Piqûre de rappel : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » : Conclusion, le 29 août 2016

le dernier qui s'en va...Conclusion

Ce que j’ai essayé de faire dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière, c’est offrir une description réaliste et véridique de notre sort comme étant le moyen qui nous permettra d’abord de sortir notre espèce de la dépression chronique dans laquelle elle est tombée aussitôt qu’elle a pleinement pris conscience que chaque individu humain ne vit qu’un temps, et de renverser ensuite la tendance qui nous conduit, si nous ne réagissons pas avec la plus extrême vigueur, droit vers l’extinction.

Le pari fait ici – sans grand enjeu bien entendu si personne ne me lit ou ne prête attention à ce qu’il lit –, c’est que le tournant décisif pour notre espèce ne pourra être négocié victorieusement que si le genre humain atteint d’abord l’âge adulte, l’âge « positif » qu’appelait de ses vœux Auguste Comte. Et ceci signifie examiner le problème de l’extinction menaçante dans les termes où il se pose véritablement, en lui retirant toutes les fioritures, les embellissements, les festons et les astragales, dont nos aïeux se sont cru obligés de charger la question pour éviter d’examiner la réalité sous une lumière jugée trop crue : tous les « Dieu a créé tout ce que nous apercevons autour de nous, nous-mêmes y compris, et continue de veiller sur l’ensemble », « l’homme est rationnel et sa volonté lui permet de réaliser ses intentions », « l’espérance, ça marche ! », « la technologie, la nôtre ou celle d’extra-terrestres bienveillants, semblable à Zorro, nous sauvera in extremis », et ainsi de suite. Tout cela ne nous tirera pas d’affaire : le temps est venu pour la lucidité de prendre le relais.

Le livre étant sur le point de se clore, le portrait achevé est celui que l’un de mes lecteurs brossait ainsi :

« Nous ne savons pas intégrer notre mortalité. Nous ne nous connaissons pas, conscience et volonté sont des reflets déformants de nous-mêmes. Nous sommes des marionnettes que dirigent nos désirs, nos pulsions, nos instincts (sexuel, reproductif, etc.) bien plus que nos acquis culturels. Le langage (intime ou interpersonnel) est un artefact qui renforce l’illusion de notre volonté, un paravent derrière lequel nous cachons nos faiblesses, nos fautes, et qui nous masque la réalité. »

Et je lui répondais : « Oui, c’est exactement cela ! À ceci près que je n’y vois rien, comme vous pensez nécessaire de conclure, « d’abyssal, de misanthrope ou d’exagérément plaintif » », parce que selon moi si l’inventaire des moyens dont nous disposons est biaisé et si l’évaluation que nous faisons ensuite de l’usage que nous pouvons en faire n’est pas réaliste, notre pari est perdu d’avance. Il est indispensable que nous sachions de combien de divisions nous disposons et dans quel état de marche. »

Toute déviation d’un tel programme est vouée à l’échec. Pensons par exemple à Servigne & Stevens qui décrivent une évolution séculaire dans la prédation que nous exerçons sur la planète et où une dégradation irréversible s’est amorcée plusieurs siècles avant nous, pour affirmer ensuite : « Retroussons nos manches ! ». La contradiction perçue entre le sous-entendu qu’il est beaucoup trop tard, et l’affirmation qu’il est encore bien temps, est alors démobilisante. Un autre exemple, l’encyclique Laudato si’ qui exprime une vérité sidérante par son irréfutabilité : que seul l’amour peut nous sauver, mais celle-ci perd de son caractère percutant du fait qu’elle est enrobée de manière infantilisante dans un conte de fées venu du fond des âges ignorant délibérément la voie de la description réaliste et véridique. La générosité débordante ne parvient pas à pallier le manque criant de lucidité.

Ceci étant dit, s’il devait se vérifier que nous préférerons disparaître plutôt que de cesser de croire au Père Noël, je n’en serais pas autrement surpris, j’aurais simplement fait ce qui est le devoir de tout représentant d’une espèce en voie de disparition : prôner ce qui m’apparaît comme la seule voie à suivre pour prévenir son extinction. Tenter de réveiller le plus grand nombre de consciences, dire : « Voilà qui nous sommes – sans fard, voulons-nous faire ce qui nous semble juste pour prévenir l’extinction de notre espèce laquelle, si nous ne faisons rien pour l’empêcher, est de l’ordre de la certitude absolue ? »

On pourrait rétorquer : « Quelle importance que ce soit un robot plutôt qu’un être humain qui lise Aristote ou Shakespeare dans deux cents ans et qui soit ému lui aussi par le génie de ces deux auteurs ? Robots ou humains, la chose est indifférente : ils sont au même titre nos enfants ! ». C’est vrai : l’élan débordant de cette vitalité que nous admirons dans le biologique se sera perpétué par d’autres moyens. Il sera sans doute fondé dorénavant sur du métal, du plastique et de la fibre de carbone ou de verre, plutôt que de l’os, de la chair et du sang, mais au nom de quel principe mal défini considérer qu’une telle différence est cruciale ?

Cela dit, notre espèce est la nôtre, et quitte à verser dans un sentimentalisme d’espèce imbécile, pourquoi ne pas espérer qu’elle survive, et tant qu’à faire, et pour changer un peu, dans un bonheur moins chichement obtenu et plus généreusement partagé ?

Ne serait-ce pas formidable après tout que nous fassions la preuve que nous pouvons véritablement modifier notre destin, non pas en créant des machines – puisque cela, nous sommes experts à le faire : c’est le bon côté du caractère opportuniste de l’espèce à laquelle nous appartenons – mais que nous puissions le faire pour son bien ? Ce serait splendide, bien sûr, et ce serait aussi une grande première puisque cela ne s’est malheureusement encore jamais produit.

Si j’échoue ici : si je convaincs seulement ma lectrice ou mon lecteur que l’aventure est terminée, j’espère lui avoir au moins apporté au passage la consolation : avoir rassemblé des éléments qui lui auront permis, à titre personnel, de faire le deuil de l’espèce humaine, une aventure qui, quoi qu’on en pense au bilan, aura marqué l’histoire de l’univers. Il y a tant de planètes en effet où il ne se passe rien de fort intéressant.

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17 réponses à “Piqûre de rappel : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » : Conclusion, le 29 août 2016”

  1. Avatar de PierreC
    PierreC

    Merci Paul de ce texte qui « vaut testament » !? 🙂

    1. Avatar de Hervey
  2. Avatar de pierre guillemot
    pierre guillemot

    Opinion de C.N. Parkinson dans son livre (né manuel universitaire pour le premier cycle)  » L’évolution de la pensée politique » : les hommes de pouvoir ne sont jamais influencés par les penseurs politiques de leur temps, mais par d’autres morts depuis longtemps, et généralement sans en avoir une conscience claire. Dans le schéma posé par « Le dernier … « , Il n’y aurait donc aucun espoir que ce livre ait une influence, puisqu’il pose que les politiciens du temps futur n’existeront pas. Reste la joie professionnelle de l’officier météo qui a annoncé à l’amiral qu’il y a un typhon sur la route de l’escadre et qu’il serait bon de se dérouter. L’escadre est dans le typhon, les navires sombrent et ça va être le tour du vaisseau amiral. L’officier météo sait qu’il va disparaitre avec tout le monde mais il est parfaitement heureux.

      1. Avatar de Christian Brasseur
        Christian Brasseur

        Avoir l’assurance du pouvoir ne veut pas dire « être une lumière » 😉

  3. Avatar de Karluss

    nous ne sommes qu’un pont au-dessus du précipice, alors il faut l’enjamber pour atteindre le surhumain… vite !

  4. Avatar de gaston
    gaston

    C’est à la suite de cette émission que je vous ai découvert, puis acheter vos ouvrages, et vous suivre sur ce blog :

    https://www.pauljorion.com/blog/2016/03/29/leurope-1-social-club-de-frederic-taddei-demain-jeudi-24-mars-de-20h-a-22h/

  5. Avatar de Emmanuel
    Emmanuel

    En lisant le texte, il me vient l’idée d’une similitude avec celle d’un patient qui aurait appris par son médecin qu’il fait l’objet d’une maladie incurable entrainant sa mort certaine à brève échéance…. je n’en n’ai pas l’expérience personnellement. Sauf à savoir qu’un jour, se rapprochant de jour en jour (sic !), je vais mourir comme tout le monde. Avec deux pensées corolaires : faire tout le possible pour que ce soit le plus tard et dans un état un meilleur physique et psychique possible ; et deuxièmement, comment apporter le plus à mes proches et semblables, et à mes descendants, d’ici là et pour après la mort…Pas évident….

  6. Avatar de Didier Rombosch
    Didier Rombosch

    sous une lumière crue :

    1. Avatar de PHILGILL
      PHILGILL

      sous une lumière subliminale :

  7. Avatar de Guy Leboutte

     » si nous préférerons disparaître »

    Pourquoi dire que si nous disparaissons, cela exprime une « préférence » ?
    L’Histoire comme « process sans sujet » me paraît réaliste.

  8. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Dans le domaine artistique, l’attrait d’une œuvre malgré le temps qui passe, est un bon moyen de faire le tri. On peut interpréter ce phénomène comme étant le signe de sa pertinence à restituer l’époque, son encrage historique et pour certaines les invariants de la « nature humaine » sur lesquelles il est possible d’imaginer le futur.
    Dans leur quête artistique, les hommes qui font l’histoire s’appuient sur des nouveaux médias, des nouveaux langages, qu’ils inventent, qu’ils détournent, ou que l’évolution de la technique leur met à disposition. Toutes les créations humaines sont vivantes, elles connaissent donc l’apogée puis le déclin. C’est donc naturellement que les artistes choisissent le nouveau pour porter leurs messages le plus loin et le plus longtemps possible.
    Je pense que l’internet, qui vit sa période Mésozoïque (dinosaure), n’a pas encore eu droit à son précurseur (precog), son artiste capable de l’exploiter pour nous fournir sa vision du futur, à moins que ce soit l’IA encore en gestation..
    Je crois aussi que les médias sont les piliers de notre culture. Le 7ième arts, nous a fourni les meilleures visions réalistes de notre futur pour la grande majorité sombre, noir et sans espoir.
    Perso, la musique de Bach c’est (La Bible + The Matrix + Total Recall + Elysium + …)^2.

    1. Avatar de Hervey

      Les premiers cartographes étaient des dessinateurs et pour ce qui est de cartographier le futur, pas besoin de brancher le télescope, Paul Jorion est là pour vous écarquiller les yeux, un artiste, vraiment.

      Cherchez plus. 😉

  9. Avatar de gaston
    gaston

    Un nouveau pavé dans la mare de ceux qui croient que la science et la technologie nous sauveront in extremis :

    L’ONG américaine EDF (Environmental Defense Fund) a publié une étude récente citée par le site de guide d’achats Frandroid (certes très pro-voiture électrique) selon laquelle la technologie relative à l’usage de l’hydrogène n’est pas du tout au point et comporte des risques environnementaux démesurés.

    https://www.msn.com/fr-fr/actualite/technologie-et-sciences/vous-comptez-sur-la-voiture-%C3%A0-hydrog%C3%A8ne-pour-sauver-la-plan%C3%A8te-cette-nouvelle-%C3%A9tude-va-vous-refroidir/ar-AA10Z6bG?ocid=msedgntp&cvid=10640976cb1547fab694941b083954a6

    Donc une fois de plus, ne nous leurrons pas sur les solutions technologiques !

  10. Avatar de Otromeros
    Otromeros

    Macron propose à certains d’éteindre leur lumière…

    https://www.lefigaro.fr/politique/avant-la-rentree-du-gouvernement-emmanuel-macron-evoque-la-fin-de-l-abondance-de-l-insouciance-et-de-l-evidence-20220824

    …à certains…

    Pendant ce temps-là :

    ÉCONOMIE – Des sommes colossales.
    Les grandes entreprises dans le monde, en particulier en France, ont continué de verser au cours du deuxième trimestre des dividendes à des niveaux record, redistribuant à leurs actionnaires les colossaux profits de l’année passée, selon une étude trimestrielle publiée ce mercredi 24 août.

    En France, un nouveau record en euros a même été battu pour un deuxième trimestre, avec 44,3 milliards versés, selon les données collectées par le gérant d’actifs Janus Henderson.
    Dans le pays, « les dividendes ont augmenté de 32,7 % au deuxième trimestre », soit un rythme « supérieur à la moyenne européenne » souligne Charles-Henri Herrmann, directeur du développement France et Bénélux de Janus Henderson, cité dans le rapport.

    35 milliards d’euros de bénéfices nets en 2021 pour 4 entreprises françaises .
    Quatre entreprises françaises figurent dans le top 20 des plus gros verseurs du trimestre, avec BNP Paribas (6e), Sanofi (10e), Axa (12e) et LVMH (14e). Elles avaient cumulé 35 milliards d’euros de bénéfices nets en 2021.

    Cette étude est publiée alors que le gouvernement français, contrairement au choix fait par d’autres pays, s’est montré défavorable à une taxe sur les bénéfices exceptionnels des grands groupes, notamment dans le secteur de l’énergie.

    Le 1er août, le Sénat à majorité de droite a rejeté, comme l’Assemblée nationale avant lui, l’idée d’une taxe sur les « superprofits » ou « bénéfices exceptionnels » des grands groupes. Et cela malgré une offensive conjuguée de la gauche et des centristes.

    Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait dit son opposition au « réflexe pavlovien de la taxe », soutenant que les grandes entreprises « doivent participer à l’effort collectif, en rendant l’argent directement aux Français plutôt qu’au Trésor public ».

    « Il manquait 10 voix. Pour en finir avec cette politique qui aide sans contrepartie les entreprises faisant le + de bénéfices mais redistribuant en dividende. Celles qui usent de la spéculation, de l’optimisation pour ne pas payer justement l’impôt », a regretté le député LFI Éric Coquerel.
    ((Les députés de l’opposition souhaitaient une « taxe exceptionnelle de 25 % sur les superprofits » des différentes sociétés, pétrolières et gazières, de transport maritime ou les concessionnaires d’autoroute.))
    …(…)…
    Avec 544,8 milliards de dollars entre avril et juin versés dans le monde sous forme de dividendes, les 1200 entreprises étudiées par le gestionnaire d’actifs ont en moyenne distribué 11% d’argent de plus qu’au cours de la même période l’an passée.

    Il s’agit d’un nouveau record pour un deuxième trimestre, après un début d’année déjà faste. Sans compter les effets de changes ou les versements extraordinaires, la progression atteint même 19,1%.

    Sur le plan mondial, 94% des entreprises ont maintenu ou augmenté leurs versements au cours du deuxième trimestre.</b<  »
    HuffingtonPost 24/08/22.

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