L’actualité de demain : L’INSTABILITÉ FINANCIÈRE EN TOILE DE FOND DU DÉSÉQUILIBRE POLITIQUE, par François Leclerc

Billet invité

La pêche aux transfuges du PDL éloigne ce matin la perspective des élections en Italie ; le revers électoral du PSD portugais au test municipal du week-end est plus fort que prévu ; l’extrême-droite progresse en Autriche et son leader en Grèce est en prison à Athènes. Les crises politiques nationales se poursuivent au jour le jour, les rafistolages succédants aux phases aigües. Chacune d’entre elles, à sa manière, est susceptible de mettre en péril le fragile équilibre de l’ensemble. Ce lundi matin, les taux obligataires se tendaient lentement mais sûrement. En toile de fond, les péripéties du désendettement se succèdent, appelées à se poursuivre, sans que les barrières destinées à contenir de prochains dérapages soient prêtes et à la hauteur voulue.

En Europe, domestiquer les États est sans surprise plus facile qu’en faire autant des banques, la face visible de la planète finance ! L’union fiscale a été réalisée sans coup férir, mais il n’en est pas de même de l’union bancaire. Un accord est intervenu sur son premier pilier, le mécanisme de supervision unique, finalement confié à la BCE et ne concernant que les banques les plus importantes. La discussion sur le second pilier, le mécanisme de résolution unique, piétine, perturbée par l’incertitude régnant à propos du prochain gouvernement allemand et entachée d’importants désaccords. Quant au dernier pilier, le fonds qui permettra de financer les besoins en cas de menaces de rupture au sein du système bancaire, il faudra s’armer de patience… Réclamée avec force par le FMI, l’union bancaire n’est pas pour demain.

Se donner les moyens de surveiller les banques, et si nécessaire d’intervenir, se révèle nettement plus délicat, comme si plus l’on s’approchait du cœur du problème, plus il y avait à dissimuler. Devant des atermoiements trop sommairement résumés au refus allemand de partager le coût de futures opérations de renflouement – qui exprime en creux son diagnostic sur l’état du système bancaire, à commencer par le sien – la BCE est conduite une nouvelle fois à intervenir. Elle est en effet placée dans une situation délicate et joue sa réputation, chargée de l’examen à venir des bilans bancaires en préalable au démarrage de la supervision, elle-même en principe fixée à la fin de l’année prochaine. Si elle veut être crédible et exercer son mandat, elle risque en effet de mettre à jour des trous qui ne pourront pas être comblés. Un accord européen sur le mécanisme de résolution est prévu pour la fin de l’année, un désaccord persistant à ce sujet pourrait la conduire à repousser son analyse de la valorisation des actifs bancaires afin de sortir de ce dilemme.

Chapeautant l’édifice, la création d’un fonds commun apportant les moyens d’opérer les restructurations nécessaires est en cause, faute duquel il reviendra aux États de mettre en place des solutions nationales, comme l’a regretté Mario Draghi au Parlement européen. Ce qui reviendra à faire monter en première ligne des États déjà soumis à des contraintes de déficit et de dette, et à alourdir potentiellement leur charge. La proposition allemande selon laquelle seules les banques supervisées par la BCE pourraient avoir accès à ce fonds laisserait à l’échelon national la charge financière des banques moins importantes, mais ce sont les plus fragiles et les plus susceptibles de devoir être renflouées ou bien fermées. Quant au Mécanisme européen de stabilité (MES), les 60 milliards d’euros disponibles pour les banques représentent une provision très insuffisante, impliquant que les États remettent au pot s’ils ne veulent pas se voiler la face. Yves Mersch, le membre du directoire de la BCE chargé de la supervision, a déclaré lundi : « nous ne ferons rien tant que les gouvernements n’auront pas convenu d’un mécanisme de soutien, un financement d’urgence des déficits en capital que nous pourrions détecter dans les bilans ». La guerre de position ne fait que commencer.

Le lancement par la BCE d’un nouveau round de LTRO (prêts de faveur à moyen terme aux banques) apparaît dans ce contexte comme une mesure de précaution, destinée à amortir le choc si il devait être décidé de surseoir à l’examen des bilans de banques en attendant qu’une solution pour la suite soit trouvée. Ce dispositif est décidément appelé à remplir de multiples missions, si l’on y rajoute également une tentative de soutien indirect à la relance de la titrisation des prêts aux PME. Verser un nouveau baquet de liquidités est une solution toute trouvée mais pas éprouvée.

La réalisation de l’union bancaire butte sur une question plus vaste : comment se partager la charge du renflouement des banques les moins en odeur de sainteté, une fois exclu le système bancaire du tour de table, car celui-ci doit en priorité se financer pour répondre aux obligations réglementaires ? Attendant d’un accord une baisse de ses coûts de financement, il pourrait voir ses espoirs déçus si la tension remontait. En raison de l’impact politique de la réponse à apporter, il va falloir une fois de plus noyer le poisson, en n’approfondissant pas trop l’examen des bilans bancaires et en inventant un mécanisme de résolution qui masquera autant que possible l’implication financière à venir des États. En priant enfin pour que l’édifice bancaire tienne, en particulier les banques les plus vulnérables, non seulement en Grèce et au Portugal, mais aussi en Espagne et en Italie (où elles sont aussi particulièrement éprouvées et sous perfusion de la BCE). Car sinon, en vertu des liens désormais renforcés qui les unissent à leurs États respectifs à la faveur du repli des capitaux derrière leurs frontières d’origine, ce sont ceux-ci qui en pâtiront, relançant alors la tourmente européenne.

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