Réflexion sur la taxation des dividendes et plus-values, par Édouard

Billet invité.

Bonjour M. Jorion,

Je suis très souvent en accord avec votre point de vue, et j’utilise souvent vos éclairages pour comprendre des situations qui m’échappent (via votre blog et vos ouvrages). Donc merci !

Cependant, en tant que jeune dirigeant de start-up (que j’ai fondée moi même il y a un peu plus d’un an), je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur le « capitalisme de connivence » qui aurait poussé le gouvernement à reculer sur la mesure de l’augmentation de la taxation des dividendes.

Beaucoup (trop, bien entendu) profitent de ce système pour camoufler une rémunération, et il faut l’éviter à tout prix. Or, l’amalgame est dangereux. De mon côté, j’ai choisi de quitter un emploi qui était très bien payé (50k€/an à 25 ans, j’étais quand même bien loti) pour « monter une boîte » comme on dit, en espérant trouver un sens à ma vie, au moins professionnellement.

Mon métier était un métier de capitalisme idiot, qui consistait à sous-payer des gens pour vendre leur services très chers à des sociétés qui en avaient les moyens, mais qui ne voulaient pas s’encombrer de masse salariale. Au bout de 2 ans, j’en ai eu marre, je n’étais pas en adéquation avec les valeurs que je souhaitais défendre, et je suis parti en 2013 pour faire quelque chose dont je pourrais être fier, à défaut de quelque chose qui me rendrait « riche » (le terme est très relatif…)

Depuis 18 mois donc, je tente coûte que coûte, via ma start-up, de mobiliser l’épargne « dormante » des particuliers français (ou pire : l’épargne « spéculante ») pour aider les jeunes entreprises qui ont des projets socialement responsables (écologie, emplois, santé/bien être) à financer leur croissance, et donc à financer la création d’emploi local. J’ai ainsi monté une plateforme de crowdfunding. Cela fait donc 18 mois que je n’ai aucun revenu (et je ne suis pas près d’en avoir, le peu d’argent récolté étant tout de suite réinvesti en prestations diverses, ou, dernièrement, en embauche de salariés apprentis).

Je vis donc une situation financière assez délicate (je ne me plains absolument pas, c’est une situation que j’ai choisie : j’aurais pu rester salarié et dire merci tous les mois quand on me versait mon salaire non mérité). En écoutant Jacques Attali dernièrement, je me rends compte que lui-même prône ce comportement, grand bien m’en fasse !

J’ai franchi ce pas bien entendu parce que je croie en mon idée et en son bien-fondée, mais également car j’espère pouvoir en vivre un jour, et pourquoi pas en vivre confortablement. J’ai tellement de projets en tête (culturels, scientifiques, sociologiques) qui pourraient se transformer quasiment en autant de petites entreprises, que si j’ai un jour la chance de récolter les fruits de ce travail, croyez-moi, il sera utilisé de manière pertinente (ie, pas en call sur des matières premières)

En acceptant de ne percevoir aucun salaire (0€), j’espère donc, un jour, m’y retrouver financièrement en me versant une petite partie des bénéfices, ou alors en faisant une plus-value le jour où une grosses industrie souhaite acquérir mon entreprise. Plus on taxe ces sources de revenus, et moins j’ai envie de me faire du mal pour essayer de faire changer les choses qui ne vont pas… Je vais probablement perdre mon logement (que je ne peux plus payer) d’ici quelques mois, tout ça pour essayer de créer de nouvelles richesses : plus humanistes, plus respectueuses. J’espère que le pari que je fais s’avérera gagnant à long terme. S’il est gagnant, mais que tout ce que j’y gagne, c’est d’aider l’état à rembourser ses dettes dues en grande partie à son incapacité à gérer proprement ses finances, via un amas de complexité que plus personne n’arrive à appréhender, je regretterai amèrement mon choix de vie.

Il est important de faire une distinction claire entre les entrepreneurs d’un côté (qui investissent leur propre capital, aussi modeste soit-il, pour créer des richesses et des emplois) et les purs investisseurs/spéculateurs ou grands patrons (marionnettes des investisseurs) de l’autre. Il me semble que cette distinction, même si on la perçoit dans certains de vos livres, reste absente des derniers essais que l’on peut lire sur le blog… C’est dommage.

Voilà, c’était juste une petite réflexion suite à la lecture de votre vidéo de ce matin ! 🙂 Je me sens donc très proche du mouvement des « Pigeons », et à mille lieues (voire dix mille) du mouvement du Medef…

A bientôt, et bravo pour tout ce que vous faites ! Nous ne sommes pas d’accord sur un point, ça ne m’empêchera pas d’être d’accord avec vous sur d’autres !

Cordialement,

Edouard

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86 réponses à “Réflexion sur la taxation des dividendes et plus-values, par Édouard”

  1. Avatar de juannessy
    juannessy

    L’entrepreneur (tel que conscientisé aujourd’hui) possède ?

    Le créateur ( tel que souhaité aujourd’hui et futur entrepreneur de demain ) détient ?

  2. Avatar de Alain Cabos
    Alain Cabos

    C’est à partir de cette « toupie folle » qui est à la tête de l’Etat que Paul nous a invités à réfléchir.
    Toupie folle, en effet, car cette idée de taxer les dividendes dans les TPE et PME traduit l’incompétence au plus haut niveau et même la perte de boussole.
    Incapables de remettre à plat l’ensemble des règles fiscales, les incompétents au plus haut niveau fonctionnent à coups de menton. A la manière d’une certaine ministre de l’écologie de sortir d’un chapeau la gratuité des autoroutes le WE : pas de réflexion digne de ce nom, pas de vision qui se traduirait en plan d’actions et en résultats efficaces. Ici, comme il faut à tout prix trouver des recettes, j’imagine dans les allées du « Pouvoir » qu’un zozo a émis l’idée de taxer les dividendes, idée aussitôt traduite en projet de décret et tout aussitôt balayée à la première réaction …
    Quant à l’engagement initial de tout mettre à plat dans le droit fil des suggestions de PIKETTY, engagement officiel, ce n’était qu’une parole en l’air : ça traduit on ne peut mieux à qui nous avons à faire.
    Capitalisme de connivence s’apparenterait ainsi, pour nos gouvernants, à se faire balloter à tous les vents ?

  3. Avatar de maris
    maris

    Je ne voudrais pas être dur : mais je trouve à avoir affaire avec quelqu’un typiquement formé dans un cadre libéral. Ne sachant pas sortir du système même en « créant » sa propre entreprise, qui, à moins d’avoir mal compris ne sert que de marchepied à autres entreprises que je qualifierais d’écolotechnocrate, autrement une façade pseudo écolo avec un dos totalement libéral. Il fait donc partie de ces petites PME qui se font plumer par d’autres. Ajoutons l’espoir d’être racheté par une autre(grosse ?)…Quel malheur ! J’ose espérer que les jeunes voient plus loin !

  4. Avatar de Velka
    Velka

    La question n’est elle pas : sans entreprises, ou sans entrepreneurs, y aurait t’il de l’emploi ?
    A mon avis, la rémunération d’un entrepreneur me parait aussi justifiée que celle d’un employé, sinon même proportionnellement plus. Par rapport aux prélèvements de l’état, elle me semble même carrément prioritaire, d’autant plus si l’état gaspille joyeusement.
    Si l’on supprimait l’emploi (ou le statut d’employé). Sans emploi, pas de salaire… Il faudra donc trouver une solution pour (par exemple) se nourrir… Je pense qu’il faudrait se mettre à travailler.
    Edouard a quitté son emploi pour créer sa propre activité, donc son travail…

  5. Avatar de juannessy
    juannessy

    Où l’on touche du doigt que la fiscalité ( et pas seulement ,loin s’en faut, la taxation des dividendes ) est le révélateur cru d’un système de pensée, de conception de l’économie et de conception de la Cité .

    Comme on nous promet un rapprochement des fiscalités en Europe ( au moins celle des 12 selon Giscard ) , on est en droit de se demander si , après avoir dit faire l’Europe par la monnaie ,la tentation n’est pas de la faire par la fiscalité qui sous tend une vision du monde et des rapports humains qui mériteraient d’autres lieux plus visibles et démocratiques que les couloirs d’assemblées plus ou moins représentatives .

    La démocratie continue à faire peur en Europe .

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