NOS AMIES LES BANQUES… par François Leclerc

Billet invité.

À l’heure où la Société Générale fait les titres, est-il utile de dresser la liste des grandes banques européennes prises la main dans un sac ou dans un autre ? Il est plus vite fait d’établir celle des banques auxquelles rien n’est reproché ! Car ce sont toujours les mêmes que l’on retrouve dans le collimateur, chaque fois qu’un nouveau scandale apparaît.

Le scandale international du moment concerne toujours les manipulations des transactions sur le Forex, le colossal marché de gré à gré des changes, où elles ne sont pas centralisées. On ne peut qu’estimer le volume de ce haut lieu de la spéculation : 5.000 milliards de dollars quotidiennement, au bas mot.

Les banques se sont prêtées à des manipulations de leurs traders sur les principaux marchés financiers, sans que l’on sache si elles ont simplement fermé les yeux sur leurs agissements ou si elles les ont organisés, attitude répréhensible dans les deux cas. Les amendes continuent donc à pleuvoir, dépassant souvent le milliard de dollars pour chaque banque et n’épargnant pas les établissements européens, qui provisionnent à tour de bras en attendant de nouveaux verdicts.

Aux États-Unis, les autorités judiciaires ne se satisfont plus des « Deferred Procedure Agreements » (DPA), qui permettent aux banques d’éviter de plaider coupable, d’échapper ainsi à des suppressions de licence, et de ne pas prêter le flanc à des actions en justice de clients lésés. Le ministère de la justice réclame dorénavant que les banques reconnaissent leur culpabilité, même s’il est parfois accepté qu’elles biaisent en utilisant des filiales afin de circonscrire les dégâts. Pour les peines de prison infligées à l’encadrement pour délinquance financière aggravée, il faudra encore attendre un peu…

S’ajoutant à des causes réglementaires et de marché, ces amendes contribuent à la chute de la rentabilité des banques. Selon une étude du Boston Consulting Group, le rendement des capitaux propres (ROE) du secteur des banques de financement et d’investissement est passé de 11 % en 2013 à 7 % en 2014 et pourrait chuter jusqu’à 6 % en 2016, alors que couvrir le coût du capital supposerait d’atteindre un ROE de 7 %, selon la même source.

Toutes les banques sont atteintes, et le système bancaire allemand n’y échappe pas. On savait que Commerzbank, la deuxième banque allemande en termes de capitalisation bancaire, était particulièrement mal en point, partiellement nationalisée, bénéficiaire de 18,2 milliards d’aide publique sous diverses formes dès 2008, dotée ensuite d’une bad bank et recapitalisée depuis à cinq reprises. Mais la toute puissante Deutsche Bank, qui revendique sa place au Top 5 mondial, n’est pas non plus en très grande forme. Elle a ramené à 10 % en 2016 son objectif de ROE, initialement de 12 %, mais comment pourrait-elle y parvenir, son bénéfice net ayant chuté de moitié au premier trimestre de cette année ? Elle a bien levé 12 milliards d’euros sur le marché, mais ils ont servi à éponger les dédommagements et pénalités infligées à sa banque de financement et d’investissement…

Ne pouvant revenir sur le marché après avoir trompé les investisseurs en leur expliquant qu’elle avait l’intention d’investir, la Deutsche va devoir subir une importante cure d’amaigrissement en cédant des activités, ou en se retirant d’autres, afin de faire face à ses besoins financiers et de réduire son exposition, car elle ne pourrait pas en couvrir le risque. Mais les analystes financiers restent sceptiques à propos des effets de ces mesures et du redressement de la banque.

L’exposition des deux grandes banques allemandes à Heta, la bad bank autrichienne de Hypo Alpe Adria qui est virtuellement en faillite, ne va rien arranger. Au passage, les grandes banques autrichiennes sont toutes très exposées à l’Ukraine et à la Russie, ainsi qu’aux Balkans, régions où l’activité économique est stagnante ou déclinante. Les banques régionales allemandes (Landesbanken) sont quant à elles frappées de plein fouet et réduisent leurs bilans. Les plus solides vont devoir se restructurer en se concentrant, et les autres sont condamnées à disparaitre, n’ayant pas les moyens d’appliquer le ratio de financement à long terme de Bâle 3. Sans attendre cette échéance de 2019, plusieurs d’entre elles sont fort exposées à Heta, d’autres ayant déjà été renflouées avec des milliards d’euros en raison de la crise du transport maritime.

Comme Commerzbank, elles avaient beaucoup investi dans les crédits subprimes américains et multiplié les prises de risque, disposant de garanties publiques. Il en a déjà résulté le démantèlement de WestLB, mais ce n’est pas fini : tout le secteur est en péril, à la recherche d’un nouveau modèle d’affaires introuvable. Interrogée par l’AFP à propos de l’état du système bancaire allemand, la Bundesbank chipote pour ne reconnaître que la nécessité en général de trouver un nouveau modèle économique et que « l’emprise politique sur les banques ne va généralement pas dans le sens d’une économie de marché », en référence explicite aux Landesbanken régionales, mais sans les identifier. Au profit de cette démonstration confortant sa théologie, elle tait la situation des deux plus grandes banques privées allemandes.

Pour élargir ce tableau, il n’est pas besoin d’aller du côté des banques espagnoles régionales, les Caixas. Leur écroulement a été évité au prix d’aides financières publiques pour plus de 50 milliards d’euros, de restructurations en série et de ventes, ainsi que par la création d’une bad bank, la Sareb, dont l’État sera plus tard amené à éponger la moitié des pertes, au prorata de sa participation au capital. Ni du côté du Portugal, où la vente de Novo Banco – dont le produit doit permettre de dégager de quoi rembourser l’apport initial en capital public lors de sa constitution – est de ce point de vue mal partie.

Il est encore plus instructif de jeter un coup d’œil en Italie, qui fait l’objet de moins de discussions. Selon la Banque d’Italie, le montant des créances douteuses des banques – résultat d’années de récession – serait toutes catégories confondues de 372 milliards d’euros, dont 187 milliards déclarées irrécouvrables. Une solution est à l’étude, qui pourrait être la création d’une bad bank publique, mais ce serait malvenu par ces temps de bail-in (sauvetage ne faisant pas appel aux fonds publics), déjà que les cas espagnols et portugais ne respectent pas les nouvelles règles du jeu affichées pour d’impérieuses raisons politiques. Mais dans cette attente qui s’est installée, les créances douteuses les plus risquées ont progressé de 15,6 % durant les douze derniers mois…

Le sort qui va être réservé à Heta, une fois passé le gel des créances d’un an institué par le gouvernement autrichien, est un autre cas intéressant quant à l’application du bail-in dont il est assuré qu’il protège désormais les contribuables, c’est promis ! Rien n’est en effet prévu dans les textes de l’Union bancaire pour les structures de défaisance (les bad banks). Serait-ce un hasard, à observer comment elles ont finalement poussé comme des champignons ?

Et dans les autres pays, dont la France ? Les banques y sont particulièrement transparentes et ne dissimulent rien, il n’y a aucune raison d’en douter. La manière exemplaire dont Jérôme Kerviel a été jugé est là pour en témoigner, comme cela vient d’être mis en valeur par la fonctionnaire de police intègre qui a mené l’enquête….

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