01net, le magazine de la high-tech, Paul Jorion : « Faut-il taxer les robots ? » N° 862 – du 5 au 25 avril 2017

Faut-il taxer les robots ?

Aux États-Unis, entre 1973 et 2011, grâce essentiellement à l’irruption de l’ordinateur personnel, la productivité a augmenté de 80,4%, le salaire horaire moyen, de 10,7% seulement.

Où est passée la différence entre les gains ? Elle a pu se concrétiser partiellement en baisse de prix sur les produits manufacturés, le reste a trouvé sa voie vers ses lieux de destination naturels : les dividendes des actionnaires et les salaires et les bonus ultra-boostés des dirigeants des grandes entreprises, pour atteindre pour eux dans celles-ci, des rémunérations représentant 475 fois le salaire moyen.

Une augmentation du salaire de 10,7% donc, alors que la productivité augmentait pendant ce temps-là de 80,4% ? Vraiment ? Alors qu’il existait encore à l’époque un véritable marché de l’emploi ? Alors qu’il était encore possible de retrouver du travail si l’on avait perdu son boulot, et qu’il existait encore des syndicats pour défendre les intérêts des salariés ? Or des études sérieuses évoquent pour les 25 ans à venir, en raison du remplacement de l’homme par des robots, logiciels et autres algorithmes, des disparitions de postes de l’ordre de 40% à 70%.

Imaginons maintenant ce qui se passera en termes de salaires quand l’emploi se sera ainsi réduit comme peau de chagrin et que des masses de candidats se battront pour s’arracher les derniers postes encore offerts ? La concurrence entre eux fera que leur salaire tendra vers zéro. Quant à ceux qui ne travailleront plus du tout, leur salaire sera littéralement de zéro.

Dans son livre Four Futures. Life after Capitalism (2016) : « Survivre au capitalisme », le sociologue Peter Frase observe cyniquement que, plutôt que de les laisser vociférer devant les grilles de leur habitat fortifié, les propriétaires de machines ayant remplacé l’homme préféreront exécuter à la mitrailleuse les meutes insatisfaites d’ex-salariés ou de salariés survivants.

On cherche à conjurer ce cauchemar à l’aide d’exhortations que l’on entend maintenant. « Les robots ne nous remplaceront pas mais collaboreront avec nous ! », affirment certains. Désolé, ils ont déjà choisi de ne pas le faire : voyez les photos des chaînes de montage automobile d’aujourd’hui où il n’y a plus âme qui vive ! Autre argument : « Toute destruction est en réalité créatrice et fera apparaître autant (si pas plus !) d’emplois nouveaux que d’emplois supprimés ». Comme si une bonne fée pouvait transformer d’un coup de baguette magique les caissières remerciées en ingénieures informatiques !

Ces vœux pieux étant démystifiés, mieux vaut mettre en place tout de suite une taxe sur la valeur ajoutée par les robots, logiciels et autres algorithmes qui vont déloger hommes et femmes, en masse de leur emploi. Elle permettra de constituer une cagnotte qui aidera à la reconversion des quelques rares salariés licenciés pour qui l’espoir d’un futur poste n’est pas définitivement perdu. Elle servira surtout au soutien financier de ceux qui ne travailleront plus jamais. Certains suggèrent que ce soutien devrait prendre la forme d’un revenu universel de base, celui-ci ne serait pourtant pas à l’abri de la prédation qu’exerce partout la finance (c’est un ancien banquier qui vous parle !), il serait de loin préférable d’assurer à tous la gratuité sur l’indispensable (santé, éducation, logement, transport).

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