« Un incident, une bêtise, la mort de votre jument grise… »

Après la période des grands chocs qui a caractérisé l’année dernière, la finance est entrée dans une nouvelle ère : celle d’une déliquescence lente où l’on ment – comme les grandes banques américaines qui revalorisent les pertes encaissées sur leurs dettes comme « gains », même si de tels « gains » ne pourront jamais se concrétiser – où l’on rabiboche, où l’on colle des rustines, sans grand espoir que cela tienne – comme les notateurs, qui seront dorénavant rétribués par tous ceux qu’ils notent, même si la notation est défavorable – et l’on laisse mourir les condamnés à mort d’une longue agonie, en leur refusant cruellement le coup de grâce, parce que celui-ci ferait la une des journaux – comme les « monolines », les rehausseurs de crédit (voir Les assureurs d’obligations (II. Le contexte)), que les notateurs refusent d’achever, même s’ils publient désormais de manière très hypocrite, parallèlement à la notation optimiste qu’ils accordent eux-mêmes (ils envisagent en ce moment de rétrograder Ambac et MBIA de AAA à AA ou à A), la notation implicite médiocre que leur décernent les marchés par l’intermédiaire des Credit–Default Swaps (Caa1 pour l’un comme pour l’autre, c’est-à-dire installés confortablement dans la partie basse de « junk », en français : « camelote »). On évoque mollement la possibilité de les refinancer mais pour des compagnies qui ont perdu 91% de leur valeur en un an, comme MBIA, et 97%, comme Ambac, à quoi bon ?

J’annonçais dans Les assureurs d’obligations (III. Les deux prix du risque) que la prochaine fois que j’évoquerais ces firmes, ce serait dans un billet intitulé « Les assureurs d’obligations (IV. La fin) ». Peut–être. Je me retrouverai en tout cas bien seul car l’information ne fera pas la une : on pourra lire, enfoui dans les pages intérieures, qu’ils sont morts « d’une longue et pénible maladie » – sans tambours ni trompettes. Quant aux établissements financiers qui subiront la claque résultant de ces décès, ils feront comme je l’ai dit plus haut : ils revaloriseront consciencieusement les pertes encaissées sur leurs dettes comme « gains ». Et le tour sera joué !

Ceux qui furent sauvés de la mer à la dernière extrémité parlent d’avoir longtemps nagé, puis se souviennent d’une période d’engourdissement et de nage mécanique où le rêve envahit la veille petit à petit, puis le réveil soudain sur la civière. Je crois que l’on attend de nous que nous coulions ainsi gentiment dans l’indifférence et que nous glissions insidieusement dans le coma sans avoir ressenti à aucun moment le sursaut de l’écœurement et que surtout aucun réveil brutal n’ait eu lieu !

Alors que faire ? Oh, c’est bien simple : rester éveillé ! J’y veillerai : voici d’ailleurs votre petite dose de caféine pour aujourd’hui !

Evolution de l’immobilier américain (4ème trimestre 2007 – 1er trimestre 2008)
(source : Mortgage Bankers’ Association)

Tous ces chiffres sont les plus élevés qu’on ait connus depuis 1979.

Pour ceux d’entre vous à qui mon titre ne serait pas familier, la chanson se poursuit de cette manière : « Mais à part ça, Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien ! »

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9 réponses à “« Un incident, une bêtise, la mort de votre jument grise… »”

  1. Avatar de Leduc
    Leduc

    J’ai l’impression que un peu partout nous sommes de plus en plus d’accord sur le fait que les USA vivent de plus en plus dans un rêve, totalement déconnecté de toute réalité. Les informations sont tronquées, éludées, transformées, et effectivement les mauvaises nouvelles sont présentées comme des bonnes nouvelles. Je n’ai jamais vu un tel processus de relativisation, de minimisation. Mauvaise foi ou dernière mesure, ultime tentative de restaurer la confiance par le seul moyen qu’il leur reste peut-être, l’effet psychologique. Finalement c’est comme la monnaie, tout est basé sur la confiance ou presque, tout est dans l’effet psychologique.

    Peut-être que mon analyse est simpliste, que je n’ai pas tout les éléments en main, mais franchement les faits que je constate me laissent perplexe et dubitatif.

    Les instituts US annoncent le plus souvent la baisse du nombre de chômeurs semaines après semaines, alors que la plupart des secteurs sont sinistrés : immobilier, construction, banques, constructeurs automobiles, transporteurs aériens annoncent des vagues de licenciement continuelles.

    Pire encore, une entreprise licencie 4 000 personnes et elle voit son cours décoller en bourse, alors que manifestement c’est tout sauf un signe encourageant (à moins que les actionnaires y voit un signe de baisse des coûts donc de hausse de leurs dividendes…)

    Les banques se refinancent, recapitalisent massivement, témoignant d’un manque chronique de liquidité et de pertes accrues, et pourtant ces annonces font monter les cours le plus souvent (le fait de se recapitaliser témoignant apparemment d’un bilan plus ferme, d’une connaissance de l’étendue des pertes et donc d’un nouveau départ sur de nouvelles bases, sic…)

    Les ventes de Wal-Mart augmentent et tout le monde y voit un signe positif (quand on connait les méthodes de l’entreprises : casse sociale, salaires minimum, mépris du droit des travailleurs, interdiction du droit de grève, faible couverture sociale, achat massif de marchandise à bas coût chinoises), moi dans mon esprit c’est comme si en France on se réjouissait de la hausse des ventes des hard discount au détriment des super et hyper marchés classiques et des grandes marques. Je voudrais bien d’ailleurs savoir si la concurrence de Wal-Mart s’en sort aussi bien ou alors si au contraire ils en font les frais.
    Quant on voit les problèmes énormes que rencontrent les grands constructeurs automobiles comme GMC ou Ford, on ferait presque passer les baisses de ventes de Pick up, 4×4 et véhicules familiaux comme une avancée, une prise de conscience du consommateur américain de la hausse des carburants. Je me demande si ce n’est pas tout simplement un aveu de non solvabilité grandissant qui fait que les consommateurs achètent des voitures moins grosses, et peut-être même achètent moins de voitures neuves tout court. Là aussi il faudrait voir ce que font les autres concurrents des constructeurs de Détroit, si leurs ventes baissent ou augmentent.

    Moi ça me laisse l’impression persistante que les USA et les Américains sont dans un monde virtuel, dans un rêve, leur psychisme est complètement cryogénisé. Si c’est le cas le réveil risque d’être douloureux, je ne pense pas que ce sera un rêveur dans la douceur sur un lit d’hôpital entouré de belles infirmières aux petits soins.

  2. Avatar de guillaume
    guillaume

    « Quant aux établissements financiers qui subiront la claque résultant de ces décès, ils feront comme je l’ai dit plus haut : ils revaloriseront consciencieusement les pertes encaissées sur leurs dettes comme « gains ». Et le tour sera joué ! »

    La faillite (potentielle) des monolines ne mettrait donc pas plus le système en péril que cela ? En dehors des banques, il existe des fonds qui vont être touchés, non ?

  3. Avatar de Paul Jorion

    @ guillaume

    Bien entendu ! J’ironise sur le fait qu’une « réalité comptable » n’est pas une réalité économique et en fait n’est pas une réalité du tout. Je vais revenir plus longuement sur ceci dans un commentaire que je vais ajouter à notre débat sur la monnaie.

  4. Avatar de Armand

    Ah, les miracles de la FASB : je vous dois 100 mais je suis mal en point, le marché cote ma dette obligataire à 80, donc j’inscris à mon passif non plus 100 mais 80, montant que vous êtes objectivement prêt à accepter, ce qui me fait mécaniquement +20 de résultat.

    Et ça c’est pour le « level 1 » : ce qui est observable sur un marché avec des transactions.

    Mais si mon engagement n’est pas coté, cas de la pyramide de dettes en hors bilan que j’ai émise, alors, autre miracle, je la classe en « level 3 », pas de transactions ni de données permettant d’évaluer objectivement son prix, et suis alors autorisé à utiliser mon propre modèle pour la valoriser. Autrement dit, je choisis moi-même de combien je la déprécie et donc de combien j’augmente artificiellement mon résultat.

    C’est pas beau la haute finance ?

  5. […] fois plus élevé que celui auquel s’attendaient les analystes. J’évoquais en passant dans « Un incident, une bêtise, la mort de votre jument grise… », « … une nouvelle ère : celle d’une déliquescence lente où l’on ment – comme les […]

  6. Avatar de guillaume
    guillaume

    AMBAC et MBIA : notes abaissées par Moody’s

    20/06/2008 14h52

    (AOF) – L’agence de notation Moody’s a abaissé sa note sur les deux rehausseurs de crédit américains Ambac et MBIA. Les deux groupes perdent leur triple A, la note maximale déterminante pour leur activité. Il est maintenant évalué, à A2, soit une baisse de six crans. Pour Ambac, la sanction est moins sévère, le monoliner recule de trois crans à Aa3.

    Un tout petit rien…

  7. […] des pertes que signifiera pour lui la rétrogradation des rehausseurs de crédit : les monolines, j’en ai déjà parlé. Les banques d’investissement ne vont guère mieux : Lehman Brothers qui est engagé sur la même […]

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