Le Monde / L’Écho – La crise obligataire qui vient, le mardi 21 juin 2016

La crise obligataire qui vient

Depuis le dénouement de la crise des subprimes, les points de faiblesse au sein du secteur financier se sont multipliés, non pas parce que le nœud des problèmes qui s’étaient posés n’aurait pas été localisé précisément et sa nature, analysée comme il l’aurait fallu, mais en raison du veto de fait que les milieux financiers ont su opposer aux projets de réforme : blocage de mesures proposées, absence de financement des équipes à mettre en place, tirs de barrage par des plaintes déposées devant les tribunaux.

Un point de faiblesse susceptible d’être à l’origine d’une nouvelle crise de grande ampleur est constitué du coupon anémique quand il n’est pas négatif, des principales dettes souveraines. Le foyer existe désormais d’une infection majeure, dont les effets catastrophiques pourraient se manifester si un enjeu incertain faisait perdre aux marchés leur sang froid – le referendum britannique du Brexit, par exemple.

Les rendements élevés des placements reflétaient autrefois une croissance économique vigoureuse (et sa part de pillage irresponsable des ressources de la planète). Les temps ont changé : les dividendes des entreprises qui, à l’Âge d’Or, étaient des parts de bénéfice, sont aujourd’hui souvent financés par la méthode autrefois honnie du recours à l’emprunt, le cours en bourse des entreprises est dopé, soit par le rachat de leurs propres actions à l’aide de cash surnuméraire, soit par la bulle que génère l’assouplissement quantitatif prodigué par les banques centrales dont les munificences peinent à trouver leur voie vers l’économie, faute de pouvoir d’achat chez les populations ployant sous le joug de l’austérité.

Les rendements élevés ne reflètent plus désormais que le montant de la prime de risque de crédit implicite aux instruments de dette pour lesquels le remboursement du principal ou le versement des intérêts sont problématiques. Un rendement n’est plus élevé aujourd’hui que s’il contient, encapsulées, les réserves constituées en prévision d’un désastre.

Le Wall Street Journal nous rapportait le 31 mai un calcul fait par Callan Associates, un cabinet de conseil aux investisseurs, quant à la façon dont il est possible aujourd’hui de se constituer un portefeuille au rendement annuel de 7,5%, sachant que la chose était possible en 1995 avec un portefeuille purement obligataire.

En 2015, nous dit Callan, le même rendement peut être obtenu en combinant 12% d’obligations, 63% d’actions, et 13% d’immobilier. Le portefeuille purement obligataire de 1995 encourait, selon la firme, un risque de variation de 6%, celui de 2015, un risque de variation de 17%.

Même si ce chiffre de 17% en 2015 est près de trois fois plus élevé que celui de 1995, il demeure dramatiquement sous-évalué pour deux raisons. Primo, parce que le cours d’une action peut tomber à zéro, ce qui n’est qu’exceptionnellement le cas pour une obligation (révolution russe de 1917) : il reste toujours pour un état une somme en caisse, que celui-ci proposera à ses créanciers comme un geste de bonne volonté en vue d’un futur retour sur le marché des capitaux, secundo, parce que le rendement d’un instrument de dette risqué, constitué essentiellement de sa prime de risque implicite, repose sur la supposition que cette prime est systématiquement surévaluée et ne sera jamais épongée par les pertes dont elle constitue pourtant la provision. Or sur le moyen terme, et septembre 2008 en a offert la confirmation sanglante, la prime de risque implicite à un coupon s’est pratiquement toujours révélée avoir été au contraire, sous-évaluée (contre-exemple : la Grèce en 2012 grâce à un effort de solidarité).

Le calcul par Callan d’un risque de variation de 17% sur un portefeuille mixte correspond à une période de vaches grasses. Or en période de crise, les vaches sont maigres, voire émaciées.

Un portefeuille d’un rendement théorique de 7,5%, ayant une chance raisonnable de voir se concrétiser un tel rendement appartient, il faut le savoir, à une époque révolue.

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[Timothy W. Martin, « Pension Funds Pile on Risk Just to Get a Reasonable Return », le Wall Street Journal, le 31 mai 2016]

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