Wikipédia, on vous dira qu’il s’agit d’un livre de science-fiction. Alors qu’il n’est question ni de science, ni de fiction dans ce livre et je suppose que le fait de parler de science-fiction est lié au fait qu’on a une fois pour toutes considéré que M. Philip K. Dick était un auteur de science-fiction et que, donc, tous les livres qu’il écrit sont de la science-fiction, ce qui n’est absolument pas le cas de celui-ci.
Si je vous donnais ce livre en ne vous disant pas qui en est l’auteur, et de le lire, et de me dire de quoi il s’agit, vous me diriez la chose suivante : « Il s’agit d’une personne qui a souffert pendant 8 ans de psychose et qui écrit un roman, un récit plus ou moins romancé, autobiographique, de cette expérience. Il met en scène cet épisode psychotique qui a été le sien et ce sont des réflexions à ce propos-là ». L’astuce de l’auteur est de faire la chose suivante : de se dédoubler. Il y a, d’une part, un narrateur qui s’appelle M. Philip K. Dick, qui était son vrai nom, né en 1928, mort en 1982, un auteur américain, et il y a dans son livre un personnage qui s’appelle Horselover Fat, ce qu’on pourrait traduire littéralement en « amateur de chevaux Gros ou Gras » et il y a une explication qui est donnée bien entendu, c’est que Philip, ça vient du grec et ça veut dire effectivement « celui qui aime les chevaux » et Dick, c’est le mot allemand, c’est le mot néerlandais aussi pour « gros ». Donc, il y a d’une part un narrateur qui est M. Philip K. Dick qui a véritablement existé et dans le roman, il y a un autre personnage dont il est longuement parlé qui est en fait le héros si on veut du livre, qui est quelqu’un qui a un nom qui est une paraphrase de celui du narrateur auteur, voilà.
Et l’astuce du livre, bien entendu, c’est de nous montrer ces deux personnages comme étant, d’un côté, l’auteur Philip K. Dick qui pose un regard froid sur la psychose de l’autre protagoniste et que vient un moment où le sort se dissout et où les deux personnages coïncident, où une enfant qui est une sorte d’oracle lui dit : « Mais il n’y a qu’une seule personne devant moi » et la psychose se termine : Philip K. Dick se rend compte que ce personnage de Horselover Fat, l’ami des chevaux Gros ou Gras, est un personnage qui n’a jamais existé, c’est un personnage illusoire qui se perdait dans ses délires et qui disparaît. Petite astuce en fin du livre : alors qu’on se félicite que le narrateur se soit débarrassé de son héros victime de la psychose, le personnage de Horselover Fat réapparaît et un dialogue se réinstaure entre Philip K. Dick et son double, son double handicapé mental.
Bon, alors, qu’est-ce que ça a à voir avec de la science-fiction ? Comme je l’ai dit : rien du tout. C’est un auteur qui a voulu faire un récit sur une expérience qui a été la sienne et en faire une sorte de compte-rendu, je dirais, « clinique », c’est-à-dire une analyse d’une extrême profondeur de ce que c’est que cette expérience de la folie dont il dit qu’il ne la recommande à personne et qu’il caractérise de différentes manières, en particulier en disant : « C’est une invasion du rêve dans la vie éveillée » et encore beaucoup, énormément de remarques sur ce que c’est que cette expérience. Il nous dit par exemple que là où la personne normale va vers l’explication la plus simple qu’on puisse imaginer, le fou part tout de suite dans l’explication la plus baroque que l’on puisse imaginer, la plus complexe, celle qui met en branle le plus grand nombre d’éléments et, bien entendu, qui fait intervenir des personnages soit réels, soit imaginaires, comme une station, un satellite soviétique qui envoie des ondes dans la tête, des thèmes classiques de la psychose, ce sentiment de la personne psychotique que sa pensée est en fait manipulée de l’extérieur.
Philip K. Dick était quelqu’un qui connaissait très très bien la littérature, connaissait très bien l’histoire des religions, connaissait très bien la psychiatrie pour l’avoir vécue en tant que patient, connaît très bien la psychanalyse. Je vous ai cité d’ailleurs dans un billet séparé sa remarque sur ce que fait le psychanalyste dans l’analyse freudienne. Il parle d’une balle, une balle qui est allée se loger dans le cœur de la personne malade et il s’agit pour le psychanalyste d’aller la retirer avec précaution. Une autre remarque sur la psychanalyse que je vais vous traduire en direct parce qu’elle me paraît aussi très très bien vue : « J’ai toujours dit à tout le monde que, pour chaque personne, il y a une phrase, un ensemble de mots, qui a le pouvoir de détruire cette personne. Il existe une autre phrase, une autre série de mots, qui peut guérir cette personne. Des personnes sans la moindre formation sont capables de trouver pour les autres la phrase qui peut être la phrase mortelle, la phrase létale, mais une formation bien précise est requise pour trouver l’autre phrase, celle qui lèvera le sort, celle qui fera sortir la personne de son enchantement ».
En relisant cette phrase, je pensais aux trolls. Je crois que les trolls, voilà, ce sont des gens qui se sont spécialisés, ils se spécialisent à essayer de trouver la phrase qui peut détruire quelqu’un. Et quand on est prévenu, bien entendu, que c’est ça leur exercice, ça peut être très amusant et je m’amuse assez souvent, vous avez dû le voir, quand il y a un message de troll qui m’est envoyé sur mon blog de la part d’une personne qui imagine que je n’oserai jamais mettre ça, je la mets avec… je renvoie la balle : je renvoie le sort. J’essaye de ne pas faire trop mal, j’essaye qu’il n’y ait pas, dans ma réponse, la phrase qui tuera cette personne. Je ne sais pas si j’y arrive toujours parce que, quand on renvoie la balle, on peut l’envoyer incidemment en plein visage de la personne qui se trouve en face. J’espère ne pas avoir fait trop de dégâts en renvoyant la balle à certains trolls !
Et donc, une réflexion d’une personne malade, qui a été malade pendant 8 ans et qui nous explique ce que ça a été et, en particulier, ce qui a frappé bien entendu, c’est que dans ces explications baroques auxquelles le fou recourt pour expliquer sa condition et pour expliquer le monde en général, il y a souvent un recours à la théologie. Pourquoi un recours à la théologie ? Ce n’est pas le Freud auteur de « L’avenir d’une illusion » qui nous dissuadera, il y a là, en termes d’explications que Philip K. Dick appellerait baroques, il y a là tout un trésor dans lequel on peut effectivement puiser. Et Philip K. Dick ne s’en prive pas. Il y a un aspect science si vous voulez dans la mesure où il invoque parfois des théories scientifiques de physique existant véritablement pour donner des explications très compliquées de son comportement mais le plus souvent, il utilise les théologies existantes. Il utilise essentiellement la théologie chrétienne. Il utilise aussi celle de la Grèce antique. Il parle du bouddhisme. Il parle également de l’hindouisme. Il a une très bonne connaissance des mythologies. Quand il fait des références, en général, c’est à des ouvrages de vulgarisation sur les sujets. Je ne suis pas sûr qu’il soit descendu véritablement en profondeur sauf dans un cas bien particulier qui est la gnose chrétienne qui est un sujet qu’il connaît très très bien et auquel il a consacré un ouvrage en particulier, également appelé pour des raisons mystérieuses « ouvrage de science-fiction », La transmigration de Timothy Archer.
Pourquoi Philip K. Dick était-il fou ? Là, il en donne l’explication. Il a abusé de substances extrêmement dangereuses. Il parle de LSD mais d’autres substances et aussi, il ajoute à cette raison, je dirais, purement pharmaceutique, des raisons d’ordre psychologique et en particulier, son attirance pour des femmes en danger et sa tendance à se laisser manipuler dans des situations de ce type-là. Et l’explication du dédoublement de sa personnalité serait la tristesse, la désespérance, dans laquelle l’a plongé le suicide d’une amie « Gloria » [Kathy Demuelle] dont il analyse très bien le comportement, la narratrice « Angel » par ailleurs, du livre « La transmigration de Timothy Archer », une personne qui a véritablement existé puisque ce « Timothy Archer » était un véritable évêque dans l’église épiscopale américaine : M. James Pike. Un mélange de personnages ayant véritablement existé. Il y a une petite bande qui constitue une société [The Rhipidon Society] dans le livre « VALIS » et qui est constituée en plus de Philip K. Dick et de son double psychotique, Horselover Fat, de deux de ses amis qui sont des auteurs de science-fiction dont vous pouvez trouver le nom [K. W. Jeter et Tim Powers] et trouver les ouvrages également par ailleurs, et aussi les personnages. Il évoque énormément de gens qu’il rencontre. Il évoque des incidents de sa vie qui sont connus comme le fait qu’il tombe amoureux de l’actrice [Kay Lenz] jouant Breezy, un des premiers films de Clint Eastwood metteur en scène, des choses dont on sait qu’elles ont existé véritablement dans la vie de Philip K. Dick.
« VALIS », comme il l’explique, c’est un film, c’est non seulement un Dieu, une des manifestations de Dieu sous cette forme de ce tourbillon auto-organisant et autocontrôlant, néguentropique, qui va dans le sens de l’organisation et qui est une métaphore je dirais, une explication par Dick du personnage de Dieu mais c’est aussi un film. Un film qui est mis en scène par un personnage dont il est dit, de manière transparente qu’il s’agit en réalité du chanteur et acteur britannique David Bowie, et qui joue aussi un rôle dans ce film « VALIS ».
Le film « VALIS » nous est expliqué et ça ressemble très très fort à un film expérimental de David Lynch et je me demande si, quand David Lynch, dans la nouvelle saison [3] de Twin Peaks, fait son épisode – si j’ai bon souvenir, c’est l’épisode n° 8 [« White Light White Heat »] – qui est entièrement onirique, cela ressemble très très fort au récit de « VALIS » le film dans le livre de K. Dick.
Alors, dans toute cette mythologie, toute cette théologie, tout ce qu’on trouve là dans « VALIS », il est question de La Matrice, La Matrice du temps et de l’espace : ça fait partie bien entendu du matériau qui a été utilisé, – comme celui dans d’autres livres de Dick – pour la série de films « La Matrice ». L’œuvre de Dick en est l’inspiration même s’il n’est pas l’auteur à proprement parler du scénario. Je vous rappelle que Dick, mourant en 1982, n’a vu aucun de ses livres porté à l’écran. Au moment où il meurt, il a vu des rushes de « Blade Runner » qui est la version cinéma, de Ridley Scott, du livre de Philip K. Dick qui s’appelle « Do Androids Dream of Electric Sheep? ».
« VALIS », un livre tout à fait remarquable du point de vue d’un récit sur la psychiatrie, sur la psychose, par une victime qui en parle sur un mode romancé mais qui en parle avec une énorme connaissance fondée sur l’introspection, sur un regard sans doute pendant ces 8 années sur ce que c’est exactement que ces épisodes délirants et une très très bonne connaissance de la psychiatrie et de la psychanalyse qui fait de ses analyses de tout cela quelque chose de passionnant.
On peut lire le livre aussi dans une autre perspective, on peut le lire comme étant la création d’une religion particulière parce que Dick a pris un soin considérable de rédiger ce système qu’il a inventé et il y a un appendice à la fin qui est extrait d’un très grand manuscrit à lui qui s’appelle « Exégèse » et cet appendice dans le livre est appelé « Tractates Cryptica Scriptura » : un traité sur l’écriture cryptique. Il a essayé de faire un système, un système théologique véritable à partir de son délire psychotique.
Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire en une autre occasion, quand il a fait une conférence à Metz dans une convention de science-fiction et où les spectateurs s’attendaient à entendre un auteur de science-fiction parler de ses livres de science-fiction, il les a pris complètement à contrepied en se présentant là pas du tout comme un auteur de fiction mais comme étant un prophète. Je vous ai parlé de ça. Ce discours de Metz est un texte qui n’a pas été compris à l’époque. On ne s’attendait pas du tout à ce qu’il y ait là quelqu’un qui vous dise : « Je ne suis pas un auteur de fiction. Je suis authentiquement un prophète » et qui apportait une série d’éléments pour en faire la preuve. Personnage très particulier bien entendu, ce Dick, dont on ne sait pas si, quand il nous dit qu’il n’y a pas de fiction jamais chez lui mais uniquement son regard à lui, un regard de voyant sur des réalités alternatives, on a le sentiment que selon les époques, quand on lit « VALIS », on a le sentiment que selon les époques, il était plus ou moins convaincu de sa qualité d’auteur de romans qu’on appelle abusivement souvent de « science-fiction » alors qu’il s’agit d’autre chose et, à d’autres moments, de prophète. J’ai le sentiment qu’il y a eu une alternance chez lui, qu’il a cru les deux à différentes époques mais comme il considérait non seulement que le temps n’existe pas véritablement mais qu’il existe quelque chose qui s’appelle « Zebra » et que Zebra, ce zèbre, c’est la constitution de l’ensemble des personnes que nous sommes en parallèle. Il est bien possible que Philip K. Dick, auteur critique de la psychose de Horselover Fat et Horselover Fat lui-même ne soient que des lamelles, les lamelles différentes d’un personnage qui était à la fois auteur de fiction et véritable prophète dans une religion inventée par lui où se trouvent énormément d’éléments du christianisme mais aussi des religions antiques et de l’ensemble des peuples. Il est question aussi du monde parallèle, du monde du rêve des Australiens. Il a fait de tout cela sa représentation de Dieu, de VALIS, de ce Vaste Système d’Intelligence Vivant Actif, voilà. Allez, à bientôt.
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