Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Un journaliste français m’appelle ce matin : « Que pensent de la crise les banquiers américains à qui vous parlez ? »
Je suis obligé de le décevoir : les seuls spécialistes de la finance américains à qui je parle sont mes anciens collègues et nous cherchons tous du travail – depuis près d’un an.
« Ah ! et les banquiers français ? »
– Je ne connais pas de banquier français.
– Mais, les hommes politiques qui vous consultent ?
– Ils ne me consultent pas.
Il est un peu désarçonné, mais il enchaîne : « Croyez-vous que ceux qui parlent de réformes soient sérieux ? »
Et je lui réponds ceci :
« Avec les mesures prises aux États–Unis les jours derniers, la pièce est tombée sur la tranche mais comme elle n’y restera pas, ce sera soit le côté pile et les mesures qui s’imposent seront prises, côté face, et ce ne sera que du vent.
Vous les journalistes, m’appelez en ce moment tous les jours et permettez que les vues que j’exprime soient connues du public, et le courant d’opinion auquel je participe semble bien refléter le sentiment de la majorité. Mais les financiers et les politiques ne prennent pas le relai, et ceci me fait penser que malheureusement non, ceux qui parlent en ce moment de réformes ne sont probablement pas sérieux ! »
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
60 réponses à “Ceux qui parlent de réformes…”
Et le fait que les deux dernières banques d’affaires des Etats-Unis aient accepté de sa ranger sous les règles des banques commerciales, règles bien plus strictes, et ce afin de pouvoir profiter des prêts consentis à ces dernières, cela signifie-t-il la fin d’un certain capitalisme « casino »? Les hedge funds seront-ils dès lors les plus exposés aux difficultés à venir?
Pourquoi réformer quand des millions d’Americains arnaqués les banques – ne se révoltent pas ? Aujourd’hui on leur propose de payer pour sauver les institutions qui les ont ruinées.
L’apathie de la population est invraisemblable, je n’arrive pas à l’expliquer. J’aimerai beaucoup comprendre l’état d’esprit qui règne aujourd’hui aux US ? En 1929, on avait assisté à des émeutes pour des faits similaires. Je ne dis pas que ça reglerait qq chose mais les élites seraient peut-être plus incitées à se remettre en cause et à mieux repartir les richesses.
J’aimerai beaucoup un avis de Paul Jorion, de l’intérieur des US, sur cet aspect de la crise, car de l’extérieur, l’absence apparente de réaction des populations expulsées par millions, est tout simplement incompréhensible !
Merci !
@hydrom, pourquoi s’étonner aujourd’hui? Depuis des années les peuples sont écrasés sans rien dire… cela ne date pas d’hier… on garde les masses sous controle avec la TV et la société de consommation… les gens n’ont presque rien mais ce presque rien est suffisant pour les faire taire (la volonté de faire une France de propriétaires n’est pas fortuite) … Maintenant que ce « presque » disparait pour une frange tjs plus grande de personnes, il y aura peut être explosion…
Je ne suis qu’à mi-bouquin, mais j’ai l’impression que le dernier livre de Naomi Klein (La stratégie du choc) répond assez bien à la préoccupation exprimée par « hydrom » !
Et je ne pense pas que seuls les U.S.A. soient concernés….
Dani
Il suffit de consulter le New York Time en ligne pour se rendre compte que les américains hurlent ! Mais c’est comme sur ce blog, il est probable que les politiques ne lisent pas les posts, ce qui tôt ou tard amènera les gens à défiler dans les rues…La crise devient certesj’ai l’impression économique mais depuis quelques jours ( voir aussi les réactions de la Chine ), qu’elle devient politique.
@hydrom
J’habite à Los Angeles également. Les gens (plus de 50% c’est certain) ne sont en effet pas très préoccupés par la situation car ils n’en savent rien. Les gens sont sous informés, car les media ne sont pas pédagogues (vision extrêmement simplifiée des choses), ou complètement partisan (Fox News, MSNBC).
Après l’immense majorité n’en a rien à foutre, ils sont plus préoccupé de savoir si les Dodgers vont gagner le prochain match de base ball, que de savoir si ils vont pouvoir payé leur crédit à la fin du moi. Ils ont tous tous paniqué quand le baril a atteint des sommets, mais 1 mois après ils n’y pensent déjà plus (en tout cas ça a disparu des sujets de conversation habituels) !
Concernant les gens qui se font expulser, la plupart des gens te diront « Il ont prit un prêt à taux variable, il faut être con pour faire ça, ils n’ont que ce qu’ils méritent ». Ils considèrent que ces personnes ont pris une mauvaise décision et ils n’ont pas envie de payer pour des gens qui ont fait de mauvais choix (j’ai envie de dire trop tard, vous allez payer quand même). De plus 5% de la population qui est concerné, ce qui ne semble pas être le seuil de rébellion des Américains.
Autre point, ils s’intéressent de plus en plus a des politiques alternatives (écologiste, socialisme, phénomène Ron Paul, libertarian ou autre). Donc attendons un peu pour voir ce que cela va donner. Tout dépendra si ils ont accès aux grand média. Ces courants sont quasi inexistants si l’on ne regarde que les grand média, mais beaucoup de jeunes sont très au fait de tout ça (je précise que étant essentiellement dans le milieu étudiant de Californie du sud, donc population plus éduquée que la moyenne, qui sera certainement l’élite dans quelques années).
@Florent, Dans un pays de Winner, j’ai l’impression que ça ne le fait pas, de se retrouver à la rue. En même temps, cette logique de la responsabilité (dans le cas où elle est bien réelle), je la trouve très saine, malheureusement cette logique n’est pas appliquée entièrement et avec un cynisme spectaculaire.
La leçon du 11 septembre, il y a bien eu des sortes de réformes…
On laisse la crise s’installer, devenir critique, aiguë… La panique arrive et se transforme en une formidable opportunité d’imposer des changements radicaux, sans passer par la case « démocratie » / « raisonnement ».
Les USA vienne d’inventer la VAD politique et ça marche !
la solidarité n’est pas vraiment leur fort, il n’y a qu’a voir le nombre de vétérans qui sont SDF.
et il est vrai que les gens ont plus peur du gouvernement ou de la police que des terroristes.
bientôt ils devront tous faire un effort de solidarité pour sauver leur système bancaire, système bancaire qui a pris des risques fous mais qui s’en sortira juste avec une petite tape sur les doigts. C’est trop injuste comme dirait Calimero.
QUestion à Paul Jorion : pourquoi le régulateur préfère sauver les intermédiaires qui ont construit le système qui est en train d’exploser plutôt que de soutenir ceux qui font défaut car le système les a placés dans une situation impossible ?
Si les gens ne sont plus expulsés et que leur prêt deviennent a taux fixe, « raisonnable », on est capable de calculer la perte et les maisons étant occupée, il n’y a plus de sur offre sur le marché immobilier. La crise se dégonfle et seuls payent ceux qui ont vendu des services impossibles et ceux qui les ont soutenu.
Cela ne limitera t il pas la casse ? Ou la situation d’endettement étant trop pourrie, il n’y a rien a faire pour purger le système sinon le remettre à plat ?
Dans cette direction, a quand les « experts » du FMI au chevet des USA comme ils l’ont été à celui de pays d’Amérique Latine et de l’Afrique 😉
Merci pour vos éclairages.
N’oublions pas le bras de fer qui se déroule actuellement au Sénat américain. Paulson a joué finement en ayant soumis son plan de renflouement le jour où la panique des marchés était à son comble mais les sénateurs, en particulier les démocrates, ne veulent pas lui donner un chèque en blanc. Ils ne veulent pas et on les comprend, que les 700 milliards ne servent qu’à renflouer les banques (y compris les gros bonus de leurs dirigeants) au mépris des citoyens les plus endettés. Les sénateurs rechignent également devant une situation inédite : celle de remettre en quelque sorte les pleins pouvoirs financiers entre les mains d’un seul homme, Paulson, qui décidera en dernier ressort qui seront les bénéficiaires de la manne publique. Il va de soi que tout le monde se presse au portillon, comme le relate le New York Times, pour que l’Etat fédéral rachète les crédits pourris et que les plus grosses institutions ont mis des bataillons de lobbyistes sur le coup.
http://www.nytimes.com/2008/09/23/business/23cong.html?_r=1&hp&oref=slogin
http://www.nytimes.com/2008/09/23/business/23skeptics.html?hp
Je crois que, statistiquement, le taux d’abstention aux élections est plus élevé aux États-Unis qu’ailleurs, en France notamment, ce qui va avec ce qui précède plus haut et ce qui suit ici.
Le fond encore anglo-protestant de la société américaine pense, comme le dit en substance Florent plus haut, que le choix, le mérite, dans la pensée américaine, se retrouve dans les situations vécues. Ainsi, si vous êtes pauvre, c’est que vous le méritez… La prédestination n’est jamais loin. Tout l’inverse que nos « manies françaises » de se pencher sur le : comment ça marche ? Et de « bidouiller » les mécaniques en pensées bien sûr, en paroles tout le temps, par action parfois mais de moins en moins! Par omission de plus en plus…
Le système économique des États-Unis mérite d’être connu. Cela clarifie nombre de faits, de données et d’éléments déterminants et qui nous font, finalement, abandonner ce regard d’extase qu’innombrables dans le monde avons sur ce gros jouet d’outre Atlantique, ou cette grosse poupée géante lumineuse et clignotante comme dans le film Ghostbuster, qui finalement se frippe et se liquéfie. Ce film m’avait énormément marqué, à plus d’un titre d’ailleurs. Je crois qu’il révèle vraiment quelque chose de l’essence de la société américaine et l’ « ensemble » qui va avec.
Quand on pense que les États-Unis, disons en simplifiant, mais c’est la réalité stricte, font gonfler et dégonfler, au fil des décennies, la baudruche du dollar pour faire payer leur niveau de vie par le reste du monde, que les transferts masssifs de matières premières, mais surtout, c’est bien plus grave, transferts massifs de matière grise, ne cessent d’alimenter ce « vortex étatsunien » qui veut aspirer le monde, que nombre de « hauts cadres » du monde entier sont formés dans des universités aux USA et rapportent, seulement lorsqu’ils reviennent dans leur pays, des méthodes et des principes artificiels mis en œuvre ici et là dans le monde pour sa ruine (sauf ~ 15%), on comprend, oh, certes pas tout, mais une très large proportion, majoritaire, des erreurs entraînées par la quasi seule promotion de la rapacité et du pillage en col blanc… Beau résultat!
Et à cette heure même, notre agent américain à NewYork, Nicolas Sarkozy, « brocarde » le système économique et financier qu’il a largement cautionné durant sa déjà longue carrière politique…. quel ghostbuster!…
La catastrophe est un fait Culturel.
Si le Changement n’est pas Culturel, il sera un vernis, ou mieux : un lait de chaux.
Il ne durera que le temps de vie d’un lait de chaux…
Dans les Cyclades : un an.
Cela reflète mon sentiment présent, mais qui a bien pu écrire cela ?
J’éprouve un tel sentiment d’impuissance devant le fait que les plus compétents d’entre nous ne soient même pas sollicités, entendus, écoutés. Qu’ils n’enseignent pas. Quelle société où les Sages et les Anciens ne sont plus écoutés ? Est-elle une société ?
Faudra-t-il un jour que le sang coule ? Mais jamais le sang versé n’a apporté la sagesse.
Pendant ce temps, la vie se meurt sur la Planète qui agonise sous les plastiques.
Mon cœur est broyé par la tristesse. Je veux partir avec la dernière marée.
Mon Dieu, oh emmenez-moi !
Benoit.
Bonjour
Je vous signale une recension des livres parus sur la crise actuelle dont vos écrits par : Yann Moulier Boutang, « Le prisme de la crise des subprimes : la seconde mort de Milton Friedman. Financiarisation et crise des subprimes: cartographie des parutions récentes », dans La revue Internationale des Livres et des Idées n° 7.
@florent
les Américains ne sont concernés qu’à 5 % par la crise, les médias chez nous n’en parlent à contre-coeur que le temps minimum ; La situation n’est-elle pas grave, m’interroge-je ? OK, bon, peut-être, mais que peut-on y faire ? Ma réponse : Essayer de comprendre – surprend toujours beaucoup !
Au delà de la dérégulation financière finement analysée ici, on assiste à la désorganisation généralisée du monde, stratégique, médiatique, politique, culturelle si on veut, ce qui en fait un théâtre idéal type années folles pour toutes nos irremplaçables réjouissances, FOX, Dodgers, et allez PSG !
Je ne crois pas que les élites aient jamais apporté le changement politique, ils l’orchestrent… Si le libéralisme est un jour *abrogé* ou s’il choît comme le Mur de Berlin, alors tout deviendra clair rétrospectivement et on comprendra tout… Faudrait bien que ça arrive ce truc…
Comme cela me paraît pertinent dans la discussion que certains d’entre vous ont engagée, un chapitre de « Vers la crise du capitalisme américain ? » (La Découverte 2007 : 186-192).
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme
Les citoyens américains dans leur quasi-totalité considèrent le système économique qui est le leur comme idéal, n’envisageant sa réforme possible que sur des aspects mineurs. Suggérer à un Américain que certaines des institutions de son pays pourraient être améliorées si l’on s’inspirait de l’expérience d’autres nations, produit toujours chez lui la même consternation : s’il lui paraît admissible que certains détails sont révisables, l’idée que d’autres nations auraient pu faire mieux à ce sujet, lui est inacceptable. Et c’est pourquoi on pourrait être tenté de qualifier le capitalisme sous la forme qu’on lui trouve aux États-Unis, non pas de « sauvage », mot qui suggère un certain archaïsme, mais de « fondamentaliste ».
Il n’est donc pas superflu de réexaminer la thèse de Max Weber relative à la consubstantialité du capitalisme « fondamentaliste » et du protestantisme et pour ce qui touche à ce dernier, à sa forme spécifique aux États-Unis, le Puritanisme, et à la source de celui-ci dans l’enseignement de Jean Calvin. Le calvinisme suppose la prédestination : Dieu réalise son dessein du triomphe historique du bien sur le mal et chaque individu a son rôle à jouer dans le déroulement du drame, positif pour l’élu et négatif pour celui qui est exclu de ce nombre. La place de chacun dans la réalisation du plan divin a été déterminée antérieurement à ce qu’il soit déployé dans l’histoire. En conséquence, le libre-arbitre est une illusion : l’individu est seul, prisonnier d’un destin qui s’effectue malgré lui, apte seulement à constater quel est celui-ci au sein du projet de la divinité.
Selon Weber le capitalisme moderne fut fondé en Nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle par les Pèlerins, un groupe de colons puritains. Cela paraît incontestable. Je résume brièvement sa thèse qui fait émerger du calvinisme l’individu possédé par l’esprit d’entreprise.
Tout sujet ignore s’il appartient ou non au cercle des élus. Cette incertitude est source d’anxiété et il guette les signes éventuels de son élection. Sa capacité à se préserver du péché, ainsi que sa réussite personnelle dans les entreprises séculières, telle l’obtention du confort matériel, voire même de la fortune , constituent le test de son élection. L’apparition de signes encourageants le motive davantage. L’enthousiasme ne tarde pas à engendrer le succès qui confirme le sujet dans le sentiment qu’il appartient bien au nombre des élus. On assiste à un renforcement progressif, une amplification, où chaque succès contribue à assurer la réussite de nouvelles entreprises. Le processus est celui d’une « rétroaction positive », où le succès engendre le succès. Convaincu désormais d’appartenir au camp des « bons » au sein du drame cosmique, le sujet s’enhardit : sa confiance en soi devient infinie. La preuve est faite à ses propres yeux, mais aussi à ceux du reste des hommes, que Dieu compte sur lui dans la réalisation de son dessein.
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur l’époque à laquelle cette domination idéologique du puritanisme aux États-Unis a pris fin, certains considèrent qu’elle entre en déclin au début du XVIIIe siècle, d’autres pensent qu’elle ne s’éclipsera qu’au début du siècle suivant. Pour ma part, je considère que cette influence n’a probablement pas connu d’interruption puisque je l’observe encore dominante à l’heure actuelle. Ses formes sont sans doute sécularisées aujourd’hui à des degrés divers mais elle demeure intangible : les tentatives demeurent constantes d’instaurer en institutions des règles morales dont le respect est laissé dans des contextes moins répressifs à la délibération de chacun. Ainsi les prohibitions anciennes ou actuelles de l’alcool, du tabac, de la marijuana, de la nudité, de l’euthanasie, ainsi les infractions de la Federal Drug Administration à ses propres règlements dans l’interdiction à la vente libre de la pilule dite « du lendemain ». Bien entendu, aucune société moderne n’est réellement unanimiste et il existe sur toute question un éventail d’opinions, il n’en demeure pas moins que les vagues migratoires successives qui ont suivi la fondation de la colonie de Plymouth par un groupe de puritains anglais appelés « les Pèlerins » n’ont jamais réussi à modifier le moule : elles se sont toutes assimilées sur le plan idéologique au courant à dominante puritaine après en avoir adopté, bon gré mal gré, l’éthique. Il en est allé ainsi pour des ethnies que l’on imaginerait mal assimilables au modèle calviniste : pour les Irlandais et les Italiens, chacun catholique à sa manière, pour les Russes et pour les Arméniens, pour les Juifs.
Les États-Unis se vantent à juste titre d’être une société plurielle sur le plan religieux qui n’a jamais connu de guerre civile sur ces questions. Il s’agit en effet d’une gageure. Steve Fraser suggère dans son Every Man a Speculator consacré à l’influence de Wall Street sur la vie américaine au fil du temps que l’unification s’est faite autour de Mammon. Évoquant l’état d’esprit dans lequel baignait l’opinion publique en 2005, alors que de nouveaux scandales étaient découverts journellement dans le fonctionnement du monde financier, il écrivait : « Même au sein de la tourmente causée par les fraudes les plus choquantes depuis le krach de 1929, le public demeure enamouré. Les retombées politiques sont mineures. Les sources de la contestation semblent taries. Non seulement – et la chose est essentielle – dans le monde politique, mais plus intimement dans la manière dont le public se représente la relation qui existe entre Dieu et Mammon, par exemple. Ceci bien entendu au cas où l’idée les effleurerait…. Ou dans la manière dont nos fictions littéraires et cinématographiques, voire notre dose quotidienne de journalisme, présentent le règne du marché libre, chez nous comme à l’étranger, comme étant d’une inéluctabilité fatidique ».
Certains immigrants italiens qu’évoque Lendol Calder dans son Financing the American Dream évoquent en riant l’unanimité qui s’est faite autour des « dolci dollari ». Sentiment partagé qu’il définit de la manière suivante : « L’éthique de la gestion pécuniaire victorienne devint prévalente dans la culture américaine non parce qu’elle transforma les salariés de misérable en millionnaire ou les employés de la classe moyenne, de la vie duraille à la vie de pacha, mais parce que ses doctrines servaient les intérêts, tels qu’ils les percevaient, des misérables autant que des puissants ». J’avais observé, à ma grande surprise, parmi les pêcheurs bretons, le même assentiment à un système économique dont ils pouvaient apparaître a priori comme les perdants.
Le gouvernement de George W. Bush se distingue de ses prédécesseurs en ce qu’il constitue le retour à une forme peu sécularisée du Puritanisme. Un journaliste allemand commentait à la radio à l’occasion de sa visite en Europe en février 2005, je cite de mémoire : « Nous avons aussi connu des dirigeants qui parlaient en termes de certitudes dans leurs discours. Nous ne pouvons plus faire confiance à quiconque affirme ‘Dieu nous enjoint de faire ceci ou cela’. Nous avons déjà donné ! ».
Dans son adresse à la nation, à l’occasion de sa seconde inauguration en janvier 2005, le Président annonçait : « Nous allons de l’avant avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la liberté. Non pas parce que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les choix humains qui animent les événements. Non pas parce que nous nous considérons comme une nation élue ; Dieu meut et choisit comme il l’entend. Nous avons confiance parce que la liberté est l’espoir permanent de l’humanité, la faim dans les ténèbres, l’aspiration de l’âme […] L’histoire voit la justice fluer et refluer mais elle possède aussi une direction visible, définie par la liberté et par l’auteur de la liberté ». (J’ai rendu par « liberté » l’anglais freedom ainsi que l’anglais liberty).
Le message créa la consternation, y compris aux États-Unis. Si bien que le Président se vit obligé d’en clarifier la signification quelques jours plus tard. Il précisa alors qu’il s’agirait pour la réalisation de son programme du « travail de plusieurs générations ». Certains commentateurs évoquèrent le ton « messianique » du message. Ce qui le caractérisait en fait n’était pas le « messianisme », mais le recours à la rhétorique calviniste : l’évocation d’une théocratie mondaine construite selon un plan divin, une Cité de Dieu préfigurant par sa forme le Royaume des Cieux. La tombe de Phoebe Gorham décédée à Cap Cod dans le Massachusetts en 1775 a pour épitaphe : « Dès à présent mon Âme, dans l’Unité la plus douce, rassemble les deux supports du bonheur humain dont certains affirment à tort qu’ils ne peuvent se rejoindre : le Vrai Goût pour la Vie, et la pensée constante de la Mort ». Les Puritains ne se détournent en effet pas du monde matériel d’Ici–Bas qui ne se limite pas à être une antichambre de la vie future : le bonheur s’acquiert d’abord dans ce bas–monde, du moins pour l’élu.
Je me suis livré à un petit exercice : j’ai légèrement retouché le discours de Bush, en remplaçant le renvoi à la notion de liberté par celui à la volonté divine. Mes retouches sont en italique, voici ce que ses paroles deviennent à la suite de ce petit traitement : « Nous allons de l’avant avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la volonté divine. Non pas parce que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les choix humains qui animent les événements. Non pas parce que nous nous considérons comme une nation élue (parce que ce sont les hommes qui sont élus à titre individuel par la prédestination et non les nations) ; Dieu meut et choisit comme il l’entend. Nous avons confiance parce que la volonté divine est l’espoir permanent de l’humanité, la faim dans les ténèbres, l’aspiration de l’âme […] L’histoire voit la justice fluer et refluer mais l’histoire possède aussi une direction visible, définie par la volonté divine et par l’auteur du dessein divin ».
Il peut bien entendu sembler que la teneur du message a changé de manière radicale : la notion de libre–arbitre à laquelle le mot de liberté est attachée a été entièrement éliminée, comme c’est le cas en effet pour le calvinisme. La substitution a, au passage, éliminé la contradiction, sinon flagrante, entre deux passages : « ce sont les choix humains qui animent les événements » et « Dieu meut et choisit comme il l’entend ».
Le sentiment que la majorité, dans une nation dont le succès révèle qu’elle bénéficie incontestablement de la sollicitude divine, comprend nécessairement l’ensemble des élus de Dieu dans la population, conduit à l’absence de sollicitude envers les autres, les losers. C’est à cette dureté du « Vae victis ! », du « Malheur aux vaincus ! », d’un État vis–à–vis de ses propres citoyens que pensait de Tocqueville, quand il évoquait la « tyrannie de la majorité » :
Mais il s’agit en même temps, avec les États-Unis, d’une société qui avait découvert avec le New Deal de Franklin Roosevelt une voie moyenne, respectueuse des libertés, ni fasciste, ni communiste. Ce qui avait permis ce développement, c’est la perplexité du Puritanisme lorsque la nation tout entière se retrouve en difficulté, quand la majorité se retrouve elle aussi dans la dèche, dans ce cas–là, la distinction entre élus et exclus du dessein divin se brouille. Il faut alors se retrousser les manches, provisoirement tous ensemble, jusqu’à ce que des temps plus cléments permettent à nouveau de s’y retrouver entre les bons et les méchants.
Le rejet spontané des « paresseux » par les Américains est dans la droite ligne du calvinisme : celui qui n’aime pas le travail produit du fait même la preuve qu’il se situe en-dehors de la sphère des élus. Le reproche le plus généralement adressé aux Noirs américains est celui de paresse, c’est là une manière pratique de signifier leur exclusion du cercle des élus. À l’inverse, bien entendu pour les fermiers, dont le caractère industrieux les situe à leurs antipodes. La conséquence, c’est l’acceptation de principe de la ségrégation par la fortune, plus insidieuse que celle par des lois discriminatoires puisqu’il est dans sa logique de se reproduire, sans nécessité pour cela de mesures oppressives, et qui apparaît en surface à l’occasion d’une catastrophe comme celle de la Nouvelle–Orléans, quand l’Amérique blanche découvre avec stupeur sur ses écrans de télévision que ces événements calamiteux n’ont pas lieu en Haïti mais sur le territoire national.
Pourquoi alors ce rappel de Weber, parce qu’à mon sens, c’est cette confiance dans la Providence qu’exprime le « In God we trust » qui conduit le citoyen américain à outrepasser en permanence les limites de la prudence financière. Le fait de se savoir, sur un plan religieux, au rang des élus plutôt que se constater simplement bénéficier, sur un plan profane, de la chance, vient renforcer l’optimisme qui caractérise déjà a priori celui ou celle qui a choisi le pari de l’émigration et ses aléas, plutôt que de se satisfaire de la médiocrité qui constituait son lot au pays natal.
Oui merci de ce rappel.
Un petit témoignage qui a lieu de décourager ceux qui pensent que la spéculation peut s’arrêter un jour.
Dans un déjeuner où se réunissait aujourd’hui la crème de la communication boursière, un intervenant se moquait de la décision de suspendre les ventes à découvert sur les financières en France et expliquait qu’il suffisait ( comme le font les hedge funds pour détourner ces interdictions parait-il ) de vendre à découvert l’indice CAC et de racheter les valeurs non financières…N’étant pas spécialiste j’ai juste observée avec intérêt que tous les initiés ont bien rigolé…
@ Sounion
Oui, j’écrivais hier dans un e-mail à des amis :
» Il a sans doute été interdit provisoirement de parier à la baisse sur les titres des firmes les plus menacées mais il s’agit d’un jeu d’enfant de détourner une mesure de ce type (par le marché des options et celui des CDS) et le bénéfice effectif d’une telle mesure est minime, son mérite essentiel est qu’il est facile d’en expliquer le principe dans la presse, et avec elle les autorités visent cyniquement à propager la nouvelle qu’« on a pris le taureau par les cornes ». «
Ré-former, n’est-ce-pas vouloir changer les conditions de vie à l’intérieur de la prison, ne faut-il pas lui préférer la suppression de la prison?
Un article intéressant publié hier par Jacques Sapir directeur d’études à l’école de hautes études en sciences sociales, notamment le chapitre II « Changements dans les représentations et enseignements. »
http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/09/22/816-sept-jours-qui-ebranlerent-la-finance
« Decisions by the Secretary pursuant to the authority of this Act are non-reviewable and committed to agency discretion, and may not be reviewed by any court of law or any administrative agency. »
Ce passage du plan Paulson semble donne des sueurs froides aux sénateurs et ouvre la porte à toutes les manipulations. En quelque sorte, ça revient à s’attribuer les pleins pouvoirs.
Je trouve décidément ce blog très intéressant. Les propos les plus techniques sur le monde de la finance y font bon ménage avec la réflexion politique, sociale, culturelle, anthropologique et même philosophique. C’est suffisamment rare pour le souligner.
La bonne audience de votre site, même si elle n’était pas « prédestinée », est donc tout à fait méritée !!
S’agissant de l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme j’aimerais faire une remarque. S’il est vrai que le calvinisme a fourni une éthique au capitalisme à même de le justifier aux yeux de ceux qui en sont les acteurs et a donc en ce sens contribué à son dynamisme, il n’explique pas tout. Vous le savez aussi bien que moi, mais il me semble qu’il faut le rappeler car sinon on mesure mal l’ampleur de la crise que traverse aujourd’hui l’humanité dans son ensemble, crise dont la crise financière n’est qu’un symptome. La crise est d’abord celle du modèle de la croissance infinie pour un monde aux ressources illimitées. Le monde est (re)devenu fini mais nous agissons, pensons encore, et ce d’autant plus s’agissant des acteurs économiques, comme si le monde était encore celui qui existait à l’aube de la Révolution industrielle. Adam Smith pouvait croire en un monde meilleur où la richesse des nations résulterait de la somme des intérêts individuels car le monde d’alors semblait receler des richesses inépuisables. Mais ce temps est révolu. Les crises de l’energie, écologiques, climatiques sont passées par là.
Mais nous pouvons remonter encore plus loin dans le temps pour trouver les origines du capitalisme, son substrat anthropologique, son noyau conceptuel. La rupture s’est faite lorsque à une éthique de pauvreté, de charité portée par l’Eglise s’est substituée, sous la Renaissance, une éthique de l’intérêt individuel. Paradoxalement c’est au sein même de l’Eglise que le mouvement a pu s’enclencher lorsque la haute bourgeosie montante désireuse de se racheter une bonne conduite en vint à acheter des indulgences que l’Eglise vendait alors pour asseoir sa puissance. Le mouvement religieux dit de la Réforme — dont le calvinisme fut un moment fort — n’était pas autre chose qu’une réaction à cette dérogation de l’Eglise à ses propres principes. Mais curieusement, c’est le mouvement réformiste qui allait incarner le mieux la nouvelle éthique de l’intérêt individualiste en reprenant à son compte la vision d’un homme calculateur et, j’ajouterais, prudent en afffaires. La Réforme inventait la passerelle idéale pour faire coincider monde divin monde matériel et c’est ce qui lui donne autant de puissance.
Mais il n’en reste pas moins vrai que le paradigme de l’homme calculateur, autrement dit l’homme de l’intérêt qui calcule au mieux la rentabilité financière de ses entreprises et vise déjà des marchés réguliers, préexistait à la Réforme (le premier capitalisme est né dans les cités italiennes, comme Florence, Milan, Venise) et donc à l’éthique protestante. L’humain, d’un être jusqu’ici défini qualitativement, devient lui-même l’objet d’un calcul et tous les secteurs de la vie sociale entrent dans ce domaine.
Dans le domaine politique Machiavel est emblématique de ce nouvel état d’esprit. Bref, peu à peu s’est constituée une société de marché. Ce qui veut dire que, comme l’avait très bien analysé Karl Polanyi, il n’y a pas d’un coté le monde de l’économie et de l’autre tout le reste. Le marché est une institution qui tend à englober tous les aspects de la vie sociale. Le marché suppose aussi une construction sociale porté par un imaginaire fort sans lequel il ne pourrait perdurer. Nous vivons toujours sur ces conceptions qui ont présidé à la destinée de l’occident depuis cinq siècles, avec une montée en force progressive si bien qu’aujourd’hui le paradigme de l’homme calculateur a colonisé les esprits de pratiquement tous les habitants de la planète, que ceux-ci y adhèrent ou le subissent à leurs corps défendant. La Chine en particulier, domaine qui m’est familier, a dépassé son ancien maître occidental. Sans éthique protestante elle place ses pions un peu comme au jeu go. Elle investit massivement en Afrique, achète par exemple en Asie du Sud-est des terres pour y assurer son approvisionnement en caoutchouc dont elle est une grande consommatrice. Je ne parle pas des fonds souverains et maints autres aspects de la stratégie à la chinoise qui consiste à avancer à petit pas en contournant les obstacles. L’électrochoc (anti) culturel de la Révolution culturelle (1966-1976) a coupé les Chinois de leurs racines culturelles séculaires, plongeant le pays dans la mondialisation sans transition, lui faisant acquérir dérechef les réflexes occidentaux de l’homo économicus.
La métaphore de Paul Jorion de la pièce en équilibre instable sur sa tranche est très parlante. En effet, du cours que vont prendre les èvènements aux USA va dépendre le sort du monde financier et donc économique des années qui viennent.
Mais le sort du monde ne dépend plus seulement des USA. Les Chinois, par exemple, sans messianisme calviniste, peuvent très bien imposer au monde un capitalisme à la chinoise en reprenant du capitalisme ce qui constitue le noyau, cette conception de l’homme calculateur congruent à la logique de la croissance économique exponentielle.
Evidemment il ne faut pas naturaliser la Chine, de par sa tradition philosophique — même si cette dernière a été fortement occultée par le pouvoir en place pour n’en garder que les aspects utilitaristes –, dispose des ressources intellectuelles, tout comme nous, pour penser un nouveau monde. La tradition confucéenne, taoiste est à titre d’exemple imprégnée de l’idée de régulation. Rien n’est plus étranger à la pensée chinoise traditionnelle que l’idée de croissance illimitée. La période actuelle que traverse la Chine comporte à cet égard certaines similitudes avec celle que fut le Premier empire chinois, dictatorial, voué à la course à la puissance.
L »humanité a vécu des millénaires sans l’institution du marché et cet esprit d’intérêt privatif qui lui est consubstantielle.
De là l’idée que la question de la régulation des marchés financiers, ou celle des questions liées aux cycles économiques, est loin d’aborder le fond du problème, qui est celui des limites atteintes par le système du monde-marché.
Je rejoins donc beaucoup des commentaires et des analyses de Paul lui même qui insistent sur le caractère culturel, anthropologique de la crise actuelle.
La question essentielle est donc : où se trouvent les leviers pour susciter l’émergence d’un nouvel imaginaire social propre à constituer une économie fondée sur d’autres bases anthropologiques ?
Sinon, faudra-t-il une catastrophe majeure — économique, écologique — pour renverser la tendance actuelle à l’autodestruction des équilibres sociaux, économiques, écologiques ?
Intéresant et rafraîchissant la mémoire, Paul, votre intervention. Entre autres choses bien vues et rappelées, ceci:
« »La place de chacun dans la réalisation du plan divin a été déterminée antérieurement à ce qu’il soit déployé dans l’histoire. En conséquence, le libre-arbitre est une illusion : l’individu est seul, prisonnier d’un destin qui s’effectue malgré lui, apte seulement à constater quel est celui-ci au sein du projet de la divinité. » »
Il y a également une attitude fataliste, mais très spécifique, dans l’Islam…
Autre chose qui étonne toujours et encore, c’est l’extraordinaire actualité (environ 170 ans après!) des écrits de Tocqueville sur la société américaine. Ça pourrait être écrit aujourd’hui! Alors que les États-Unis n’avaient peut-être que 50 ans d’existence environ.
Pierre-Yves D.
Il est bien vrai que l’origine de la « banque moderne » se trouve chez les Lombards aux XIV et XVèmes siècles (à Londres il y a la Lombard street). Les tenants du protestantisme n’ont fait que reprendre et afiner ce système bancaire, le développer et le déployer comme on ne sait que trop à travers le monde à partir de la souche anglo-saxonne.
Quand à la Chine, je crois que c’est bien vu de votre part. J’ajouterais que le grand intérêt de l’actuelle entrée en lice de la Chine est son caractère Yin (féminin, introverti et équivalences symboliques), en oposition au caractère Yang (masculin, extraverti et équivalences symboliques) de l’Occident, toujours et encore extraverti et conquérent, au moins depuis Alexandre le Grand, puis Rome, puis les cinq principales nations colonisatrices le Portugal et l’Espagne, la France, les Pays-Bas, l’Angleterre (1), jusqu’aux États-Unis aujourd’hui, sur leur fin semble-t-il. Pendant que la Chine, féminine et impériale par nature, bâtissait ses grandes murailles, durant les mêmes temps historiques, l’Occident, masculin et conquérant par nature, s’élançait à la conquête du monde. Il y a là une authentique qualification géographique et historique grâce au Yi King.
Comme vous le dites si bien, et je rejouterais: sans idéaliser personne: « (….) La tradition confucéenne, taoiste est à titre d’exemple imprégnée de l’idée de régulation. Rien n’est plus étranger à la pensée chinoise traditionnelle que l’idée de croissance illimitée(….) ».
Avec l’importance croissante de la Chine, ça va être probablement être un grand changement dans la nature des rapports dans le monde.
(1) quant à l’Allemagne, elle « percola » durant la première moitié du XXème siècle avec le nazisme, car privée d’un vrai empire colonial, si elle en avait eu un, ça l’aurait sans doute vaccinnée, ou déviée du nazisme
La lecture de ce blog me convainc de plus en plus que « économie + anthropologie = philosophie politique ». La lecture par Paul de l’héritage de l’esprit puritain/calviniste aux Etats-Unis est très éclairante. Les interventions de Pierre-Yves D. et de Rumbo abordent, elles aussi, cette approche que je tente d’approfondir depuis quelque temps. Je me sens dès lors encouragé à vous propose la lecture de deux analyses lparues sur le site d’Etopia http://www.etopia.be (le centre d’étude et de prospective des écologistes francophones de Belgique). La première analyse est de André Verkaeren http://www.etopia.be/IMG/pdf/verkaeren.pdf et s’intitule «Europe et écologie politique : une approche anthropologique». La seconde, que j’ai commise en juillet 2007 est une tentative de mise en perspective de l’excellent livre anthropo-économique de Jacques généreux « La dissociété »: http://www.etopia.be/spip.php?article686&var_recherche=adriaens .
Je constate aussi que beaucoup de ce qui se dit sur ce blog recoupe les textes que j’explore progressivement et qui sont publiés par le MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) . Pas étonnant que « La revue permanente du MAUSS » se trouve dans les liens recommandés par Paul.
Je viens de lire l’extrait d’Alexis de Tocqueville, on croirait un texte écrit aujourd’hui!
Les tenants du pouvoir américain détournent de manière fallacieuse la conception de la prédestination gratuite qui n’a bien sûr rien à voir avec leur univers, ceci bien sûr pour asseoir et justifier leur domination éhontée.
Le pire dans l’histoire, c’est qu’ils finissent par y croire à leurs balivernes,ils font corps avec ce qu’ils disent, quand ça atteint un tel degrè de congruence, ça s’appelle en psychopathologie, du délire.
La caractéristique d’un délirant c’est l’incapacité totale à critiquer, c’est le tableau clinique d’une société psychotique avec déni de la réalité et création d’une néo-réalité, c’est vraiment tout à fait ça, vous ne trouvez pas.
Amusant, c’est eux qui ont inventé la Bible de nos chers psychiâtres, le fameux dcm 4 ou 5…
Bonjour,
je lis Jorion et ce site depuis quelques jours avec un maximum d’intérêt.
Je suis perplexe devant les aspects « anthropologiques » qu’on peut y lire de plus en plus. Weber et Tocqueville c’est pas un peu poussif comme poncif ? Mhmm ? Les origines coloniales et ségrégationnistes des USA (et de l’Angleterre) ne suffisent-elles pas à éclaicir bien des choses d’un point de vue purement historique ?
Les envolées vers la Chine me paraissent carrément saugrenues. Si je lis bien on fait un amalgame entre Confucianisme et Taoisme qui sont précisément les deux faces antagonistes traditionnelles, tout aussi convenues, de la Chine ( Tao/Anarchisme/Juridisme vs Confucius/Tradition/Rite /Famille/Empire), et après ?
Amicalement
Bonjour.
Je ne le pense pas.
Les dérives actuelles du système de gestion des groupes humains me semblent remonter a des fondamentaux plus évidents.
Il me semble que le problème est un problème de « taille » et de changement d’ « outil ». Depuis l’animalité, l’homme s’est formaté comme animal social, et ce pendant des millions d’années. Ce formatage a utilisé des notions de « face » et de « rites » pour annihiler l’ »agressivité intra-spécifique (K Lorenz et Goffman) et permettre la socialisation.
Ces interrelations necessitent des groupes « restreints « ou chaque face connait l’autre. Cette gestion est complexe et tres stable (Théorie du Chaos/ Attracteurs étranges/ E Morin (Paradigmes perdus).
Vouloir augmenter la taille du groupe c’est utiliser des outils de gestion « simplifiés « , linéaires et non complexes donc instables et fragiliser le système.
C’est pour moi, la cause des echecs répétés et des hypertrophies catastrophiques actuels.
Un système naturel vivant n’augmente sa taille que par une seule procédure : La scissiparité, qui lui permet de conserver la complexité.
Le gigantisme actuel et passé des systèmes humains, ne respectant pas la « face sacrée » des individus et les systèmes complexes des interractions sont voués a l’echec et ne peuvent faire notre bonheur.
J’aurais voulu mettre ceci il y a quelques semaines, mais je n’en ai pas eu le réflexe et m’en veux un peu. Voir:
http://www.monetary.org/2008schedule.html
J’ai eu le grand plaisir de faire la connaissance il y a quelques semaines de Stephen Zarlenga, président de l’American Monetary Institute (A.M.I.) à l’occasion d’une conférence (en traduction simultanée) qu’il donna au Canada.
Depuis quelques années, il y a maintenant une rencontre de l’A.M.I. à Chicago. Cette année viennent également des intervenants que je connais très bien. Ainsi des avancées se font. La route est déjà longue, elle le sera encore, mais le cadre de la crise financière accélère le mouvement! C’est en se concentrant sur son sillon et sans dévier du cap à prendre qu’on fait le meilleur travail.
Trouvé dans Rhinehart:
» j’en ai marre de ramener des patients malheureux à l’ordre normal de l’ennui! »
« …et si on joue le jeu, c’est la meilleure façon de continuer à faire fonctionner leur foutu système.
Alors, ça m’a fait enrager de voir combien on m’avait eu. Toute ma tendresse, ma miséricorde, ma douceur, ça n’a servi qu’à laisser le système écraser tout le monde sans scrupule. »
« Ou tu travailles dur pour faire marcher la machine et t’es un brave type ou bien tu déconnes ou tu essayes d’arrêter la machine et t’es un coco ou un dingue! »
« Pour changer l’homme ce qu’il faut changer, c’est l’environnement qui lui fournit les critères d’après lesquels il se juge.Un homme se définit par son public. »
Un complément d’information en français à mon message ci-dessus. Bel encouragement de voir croître le nombre de ceux qui ont compris la PRIORITÉ des priorités:
http://www.monetary.org/frenchneedformonetaryreform.htm
Il ne s’agit pas de faire un amalgame, mais seulement de souligner le fait que Taoisme et Confucianisme sont deux courants de pensée aux résonances tantôt philosophiques (dans le sens d’une recherche de la sagesse) tantôt politiques, ou les deux, qui partagent une même cosmologie. Dès l’antiquité chinoise a prévalu une conception immanente de l’univers, par opposition à une conception judéo-chrétienne, mais aussi grecque, d’un monde clivé en monde visible et monde de l’au delà, ce dernier relevant du Dieu créateur, par définition en position d’extériorité au monde, puisqu’il l’a créé et a tout pouvoir sur lui.
L’univers est dans le monde chinois incréé et tout ce que peut faire l’homme est d’accorder le mieux possible sa conduite, sa sensibilité aux rythmes, aux cycles de la nature. De ce point de vue confucianisme et taoisme ne sont pas antagonistes mais plutôt complémentaires. Bien évidemment suivant les individus un aspect peut prédominer sur l’autre. Le confucianisme est plus engagé dans la vie sociale tant que le taoiste recherche est plus porté à une spontanéité naturelle qui ne s’embarrasse pas des conventions sociales. Un dicton populaire résume bien la chose « confucianisme le jour, taoiste la nuit. »
Egalement taoistes et confucéens ne raisonnent jamais dans l’abstrait d’où l’absence d’intérêt des chinois pour l’ontologie.
Quand je dis qu’ils ne raisonnent pas dans l’abstrait je ne veux pas dire que la pensée chinoise est rétive à l’abstraction, loin de là. Seulement, le développement de la pensée abstraite est toujours relié à une préoccupation pratique, morale, politique. Un monde des idées platoniciennes développé pour lui-même n’y a pas grand sens, et ce précisément parce que tout comportement, action, attitude humaine est toujours appréhendée comme un moment dans l’ordre cosmologique. Un ordre dynamique de l’univers qui dans le cas du confucianisme englobe la sphère sociale et dans le cas du taoisme concerne la Terre et le Ciel, c’est à dire la Nature.
Pour faire le lien avec la régulation, je dirais que le confucianisme suppose l’intervention humaine, précisément pour accorder le monde terrestre (l’ordre socio politique) et le monde naturel. Le taoisme suppose, lui, l’auto régulation. L’univers dans sa totalité a ses cycles, il s’agit alors pour l’homme de s’y accorder le mieux possible, avant de ne plus faire qu’un avec elle.
Certes, l’idée de régulation, que j’associe au confucianisme et au taoisme, on peut la retrouver dans la pensée occidentale. A cet égard, la main invisible d’Adam Smith, que d’aucuns disent être la main de Dieu, représente aussi la capacité de la Nature à s’autoréguler, s’agissant des mécanismes qui régissent le marché, via les prix, étant supposé par ailleurs que les acteurs économiques ont une vue transparente de l’état du marché ce qui permet précisément l’autorégulation du marché. Mais le régulationisme smithien comporte une grande différence avec le régulationisme chinois. Il intègre la notion de progrès infini.
Autrement dit de croissance. Je ne parle pas ici de la théorie des sentiments moraux, autre volet majeur de l’œuvre de Smith, qui ouvre d’autres perspectives que celle d’une économie qui fait de la richesse des nations l’agrégation des intérêts individuels. A ce sujet je ne saurais que trop recommander la lecture du livre de Marouby : L’économie de la nature. Lecture éclairante des présupposés smithiens, de ses erreurs, mais aussi de sa perception du rôle de l’imaginaire dans l’économie, une toute autre économie pouvant alors être esquissée à partir de l’idée que ce qui sous-tend les sociétés humaines ce ne sont pas simplement les intérêts égoïstes, mais ce qu’il appelle la sympathie.
A partir de là, que peut-on tirer de ces quelques considérations ?
Que la Chine actuelle, ou plutôt l’élite chinoise au pouvoir, a tourné le dos aux principes qui avaient permis jusqu’ici de pérenniser l’empire chinois. A savoir que l’ordre économique est imbriqué dans l’ordre social et politique, lui même imbriqué dans l’ordre de la Nature. De l’idée de régulation, si développée dans la pensée chinoise, déclinée en sa médecine, ses arts martiaux, etc. le pouvoir chinois n’a gardé que le coté adaptatif. La vision du monde comme processus ou procès l’a beaucoup aidée à réaliser la transition du communisme vers capitalisme. Par exemple en créant d’abord des zones économiques spéciales avant de généraliser l’expérience capitaliste à l’ensemble du pays. De même cette vision procédurale dont elle a fait un élément clé de sa stratégie — car elle en a une en dépit du développement chaotique, destructeur, en bien des domaines, notamment écologiques –, était congruente de celle du néo-libéralisme où il s’agit sans cesse de saisir des opportunités, profitant des différences de potentiels de développement qu’offre la division internationale du travail.
Mais du coup, manquait la dimension éminemment morale de la philosophie chinoise, puisque l’économie était désormais développée pour elle-même, et bien sûr, pour le plus grand profit des élites économiques et politiques chinoises.
En somme le développement actuel de la Chine c’est un amalgame plutôt réactif d’autoritarisme — qui rappelle la folle volonté de puissance du premier empereur chinois, et de pensée du process qui s’accorde bien avec le processus de la mondialisation.
Mon propos n’est pas du tout de dire que la Chine va supplanter le monde, car son sort est largement dépendant du reste du monde, et, pour l’heure, encore de l’économie américaine. Le développement de la Chine n’est pas plus irrésistible que celui de l’économie mondiale. La Chine bute, et butera de plus en plus sur les mêmes écueils que ceux que nous rencontrons.
C’est le système actuel de l’économie monde qui est à revoir. En attendant le monde occidental comme la Chine fonctionnent sur les mêmes présupposés économiques de la croissance. La volonté de puissance demeure. Reste que le système politique chinois n’est pas non plus éternel et que des évolutions peuvent se produire en Chine, tout comme ici.
Mais, hélas, ce que nous pouvons actuellement observer de façon générale c’est une course mondiale pour l’accaparement des ressources non renouvelables. On glisse peut-être alors du néo-libéralisme vers un néo-mercantilisme et-ou néo-colonialisme. Chacun dans son pré-carré essayant de grappiller ce qu’il peut ailleurs.
La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme indifférent me parait parfaitement éligible pour la » croissance illimitée » de même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme.
Comme quoi… (j’ajouterai que si il y a une tradition indifférente à l’Autre c’est bien la Chinoise).
A l’appel sempiternel à Tocqueville (hello BHL) je préfère la mention que fait Jorion de la nature de Migrant sautant dans le bateau (police et église aux fesses) et de Colon défricheur/tueur qu’il y a dans chaque américain, avec ce que cela comporte de volontarisme, de violence, d’énergie créatrice et d’individualisme forcené.
En tant que fils de colons.. algériens, j’ai toujours été frappé de la similitude des mentalités avec celle des USA (un stupéfiant optimisme, un communautarisme armé et un mépris absolu du pauvre et du… bicot/nigger). Ca me parait plus concret et pragmatique que Tocqueville.
Il me semblait qu’en Orient, une religion ou une philosophie n’était jamais incompatible avec une autre, certaines sectes, on le sait, incorporèrent au bouddhisme des éléments du taoïsme et du confucianisme.
« La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme indifférent me parait parfaitement éligible pour la ” croissance illimitée” de même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme.
Comme quoi… ( j’ajouterai que si il y a une tradition indifférente à l’Autre c’est bien la Chinoise). »
Pourriez-vous expliciter svp, développer, l’individualisme indifférent avec la croissance illimitée, l’indifférence à l’Autre dont serait dépositaire la tradition chinoise?ça m’intéresserait bien!
Catherine, je voulais tenter de relativiser le caractère « différent » de la Chine au regard de l’économie/capitalisme.
On voudrait s’illusionner sur le prochain « leadership » Chinois ? J’espère que c’est aussi naîf parce que je trouverais saumâtre un « essentialisme des profondeurs » à base de clichés. La figure du capitaliste n’est pas chinoise ? A t’on oublié le Shanghai de la première république ? Et la Corée, Le Japon, très largement sinisés ? Pas commerçante la nation chinoise ? Pas entreprenante ? Vraiment Zen ?
Le syncrétisme chinois n’a pas toujours été tel et il a une histoire conflictuelle comme toutes les histoires des religions (il s’agit bien de religion, avec des dieux !) C’est essentiellement une construction du pouvoir impérial qui s’est faite en plusieurs fois avec différentes alliances « de classes » et de cultes ; Confucius/Lao tseu vs Bouddha, Confucius/Bouddha vs Lao Tseu.
Oui je trouve Weber et cette sociologie dépassés. Si on trouve Weber et Tocquevillle (héros de Giscard et BHL) encore d’actualité c’est parce que ces oeuvres n’ont pas de traduction pragmatique possible et ne sont pas scientifiquement validable. On ne peut pas fonder dessus. Pour moi c’est de l’histoire des religions.
« La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme indifférent me parait parfaitement éligible pour la ” croissance illimitée” de même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme. »
Cetes, il faut nuancer, car est difficile de résumer en quelques lignes deux millénaires de pensée chinoise.
Il existe bien dans l’histoire de la pensée chinoise une école égotique ou égoiste, distincte du taoisme proprement dit d’ailleurs, mais cette école est un courant tout à fait marginal. De même je ne pense pas que l’on puisse assimiler le taoisme à une attitude existentielle faite d’indifférence, ou un égoisme, ou alors c’est une indifférence toute métaphysique : beau et au laid, richesse et pauvreté, honneur et disgrace que l’on considère avec un égal détachement. ll faut souligner ici qu’il y a plusieurs niveaux d’effectuation du taoisme. Les fameux lettrés qui allaient se cacher ou se retirer dans les montagnes n’y allaient pas pour y faire des retraites comme il était d’usage dans la tradition indouiste, mais parce disgraciés ou opposés au pouvoir en place, il cherchaient un refuge dans le silence et la Nature un hâvre de paix pour se resourcer, un réconfort en attendant des jours meilleurs, c’est à dire en attendant d’être éventuellement rappelés par l’empereur à la faveur d’un changement de politique ou de dynastie.
IL y a un taoisme métaphysique (dans le sens d’une immanence transcendante) comme je viens de le dire, mais il y a aussi un usage plus politique de celui-ci, notamment à travers la référence au livre de la Voie et de son Efficace, le fameux Tao De King. Ce livre n’est autre qu’un enseignement destiné au prince. Par extension, bien entendu, il vise aussi à s’appliquer à la conduite de toute affaire humaine, individuelle ou collective. IL s’agit par une pratique du non-agir de parvenir à ses fins, c’est à dire régner sur le royaume en prenant appui sur les cycles naturels lesquels relèvent autant du monde terrestre et celeste que du monde humain. « Non agir » (une traduction plus correcte serait pluôt « ne pas avoir la volonté de faire mais agir de sorte que les les choses se font tout naturellement », ne signifie pas ne rien faire, mais, en épousant le cours naturel des choses, imposer un certain ordre politique. Pour le taoiste politique l’ordre social et politique s’impose de lui-même, il n’y a qu’à l’accompagner, créer les conditions pour qu’il perdure. Par opposition, le confucianisme est si l’on peut dire, constructiviste. Il pense nécessaire l’établissement des rites, fondations de l’ordre social et politique. Bref, il y aurait beaucoup à développer, le tout est qu’il existe diverses combinaisons du taoisme et du confucianisme. Je vous concède qu’une version édulcorée du taoisme métaphysique peut s’accomoder du capitalisme le plus sauvage et le plus individualiste. Mais il s’agit alors du taoisme comme recettes de la réussite dans un domaine cloisonné, comme par exemple celui de l’économie. Pensez par exemple à la psychanalyse. Une version dévoyée de celle-ci, lorsqu’elle fut récupérée par le neveu de Freu, Edward Bernays, donna naissance au marketing, dans le sens le plus large du teme, lequel joua un grand rôle dans la fabrication de l’opinion politique américaine ainsi que dans l’orientation du consommateur.
Lea notion de juste milieu (zhongyong) ä¸åº¸ ( qui fut aussi le titre d’un traité célèbre du corpus confucéen) est apparue dans l’antiquité chinoise, avant même l’introduction du boudhisme, à l’époque dite des Printemps et Automnes, période pendant laquelle vécut Confucius, soit au VI siècle avant notre ère. Elle s’est intégrée à l’idéologie officielle impériale dès la dynastie des Han. Les notions de bienveillance (ren) ä»et de d’équité(yi) 義 apparues à la même époque, et qui représentent les valeurs morales du plus haut degré, sont inséparables du juste milieu. La réflexion économique n’est pas absente de la pensée chinoise, mais elle est, du moins dans le cadre confucéen toujours intégrée à une réflexion politique et sociale dont les principes éthiques dérivent de la notion de régulation. Il y a l’exception légiste et dictatoriale du premier empire chinois, subséquent aux poltiques appliquées dans les royaumes de l’antiquité chinoise qui rivalisaient de puissance, mais ce fut un court épisode au regard de la longueur de l’Histoire chinoise. Et cette épisode a toujours été regardé avec circonspection, sinon franche hostilité. Mao et sa révolution culturelle se revendiqua expressément du légisme et d’aileurs, comme je l’ai déjà dit, il en reste quelque chose, ce quelque chose qui a facilité la transition capitaliste en opérant une coupure culturelle.
S’il est vrai que l’idée de prospérité n’est pas du tout contradictoire du confucianisme, cela ne veut pas dire pour autant que
la prospérité y est supposée en progrès constant et infini. Comme je le disais dans le précédent commentaire, la pensée chinoise a une vision cyclique des choses. A telle enseigne qu’à chaque changement de dynastie les « compteurs » étaient en quelque sorte remis à zéro. Un nouveau calendrier était proclamé. De même un même empereur découpait son règne en autant d’ères, correspondantes en réalité à des phases politiques et culturelles d’un plus vaste ensemble, celui de l’Histoire chinoise. Il y avait d’ailleurs des historiens officiels chargés de consigner au jour le jour les faits et gestes, évènements de l’empire chinois, mais aussi et surtout, d’écrire l’Histoire de la précédente dynastie, en laquelle il cherchait les signes du déclin ou au contraire de la prospérité, autant matérielle que morale. Au niveau individuel, le réussite métérielle, l’enrichissement personnel n’est pas le signe tangible d’une grâce divine. La notion d’un invidivu considéré comme atome social n’a pas beaucoup de sens dans une société où c’est d’abord le groupe, la société qui définie l’individu. Le taoiste, même s’il peut êre indifférent au jeu social, ne se sent pas moins solidaire de la Nature, une Nature immanente qu’il n’est pas question pour lui de maîtriser mais au contraire avec laquelle il s’agit de faire corps afin d’en épouser toutes les potentialités. En ce sens il y a bien une efficace de la nature mais celle-ci n’est pas un objet qui puisse se façonner en fonction d’un modèle idéel comme dans la pensée « occidentale ».
Si aujourd’hui la Chine, ou plutôt le pouvoir politico-économique de la Chine, semble adhérer au dogme de la croissance infinie, c’est, il me semble un effet d’optique. Nous projetons nos conceptions du progrès. Il est vrai la pensée marxiste-léniniste est aussi une idéologie du progrès économique, lié à la croissance, mais la notion de régulation, de procès, donc processus qui a son début, sa maturité puis son déclin, est une notion très prégnante dans l’habitus de pensée chinois, que ceux-ci soient éduqués ou non. Un peu comme le christianisme a durablement informé la pensée européenne.
Ce qui se passse en réalité, c’est que la sphère économique s’est automisée, d’où la tendance générale chez les chinois qui ont accès aux espaces de prospérité, à vouloir en profiter. Après des décennies de pénurie il est évident qu’il y a eu un appel d’air en ce sens. Mais cela ne veut pas dire que les chinois pensent que les choses dureront eternellement. Soit dit en passant les tensions sociales sont très vives. L’arbitraire du pouvoir et l’accroissement des inégalités est de plus en plus mal ressenti. Les chinois, beaucoup plus que les américains, ont une vision historique cyclique des choses, — les américains comme le dit Paul Jorion à la suite de Tocqueville, une vision plus eschatologique, messianique de l’histoire — quand bien même, des pans entiers de leur histoire sont instrumentalisés par l’idéologie d’un pouvoir qui tient à garder toute sa puissance.
Bref, pour conclure, le capitalisme chinois est en phase depuis deux décennies environ avec la mondialisation, mais cela ne signifie pas qu’il se pense voué au progrès infini. C’est plutôt un capitalisme d’opportunités lié aussi au désir de renouer avec une grandeur passée, humiliée, selon la vision chinoise la plus commune, et qui sert surtout les intérêts d’une élite économico-politique qui sans états d’âmes (encore que depuis peu, au sein du parti communiste chinois émerge un courant régulateur qu s’oppose au « libéraux » ) s’est convertie au capitalisme. Ou alors cela signifierait que la société chinoise serait tellement acculturée qu’il ne resterait rien de sa culture millénaire, au sens de culture vivante, ce qui n’est pas le cas. N’étant pas devin, je ne sais évidemment pas dans quel sens va évoluer la Chine, même s’il est probable qu’elle continue sur sa lancée actuelle, tant que les conditions extérieures et intérieures au pays le permettront.
L’un des piliers de la pensée chinoise est le YI- KING, livre des transformations ou des mutations. C’est l’un des rarissimes « livres » (1) arrivés jusqu’à nous, c’est à peu près certain, dans son état originel. Le YI-KING peut être considéré comme l’un des « versants » de la pensée humaine.
(1) Le YI-KING « tient » sur peu de surface, sa seule « épaisseur » est, en fait, formée par les réflexions des philosophes chinois accumulées durant les millénaires sur la composition et le sens de ses 64 hexagrammes
Rumbo,
Entièrement d’accord, c’est un bon condensé du substrat de la pensée chinoise.
Il formalise symboliquement et subtilement – à l’aide de lignes continues et brisées combinées de 64 façon différentes et selon un ordre précis — l’ordre des phénomènes humains, lesquels sont pensés sur le modèle de la dynamique processive et régulatrice des phénomènes naturels.
C’est le premier manuel chinois d’éthique pour la conduite des affaires humaines dans un contexte ritualiste. On réduit souvent cet ouvrage à sa dimension divinatoire, mais celle-ci est tout à fait secondaire et même rejetée par certains commentateurs.
La spécificité du Yi King, comparé aux ouvrages des philosophes de l’antiquité grecque, est qu’il est tout à la fois une réflexion, une description au sujet du procès à l’oeuvre dans la nature et dans l’odre des choses humaines, et un instrument pour penser, adopter la meilleure attitude, disposition possibles, en fonction du cours des évènements et du milieu spécifique dans lequel on se trouve. Ce livre est donc tout sauf prescriptif, il laisse libre court à l’interprétation, interprétation qui ne peut se faire qu’en temps et en heure par un individu singulier. L’interpréte se projette en quelque sorte dans les figures du Yi King, pour, à travers elles, penser une situation particulière. Le livre permet ainsi de faire coincider le générique et le particulier. Pensée et pratique sont fondamentalement associés dans la culture chinoise, et ce livre rend la chose palpable, pourvu qu’on s’y colle un peu.
Toute la pensée chinoise n’est pas réductible à ce livre, mais il offre en effet une clé pour saisir beaucoup de ses linéaments.
J’ajouterais tout de même qu’il présente une vision particulière de la réalité. Si en effet il éclaire certains aspects de la pensée humaine de façon générale, il comporte néanmoins un aspect idéologique, voire normatif. Comme l’a très bien expliqué le sinologue et philosophe François Jullien, la conception de la réalité comme ordre dynamique et immanent n’est pas anodine.
Elle s’oppose à une conception plutôt grecque ou occidentale qui pose un monde des idées en dehors des contingences matérielles et temporelles, ce qui a permis de penser le politique de façon autonome. Et de là d’inventer la démocratie. En « Chine » ordre politique et ordre naturel tendent à être confondus. L’idée d’équité est donc d’abord reliée à celle de régulation, plutôt qu’à celle du débat contradictoire propre à l’espace publique de la Cité. Evidemment il ne s’agit pas de dire que la démocratie n’est pas pour la Chine. Seulement qu’une certaine orthodoxie chinoise ne l’y prédispose pas. Mais, heureusement la Chine n’est pas faite toute d’une pièce et de nombreux courants la traverse, dont le boudhisme comme l’a rappelé Henri B. Pour le moins la tradition chinoise ne présuppose pas la nécessité de la dictature, puisque dès l’antiquité le mandat du ciel pouvait être révoqué par le peuple, dès lors que le souverain manque à ses devoirs, ou trouble l’ordre naturel.
Oui, je partage votre réponse.
En résumé bien sûr, la pensée chinoise ferait l’économie de: ce qui EST. Être, cette « obsession » grecque et occidentale à travers l’histoire et l’actualité. Tandis que la pensée chinoise inclinerait d’abord à ne s’intéresser qu’au devenir des êtres, des choses et du monde. Soit, à la dynamique du devenir, y compris à travers, donc, les « contingences ». Dans la pensée chinoise le contingent comme le prosaïque s’interpénètrent avec la philosophie à la manière Yin-Yang, tel ce qu’on nomme: T’AI TCHI, ou principes suprêmes de l’existence. Cette attitude aurait donc la faculté de rappeler à l’ordre des choses, à l’ordre de la nature des choses, un pouvoir qui s’éleverait un peu trop « haut » dans les nuages, fut-ce celui de l’empereur (1) ce qui inclurait, sans la nommer, une certaine dimension démocratique puisque, effectivement, vous rappelez que: « pensée et pratique sont fondamentalement associées dans la culture chinoise ». Entre autres, vous précisez: « L’idée d’équité est donc d’abord reliée à celle de régulation, plutôt qu’à celle du débat contradictoire propre à l’espace public de la Cité ». Il n’y a pas dans l’attitude chinoise ce passage par l’ « être », sous-entendu presqu’obligatoire dans la pensée occidentale, avec tout ce que cela implique d’ « élaboration politique laborieuse et conflictuelle », pour la conduite personnelle et collective.
Dans le fond, il est intéressant de s’inspirer de la pensée d’autrui, ici la pensée chinoise, et ainsi mieux cultiver mutuellement nos héritages recpectifs, en sachant bien qu’ils ne sont pas exclusifs les uns des autres.
Mais alors, en ce qui me concene, étant impliqué, avec d’autres, dans la possibilité réelle, certifiée par l’expérimentation, d’instaurer un système monétaire juste fonctionnant selon le reflet exact de la production des biens d’un espace économique donné, et bien le mode chinois de penser et d’agir est ici d’un secours sans pareil! Car rien n’est plus contre-nature que le fonctionnement financier, bancaire et monétaire parti d’Occident (l’Angleterre) et, finalement, ayant modélisé tout le fonctionnement bancaire mondial, lequel est en train de nous aspirer dans son vortex destructeur pour déboucher sur un appauvrissement généralisé (sauf quelques groupes d’affidés) sinon un (ou des) conflit incontrôlable aux conséquences incalculables.
J’en termine avec ce propos tiré d’un entretien du philosophe et écrivain que j’ai pratiqué, à mon avis d’un grand intérêt, Raymond Abellio (1907-1986) au sujet de l’ « harmonique » constatée entre les 64 codons du code génétique et le Yi-King avec ses 64 hexagrammes.
Raymond Abellio. : Il est certain que les soixante-quatre codons de l’ADN, avec leurs triplets et leurs sextuplets, évoquent immédiatement la constitution du Yi-King, avec ses trigrammes et ses hexagrammes. Les quatre bases nucléiques évoquent les quatre pôles équatoriaux de la structure absolue, et aussi les deux couples « Vieux Yin-Jeune Yin », « Vieux Yang-Jeune Yang ». Cela ouvre tout un champ de recherches. Nous assistons ici à un rapprochement de la science et de la tradition extrêmement significatif.
(1) aujourd’hui gouvernement chinois d’obédience « communiste », cependant la dimension « impériale » est toujours présente dans la Chine contemporaine qui reste un « empire » au sens strict. C’est ce qui fait mettre les mots « empire » ou « communisme », et d’autres encore, entre guillemets. La civilisation chinoise n’a jamais connu de « rupture » au sens occidental du terme, même depuis 1949, ou même 1911, ce qui est remarquable
Catherine, j’apprécie énormément l’histoire des religions et la mythologie. C’est dit sans ironie. Mais je dis qu’on entre là sur un terrain glissant, Eliade en est la preuve. Même des gens aussi irréprochables que Dumézil hier et Sergent aujourd’hui ont souffert des rapprochements faits avec les dérives indo-européanistes, des manoeuvres des idéologues d’extrème droite, et de la vigilance indispensable des victimes. Car victimes il y a eu.
Les discours nationalistes et impérialistes se nourrissent de théories identitaires et essentialistes de supériorité (ou d’originalité) qu’il faut combattre en science et en méthode, y compris dans les sciences humaines.
La Chine n’échappe pas à ses dangers, et elle est particulièrement accueillante aux mythologies identitaires de supériorité. L’impérialisme japonais a-t-il été ineffablement Zen ?
C’est étonnant comme un débat sur ce blog, évolue… Après les questionnements anthropologiques sur l’évolution de l’Occident allant du christianisme vers le néolibéralisme capitaliste, voilà des informations (que je trouve super riches) sur l’évolution de la Chine, allant de ses fondements traditionnels (taoïsme/confucianisme/bouddhisme) jusqu’à la phase communisto-capitaliste d’aujourd’hui.
Si j’ai bien compris, cette phase ne serait qu’une parmi d’autres d’un grand cycle et qui aurait pour effet de permettre à l’Empire du Milieu de retrouver sa place (centrale comme le nom l’indique) dans un monde globalisé. Mais alors, ne faut-il pas craindre d’abord pour les peuples voisins, vietnamien, coréen, thibétain…, qui ont déjà eu a souffrir de l’impérialisme Han ?
Merci de l’éclairage de nos 3 spécialistes…
Craignons en effet, Alain.
Et ajoute à la liste l’Inde Himalayenne la Birmanie le Laos la Thailande la Mongolie, toute l’Asie Centrale et le monde malais…
L’économie globalisé est une réalité nouvelle et la Chine n’y « retrouve » pas sa place, mais la prend. En croissance ou en crise l’économie mondiale est là, la démographie est là , les mentalités, les motivations et les standards de vie sont là même si un crunch énorme rabat les économies régionales sur elles mêmes.
On est loin du Vieux Sage de la Montagne…
Rumbo,
¨Vous semblez bien connaître la philosophie chinoise, en vous lisant , j’ai buté sur le concept de devenir qui serait selon vous une priorité de cette pensée.
Mon interrogation vous paraîtra peut-être naïve mais elle est nécessaire pour que j’avance dans ma compréhension.
Pour les bouddhistes comme pour les taoïstes, il me semblait que la dimension temporelle, était purement attachée à la « personne », qu’elle avait donc une fonction de repèrage sans avoir d’objet réel en dehors de la « persona ».
Le devenir est une projection de la pensée qui s’inscrit dans l’avenir proche ou lointain, mais dans l’après.
Or le temps me semblait observé par les taoïstes comme un attribut illusoire de cette existence humaine , d’où l’inconvenance de se projeter dans un devenir. Mais il y a sans doute des subtilités qui m’échappent…
catherine,
S’il s’agit de devenir ce que l’on est, ou de devenir des choses, des idées, il n’y a pas à proprement parler de notion du devenir dans la pensée chinoise. Cette idée du devenir des choses ou des êtres est propre à la métaphysique occidentale, calquée sur le modèle de la fabrication, la tekné. Le potier à une idée préconçue de ce qu’il va fabriquer et, effectivement, il modèle sa création en fonction de son idée, selon une méthode de fabrication bien précise, pour arriver à un résultat anticipé. C’est toute la métaphysique artistotélicienne de la puissance et de l’acte. L’acte est déjà contenu en puissance. il n’y a plus qu’à déployer son effet pour créer ce que l’on voulait effectivement créer, ou parvenir aux fins que l’on se destinait. Derrière cela il y a la vision cosmologique d’un monde crée. Qu’il s’agisse d’un démiurge comme dans Platon ou d’un principe créateur qui serait mis en branle chez Aristote.
La conception chinoise du temps n’est pas linéraire. L’univers étant incréé, il n’a ni début ni fin. L’univers, en perpétuel renouvellement, en ce sens mû par un mouvement chaotique, n’en est pas moins soumis à un ordre interne, que sont les cycles naturels et la vie céleste et terrestre. Il n’y a donc pas de moment sécable, qui puisse être identifié comme tel, tout au moins si l’on appréhende la question du temps sous l’angle de la durée, encore que ce terme aux résonances bergsonniennes n’est pas non plus tout à fait approprié. Certes, les chinois, très tôt, fabriquèrent des clepsydres. Ils mesuraient donc bien le temps. Mais il s’agissait alors de trouver des repères disponibles pour faciliter la vie en société. Le temps mesuré n’avait pas de signification en termes de temps maîtrisable. Le temps occiddental est d’abord le temps de la maîtrise de la nature et par extension des affaires humaines.
Comme le temps (traditionnel) chinois n’est pas constitué d’entités objectives et homogènes, il ne s’écoule pas. Plutôt, il passe. Comme le vent, son effet est perceptible mais impalpable. Le temps est une manifestation toujours changeante, qualitative, qui prend les couleurs des dix milles transformations et mutations de l’univers. IL n’y a donc pas lieu pour l’homme de se projecter dans un devenir. L’humain, partie intégrante de la Nature, est lui-même soumis au mouvement à la fois chaotique et régulé de l’univers. L’humain ne maîtrise donc rien de façon absolue. Tout ce qu’il peut faire est d’essayer de saisir la tendance, la propension (shi) å‹¢ des choses (phénomènes) à aller dans une direction plutôt qu’une autre, et, partant de ‘surfer ». sur la réalité des phénomènes, c’est à dire d’en tirer, naturellement, le meilleur parti. C’est ce dont parle, entre autres, le Livre de la Voie et de son Efficace (anciennement traduit par vertu), le premier grand livre du taoisme. Bref, le temps chinois est lié au procès, ou processus, que sont les phénomènes. Et, logiquement, l’univers entier est lui-même un procès, ce qui explique la solidarité de tous les procès. Comme l’a bien décrit le grand sinologue et scientifique Joseph Needham, la vision chinoise de la réalité est organiciste.
Ce dont vous parlez plus précisément, le temps comme illusion, on le retrouve plutôt dans un autre grand classique du taoisme : Le Tchouang T’sseu. J’imagine que vous connaissez. Notamment la fameuse fable du rêveur qui ne sait plus s’il rêve qu’il est un papillon ou l’inverse. Ce livre n’invite pas à se projeter dans un devenir, qui n’existe pas en effet, mais il ne dédaigne pas pour autant la réalité physique, ou plutôt la nature, la nature devant aussi bien être considérée comme celle de du corps propre que la nature des phénomènes naturels. Il invite à developper, cultiver les dispositions mentales et corporelles, mais c’est tout un, pour justement épouser les mouvements de la Nature. En cela le taoisme n’a pas cette attitude distante à l’égard de la vie comme peut l’avoir un certain boudhisme, plus quiétiste lui, du moins pour certains de ses courants les, plus subjectiviste ou idélaliste dans le sens d’une projection illusoire. Dans l’ouvrage de Tchouang T’sseu il y a un passage célèbre dans lequel il est rapporté l’histoire du boucher qui, sans regarder son animal qu’il découpe, passe son couteau dans les interstices du cartilage de sorte que son couteau semble comme brasser du vide. En vérité, si le boucher a atteint une telle aisance, presque surnaturelle, c’est qu’a force de pratique, il ne s’agissait plus pour lui de voir avec les yeux mais avec l’esprit, donc de percevoir les formes dans leur plus grande globalité. Autant dire que la volonté de maîtrise n’intervient pas, c’est une longue pratique qui permet d’atteindre un tel résultat. Il en est de même de la perception des phénomènes et de leur évolution. Les phénomènes n’ont pas d’existence brute, leur perception suppose une vision entretenue, une écoute particulière. En somme le temps est une chose à la fois concrète et toujours singulière. Le temps est partie intégrante de la perception des phénomènes. Mais, évidemment, pas à la manière de Kant pour qui le temps est seulement une forme de la sensibilité. Dans la philosophie chinoise, le temps est plus que cela. Il est aussi et surtout une qualité. Une qualité relationnelle qui, comme telle, a une efficace.
Catherine
2 eptembre à 12h25
Probablement, je ne suis pas vraiment un « spécialiste » de la philosophie chinoise. J’ai utilisé le terme: devenir, surtout par association avec l’idée de transformation ou mutation propre à la formation des hexagrammes du Yi-King et ce que cela signifie, ainsi que les indications que ce procecus de formation et de lecture des hexagrammes nous donne. S’il fallait simplifier en essayant de comparer la pensée occidentale et la pensée chinoise. En Occident nous sommes intrigués au plus haut point par l’Être, ou le verbe être, nous cherchons toujours l’identité « ulltime » de ce qui « est » (1) scientifiquement, comme philosophiquement (2). Tandis que la pensée chinoise, elle, semble axée sur une dynamique du moment, qui peuvent être vécu comme un monument d’éternité, comme une essence « éternelle », attrappée au passage du mouvement vital des êtres, des choses, de la nature où agit un équilibre (le Milieu) dynamique car assymétrique et garant de l’ordre.
Henri dit:
« »L’économie globalisé est une réalité nouvelle et la Chine n’y “retrouve” pas sa place, mais la prend. En croissance ou en crise l’économie mondiale est là, la démographie est là , les mentalités, les motivations et les standards de vie sont là même si un crunch énorme rabat les économies régionales sur elles mêmes. » »
C’est vrai. Il n’y a pas eu de précédent dans cette situation. Puisse les tensions des marchés, les tensions financières (d’ailleurs, les Chinois viennent de réagir aux agissements financiers américains, mais ils ont d’énormes réserves de dollars…!), les tensions des matières premières, etc, ne pas déboucher sur une séries d’impasses qui, pendant que les humains comprendraient trop tard leur aveuglement, signerait le moment, une fois de plus douloureux, où chacun devra, éclopé et infirme, faire avec les moyens de « son » bord. La Chine est dans une situation nouvelle et inédite. Quelle va être la réaction YIN dans le monde entier? Jusqu’à présent on ne connaissait que l’attitude occidentale YANG. Tout ceci dit en simplifiant beaucoup.
Alain A. dit:
« »Si j’ai bien compris, cette phase ne serait qu’une parmi d’autres d’un grand cycle et qui aurait pour effet de permettre à l’Empire du Milieu de retrouver sa place (centrale comme le nom l’indique) dans un monde globalisé. Mais alors, ne faut-il pas craindre d’abord pour les peuples voisins, vietnamien, coréen, thibétain…, qui ont déjà eu a souffrir de l’impérialisme Han ? » ».
Je crois qu’en Asie, il existe, surtout en Asie Orientale, les pays dit sinisés, en somme presque tout ceux qui entourent la Chine (sauf la Russie bien sûr), reste à savoir la place que doivent garder les pays directement sous influence de l’ « Empire ». Il y a une trentaine d’années, l’on parlait déjà des « Dragons »: Corée du Sud, Singapour, Taïwan, puis le Vietnam qui fit plusieurs « faux-départs », etc. Ces payss semblent avoir été plus ou moins eclipsés par la montée en puissance de la Chine. Un nouvel équilibre en Asie Orietale est sans doute en train de se reformer.
(1) Des millions d’euros sont mis à contribution (mon propos, ici, ce n’est pas forcément une critique) dans l’immense accélérateur de particules construit sur la frontière franco-suisse pour créer des collisions de plus en plus violentes de façon à « casser de la matière » au niveau atomique et subatomique et exploiter ces expériences par tous les procédés connus et possibles et ainsi chercher, encore et toujours, quelle serait l’identité « ultime » (???) de la matière. Il se peut que l’on ne cesse, comme c’est déjà le cas, de trouver de nouvelles particules élémentaires, à l’infini (?). Mais peut-être que cela nous amènera des lots de connaisance importants, encore à émerger, car actuellement ces domaines, dont on ne sait pas si certains seraient fondamentalement nouveaux, ne sont que « subodorés ».
(2) La religion chrétienne, quant à elle, y a répondu dans les Évangiles. Mais la révélation chrétienne ne signifie pas que les recherches scientifiques et philosophiques seraient « achevées », pour autant que la science reste au service des êtres humains et que les mêmes êtres humains ne succombent pas aux sirènes de philosophies dévergondées. Très vieux problème! Source intarissable de débats!
Je voudrais juste à ajouter une chose pour donner le pendant « chinois » à la métaphore du potier.
A la conception du temps comme projection, du potier, on peut opposer celle de l’artisan qui travaille une pièce de jade.
La pièce de jade — ici métaphore de la réalité — comporte des zones « tendres » et des zones plus « dures ».
Le tailleur de jade ne peut donc tailler sa pièce selon un modèle préconçu. Il est obligé de tenir compte de la singularité de sa matière première. Il parviendra à un résultat mais ce résultat ne dépendra pas seulement de lui. Il s’inscrit d’abord dans la configuration des choses.
Sur la question du temps voir l’ouvrage du sinologue et philosophe François Jullien :
Du « temps », Eléments d’une philosophie du vivre, Grasset, 2001
Ce livre, de façon beaucoup plus développée et élaborée que je ne l’ai fait, compare les notions occidentales (Saint Augustin, Kant ..) et chinoises du « temps ».
Un extrait de mon Typologie des savoirs et transmission informatique (1991)
En prise directe avec la co-naissance, claire, souple et fluide, c’est tout simplement merveilleux. Merci à tous pour ces informations précieuses qui ouvrent des portes sur d’autre lecture notamment celle concernant le temps de Jullien qui me tente très fort. C’est cadeau vraiment!
Paul Jorion,
Merci pour ces citations très éclairantes qui synthétisent de longs développements qui peuvent être parfois paraître quelque peu abscons, surtout quand ils sont écrits par des esprits plus analytiques que synthétiques, comme c’est mon cas. Je lirai à tête reposé votre exposé sur la « typologie des savoirs et transmission informatique ». Enfin j’essaierai, car je ne connais pas grand chose à l’informatique.
Vous puisez aux meilleures sources de la sinologie. Les plus anciens sinologues — les pionniers en la matière — avaient un regard neuf sur la culture chinoise, leur intuitions n’en étaient que plus profondes. On saisit toujours mieux les choses à leur commencement. IL faut dire aussi qu’ils passaient des années à étudier les classiques chinois, en Chine même, au contact des lettrés dépositaires de la tradition chinoise, et avec beacoup de temps disponible pour accomplir leur patient labeur. Bref, ils s’immergeaient dans le monde culturel chinois. Aujoud’hui c’est sans doute encore possible mais alors il ne faut pas s’enfermer dans le cadre étroit des études universitaires. L’université offre des jalons pour la connaissance, mais la connaissance elle-même doit faire l’objet d’une quête toute personnele. Donc, les meilleurs sinologues, je veux désigne par là ceux qui ont une intelligence des principes fondamentaux et des traits spécifiques de la culture chinoise — ne sont pas forcément ceux qui ont les diplômes requis. Vous en êtes un peu la preuve vivante.
C’est fascinant de pouvoir constater à quel point science, éthique, politique, esthétique, littérature forment un continum dans le fonds culturel chinois. Nous occidentaux, il nous faut passer par l’étude intellectuelle, ou l’immersion dans un domaine particulier comme la science physique, ou la philosophie, pour concevoir, et surtout percevoir ce niveau de réalité où tous les phénomènes semblent de façon évidente, solidaires. Or la théorie des quantas, que vous citez, qui relève de la science la plus abconse pour le commun des mortels, dont je suis, car très mathématique, devient presque limpide dès lors que l’on s’intéresse un peu sérieusement à la pensée chinoise et-ou de manière plus générale à la culture chinoise dans son ensemble à travers l’étude d’une de ses diverses « branches » : arts martiaux, médecine, jeu de go, calligraphie-peinture, poésie-littérature-Histoire, et mathématiques-sciences naturelles.
Le caractère organiciste, global d’une réalité dont tous les phénomènes sont solidaires, est tellement prégnante dans la culture chinoise que l’organisation des connaissances — la culture lettrée et scientifique — reproduit elle-même le modèle organiciste. Le corpus de la pensée lettrée s’il a pu subir certains réaménagements au fil des siècles, a une cohérence extraordinaire. De quelque coté qu’on aborde cette culture, le coté choisi offre toujours, plus ou moins, une clé pour comprendre les autres élements de ce qui constitue la culture chinoise dans son ensemble. Et il n’est pas besoin d’avoir une attitude volontariste et une approche cumulative de la connaissance. IL suffit de cultiver une confiance faite d’ouverture à même d’aiguiser la sensibilité et l’intelligence des choses. Ce qui le peremet, c’est le fait que toutes les branches ont une même visée pratique qui est celle de s’accorder du mieux que l’on peut à l’ordre dynamique de l’univers-monde. Un commentateur du Yi King avait résumé la philosophie du livre, et donc de la Chine, en trois mots : continuité, changement, facilité.
Les résonances qu’entretiennent entre-elles les diverses branches de la connaissance chinoise ne permettent pas pour autant une approche éclectique, ni ne doit faire considérer que tout est dans tout à la manière des monades de Leibnitz, dont le modèle reste fixiste. En Chine, chaque domaine a bien sa spécificité, mais la co-naissance d’un domaine particulier fait entrevoir la solidarité foncière de tous les aspects de la connaissance, c’est à dire des différents domaines d’application d’une connaissance qui n’est jamais que globale.
Le calligraphe chinois ne devient pas du jour au lendemain médecin ou mathématicien, mais l’un comme l’autre ont affaire à des savoirs qui entretiennent entre eux des liens évidents. On a un accès d’autant meilleur au tout que l’on saisit mieux un aspect particulier. Et inversement, pour la saisie de tel aspect particulier il est nécessaire d’avoir une disponibilité, une ouverture, une sensibilité au réel saisi comme tout dynamique et ordonné, régulé. Peut-être en serez-vous d’accord, je tiens cette idée d’un mathématicien français avec lequel j’avais parlé de la structure des idéogrammes chinois, Jacques Vallée, il y a aussi un coté fractal dans la cosmologie ainsi que dans la façon dont s’organisent les différentes branches de la connaissance.
Si à l’instant j’ai parlé du calligraphe c’est que je me suis plus particulièrement intéressé à l’art de la calligraphie chinoise sous le double et complémentaire abord de sa littérature esthétique (où pratique et esthétique ne sont pas disjoints) et de sa pratique artistique proprement dite, c’est à dire pinceau, papier et encore en mains. J’ai pu, à la suite des lettrés-calligraphes (à mon modeste niveau) constater qu’une « oeuvre réussie » relevait d’une certaine vibration, perceptible dès le premier coup de pinceau et qui s’effectue, se matérialise, par un trait homogène dans l’ensemble du rouleau sur lequel on calligraphie. Je précise qu’en calligraphie il n’est pas question de revenir sur un ratage. Le premier jet est le bon ou …le mauvais.
Cette perception particulière existe bien dans la tradition artistique occidentale. Nous parlons alors d’inspiration. On « sait », dès le départ, et même avant d’avoir levé le pinceau, si ce que l’on crée va être bon ou pas, pour parler vulgairement. Mais l’idée, la création, vient d’un ailleurs, qu’il s’agisse des muses ou d’une divinité. En Chine, rien de tel. La création ou plutôt le « procès » y est d’emblée explicitée par un certain nombre de notions qui traduisent autant un niveau d’accomplissement artistique qu’un niveau de perception de la réalité, et par par dessus tout — c’est la valeur esthétique sommitale — un accomplissement éthico-moral.
Pour en revenir à la question du temps, tout se passe comme si la forme globale de l’oeuvre calligraphique effectivement réalisée avait dès le départ toute sa consistance, par delà la linéarité du temps. De toute évidence, la structure à la fois discontinue et déployée dans l’espace — l’espace carré — de l’idéogramme chinois potentialise le dit phénomène. De même le callligraphe n’invente pas les formes qui font « l’objet » de sa création. Les formes, parties intégrantes de son expression, sont celles de l’écriture chinoise ainsi que celles stylisées qui appartiennent au corpus de l’histoire de l’art calligrahique. Il s’agit donc de singulariser des formes communes. Toujours ici la prégnance du tout sur les parties. Le phénomène culturel qu’est l’écriture chinoise, et l’art calligraphique qui en est issu, est congruent à la vision cosmologique propre au monde chinois.
En ce sens, l »oeuvre d’art, le procès artistique, sont de l’ordre du surgissement, ou pour donner une image plus parlante, une cristallisation. Le créateur ne construit pas n’invente pas son oeuvre, il n’est que le médium, l’agent de ce surgissement, d’une concrétion singulière et locale produite par l’univers dans son entier. Si effectivement on a affaire à un certain niveau vibratoire de la réalité foncière, le temps n’existe pas, en tant que flèche du temps linéaire et entropique, puisque ce niveau vibratoire consiste en la perception subtile d’une solidarité, d’une connexion particularisée entre tous les ‘ »moments » qui ont constitué la réalisation de l’oeuvre. Depuis son murissement dans l’esprit de l’artiste jusqu’à l’oeuvre acomplie.
Les critiques-esthéticiens calligraphes pour qualifier les oeuvres « réussies » disent qu’elles sont faites d’un seul trait, d’un coup de pinceau. Ils disent aussi pour qualifier une belle peinture chinoise qu’il y a « une (con)figuration au delà de la (con)figuration. Le rendu particulier d’une oeuvre doit donc sa singularité, sa particularité, sa « beauté » à un niveau de perception particulier, lié en définitive à une plus ou moins grand capacité à se relier au tout dynamique, ici et maintenant. De là il est facile de comprendre que dans l’univers chinois il n’y a pas de hiatus, de dichotomie, entre esprit et matière. L’esprit n’y est jamais que de la matière affinée, d’une plus subtile vibration. La matière elle-même est une concrétion de l’énergie fondamentale, le Qi æ°£ã€Je note au passage que l’idéogramme chinois pour énergie ou souffle, « qi » ou ch’i, indique la vapeur émanant du riz distillé. ON rejoint là encore la thématique vibratoire, et ici plus précisément métamorphique.
Si je ne m’abuse, certains théoriciens de la phyisque quantique parlent de particules et d’antiparticules. Les particules allant dans un sens apparemment entropique, tandis qu’en sens inverse, les antiparticules « remonteraient » le temps, le tout assurant la consistance de l’univers. Evidemment cela semble être une métaphore, car espace et temps sont relatifs. Je ne sais pas si cela a un rapport avec la covariation dont vous parlez, mais cela y ressemble bien. Toutes ces considérations me font penser aussi à la nature à la fois ondulatoire et corpusculaire de la réalité physique dont parle aussi la mécanique quantique. Toujours la même idée du tout et des parties indissolublement liées, y compris « à distance » et, vérifiable en pratique. Ce qui ne veut pas dire objectivable, bien entendu, car si l’on s’en tient à la vision chinoise des choses, la nature métamorphique et toujours renouvelée de l’univers rend impossible une position de surplomb, et donc une prédiction des phénomènes naturels. La « science » chinoise pose d’emblée le lien intrinsèque entre sujet et ‘ »objet » de l’observation. Il n’y a pas d’objet en fait, le monde, l’univers est lui-même sujet au même titre que le sujet observateur. La distinction entre les deux instances est finalement purement opératoire et non pas subtantielle. Ce n’est même pas une question pour la science chinoise. La science chinoise traditionnelle j’entends. Encore que, d’après certains échos que j’ai pu avoir, les scientifiques chinois actuels ont parfois une manière bien à eux d’envisager certains problèmes scientifiques, dans certains domaines, laquelle manière n’est sans doute pas étrangère à un certain habitus résultant à la fois de la tradition scientifique et du substrat anthropologique de la société chinoise.
Etienne Chouard a pris la peine de réunir en un « volume » tous les propos que nous avons échangés ici sur le processus de création de la monnaie. Qui se porte volontaire pour en faire autant avec ce que nous disons de la pensée chinoise ?
Pierre-Yves D. dit:
« »La “science” chinoise pose d’emblée le lien intrinsèque entre sujet et ‘”objet” de l’observation. Il n’y a pas d’objet en fait, le monde, l’univers est lui-même sujet au même titre que le sujet observateur. La distinction entre les deux instances est finalement purement opératoire et non pas subtantielle. Ce n’est même pas une question pour la science chinoise. La science chinoise traditionnelle j’entends. » »
Tout votre précedent message confirme bien le fait que l’observation et la préhension chinoise des choses et des êtres réduit à son minimum, sinon « surplombe » ou n’envisage même pas la dichotomie sujet-objet omniprésente dans l’approche occidentale sur de nombreux plans fondamentaux, donc, scientifiques, philosophiques, éthiques, « artistiques », etc. Raymond Abellio, dans le même entretient que j’ai cité dans un message précédent, rappelle bien l’attitude occidentale. Les recherches de R. Abellio, polytechnicien, philosophe disciple de Husserl et écrivain, apportent nombre de jalons, de repères, de liens entre les diverses disciplines, les philosophies, les sciences, les grandes traditons et spiritualités de l’humanité.
Raymond ABELLIO. – Les théories de la connaissance, depuis deux mille cinq cents ans, se posent la question : comment l’objet est-il appréhendé par le sujet ? Qu’implique cette perception de l’extérieur par l’intérieur ? Et depuis deux mille cinq cents ans, il faut bien le dire, toutes les théories de la connaissance ont été dualistes : elles ont opposé un sujet et un objet, et n’ont pu sortir de l’impasse de la dualité statique qu’en faisant à leur tour des présupposés : cela a été tantôt l’idéalisme, tantôt le matérialisme, tantôt tout était préformé dans l’esprit, tantôt inversement la pensée n’était plus qu’une conséquence, un épiphénomène sortant de la matière. Ces deux écoles, depuis deux mille cinq cents ans, se sont entrebattues, et ont disserté sans fin. –
Il n’en est donc pas ainsi dans la pensée chinoise.
Ce qui suit est un concentré tiré d’un article de l’architecte jean Gaston Bardet où il fait référence à la recherche scientifique quand elle est faite par des chercheurs (ici des physiciens) d’horizons culturels très différents: Israëlite, Chrétien, Hindou, Chinois.
On peut citer l’exemple, hélas peu connu, des deux physiciens chinois vivant aux États-Unis lorsqu’ils recurent le prix Nobel de physique en 1957, Chen Ning Yang et Tsung Dao Lee. Ils eurent l’idée que la loi de la – parité -, si importante pour pour les physiciens, ne s’appliquait pas toujours, c’est ainsi qu’on aurait le moyen de distinguer la droite de la gauche. Cette hypothèse était à peu près improbable aux physiciens occidentaux qui ne tentèrent jamais rien dans ce sens là.
Les deux physiciens chinois passèrent donc au crible les expériences alors connues qui faisaient intervenir des – interactions faibles -. Ils publièrent un article rapportant leur recherche sur ce sujet en octobre 1956 dans « The Physical Rewiew ». Aucun écho ne s’en suivi. Sauf auprès d’une chinoise, Madame Chien Schiung Wu qui expérimenta les recherches de ses deux compatriotes. En effet, pour le Chinois, pas de distinction entre le profane et le sacré comme pour l’Occidental.
L’héritage spirituel des Chinois est très différent de celui des Occidentaux. Quelles que soient les alluvions occidentales récentes qu’ils ont reçues, ils sont marqué par la logique chinoise. C’est bien le T’ai Tchi (principe suprême de l’existence), un cercle dans lequel s’enlacent le Yin et le Yang du Tao. À l’intérieur du cercle du Tao, le symbole Yin-Yang est asymétrique – il n’est pas superposable à son image dans le miroir – mais bien que le Yin et le Yang soient asymétriques, ils sont tous les deux de même sens. L’asymétrie fondamentale du symbole chinois a joué son rôle subconscient dans la prise de position des physiciens Chen Ning Yang et Tsung Dao Lee, se distinguant ainsi de l’orthodoxie scientifique. Ils ont ainsi proposé à leurs collègues occidentaux ce que ces derniers, à structure mentale symétrique, ne conceptualisait pas « naturellement ». L’expérience de Madame Chien Schiung Wu, qui avait donc suivi les travaux de ses deux compatriotes chinois, réussit. La parité ne se conserve pas.
Et Jean Gaston Bardet, investigateur perspicace s’il en est, et après avoir cité des exemples et des réactions relatifs à la culture d’origine de physiciens d’autres cultures (citées plus haut) continue ainsi.
Nos savant physiciens, que tous croyaient rationalistes, sont – en réalité – menés par leur méta-physique, au sens exact. Les plus libres sont, certainement, les Chinois, car la pensée chinoise traditionnelle ne distingue pas entre la matière et l’esprit.
Enfin, pour approcher la Chine de façon interessante, outre le YI-KING, il y a des auteurs tels que le français Marcel GRANET, cité par Paul, et l’anglais Joseph NEEDHAM (une mine à lui seul!). Ce sont des auteurs que j’avais abordé, mais il y a longtemps
La remise en question en Occident de cette dualité postulée entre sujet et objet n’est pas si nouvelle. Il me semble que j’en ai entendu parler il y a déjà quelques décennies. L’expérimentateur a une influence sur l’expérience. À moins bien sûr que mes sources de l’époque n’aient été influencées par la pensée chinoise.
En ce qui concerne la notion de temps en physique, je voulais ajouter à la covariation une autre évolution/découverte de la pensée occidentale en la matière (sans jeu de mots) : alors que l’on nous présentait il y a quelques décennies l’atome comme un système solaire en miniature, avec les électrons orbitant sagement autour du noyau, l’idée qui semble dominer aujourd’hui est qu’il est impossible, contrairement à ce qu’il en est pour la position des astres dans l’univers, de déterminer avec précision la position d’un électron sur son « orbite ». Si j’ai bien compris, on parle désormais de probabilité.
Enfin, pour les néophytes qui souhaiteraient aborder ce domaine, je conseille la lecture du livre du physicien austro-américain Fritjof Capra « Le Tao de la physique » (Paris, Sand, 1975).
Oui, la mécanique quantique, ainsi que ses avancées en physique subatomique ont révolutionné les sciences, et une partie non négligeable de la « pensée ». La mécanique quantique est à l’origine de toute l’ « électronique » existante aujourd’hui. Le liens de la macrophysique avec les prolongements de la mécanique quantique, plusieurs fois annoncé, ne s’est pas produit (sauf erreur de ma part) s’il doit se produire un jour. Il y aura sûrement des développements, mais sûrement des surprises à ce sujet… D’après certains physiciens toujours en activité, il n’y a eu que très peu d’avancées scientifiques réelles et concrètes depuis, maintenant, une trentaine d’années environ. Seul le perfectionnement industriel incessant fait croire à certains (bien peu curieux!) que les découvertes scientifiques en physiques subatomiques avanceraient à grand pas encore aujourd’hui. Il n’en est rien. En ces domaines, les attentes et les paliers sont longs.
J’avais lu le Tao de la Physique peu après sa parution, mais je me souviens de ne pas avoir eu l’apport que j’espérais, je n’étais sans doute pas assez « mûr » (guère plus aujourd’hui). Je crois que ce livre aura été comme un « point d’orgue » de tout un courant « philosophique » (ou plutôt mode intellectuelle?) s’inspirant des reflexions de certains chercheurs en physique subatomique, et voyant là une voie magistrale à un relativisme à tout crin. Ici aussi, un équilibre doit être respecté. Car dans ce cas précis, c’est bien l’occasion de rappeler ici que la logique chinoise est – complète – en elle-même, comme – en relation -. Si la logique chinoise s’applique ici, elle s’applique aussi là… Il y a des conséquences relativistes, certes, dans certaines découvertes scientifiques, ou encore certaines phases conduisant à des découvertes (avant d’autres découvertes, bien sûr), mais ces conséquences relativistes n’infirment nullement les autres options cognitives qui ont précédé, et qui ont joué et jouent leur rôles. Je pense à la logique dite de l’identité et du tiers exclu qui affirme qu’une chose est ce qu’est et ne peut pas, à la fois, être son contraire, cette logique peut être « dépassée » dans certains domaines, mais pas éliminée. Évidemment, il manquaient des gardes fous à cette logique, qui poussée plus loin peut devenir meurtrière, et l’a été parfois; il y a des domaines ou la logique du tiers exclu peut faire des « ravages » et d’autres non ou elle devient alors un garde fous. Ainsi, le relativisme fait souvent dire trop vite que: « c’est bonnet blanc et blanc bonnet »… Les pièges philosophiques et ontologiques ne sont jamais loin. Du moins tel que cela se traduit, à présent, dans maint domaines, humain, sociologique, juridique, éthique et même moral, philosophique, économique et financier (ex. financer avec profit à la clé la production de revues ou films pornographiques est pareil que financer une maternelle ou un service de pédiâtrie) etc, etc.
* * * *
Pour répondre à la suggestion de Paul, ce serait bien, effectivement, de procéder ici sur la pensée chinoise comme l’a bien fait Étienne Chouard pour la monnaie (surtout que je suis très concerné vraiment à plus d’un titre par le sujet de la monnaie et ses divers traitements). Mais franchement, je manque de moyens tel que la connaissance du maniement aisé des ordinateurs, des programmes informatiques. De même, mon environnement domestique se prête très peu à ce genre d’intervention technicienne, qui est que sûrement à la portée de beaucoup. Il y a aussi mon agenda qui, pour le moment, me laisse relativement « tranquille » (c’est pour ça que le viens plus souvent ces jours-ci sur cet intéressant blog) mais se rempli vite, sans vraiment prévenir.
MDR, Avec tout le respect que je porte a la confiture , je me permets de pouffer.
Je n’ai probablement pas le niveau de vos délires mais de ma planète je ne peux qu’affirmer que « le roi est nu ».
Si vous avez un problème avec le temps, je pense que les thèses de Prigogine sur la fleche du temps et l’irreversibilité liée aux « biffurcations » qui ont été révèlées par les études sur le chaos vous donneront des ouvertures plus solides .
La planète est ds le mur et des découvertes récentes en matiere de mathématique comme en sociologie permettent d’en étudier au moins les raisons .Les éllucubrations mysthico philo me paraissent sinon déplacés , du moins obscènes.
(Bon , ce n’est que le point de vue d’un hétérodoxe exogène comme disait Assimov.)
« Puissent les tensions des marchés, les tensions financières (d’ailleurs, les Chinois viennent de réagir aux agissements financiers américains, mais ils ont d’énormes réserves de dollars…!), les tensions des matières premières, etc, ne pas déboucher sur une séries d’impasses qui, pendant que les humains comprendraient trop tard leur aveuglement, signerait le moment, une fois de plus douloureux, où chacun devra, éclopé et infirme, faire avec les moyens de “son” bord. La Chine est dans une situation nouvelle et inédite. Quelle va être la réaction YIN dans le monde entier? Jusqu’à présent on ne connaissait que l’attitude occidentale YANG. »
Eh bien, si j’ai bien compris l’article du WSJ (marketwatch) en ligne daté de cet après-midi, l’une des premières réactions chinoises est d’autoriser… la vente à découvert, afin de booster les gains de son secteur financier !
La gastronomie asiatique viendrait-elle de s’enrichir d’un nouveau met, le pigeon à la chinoise ? Recette : prenez un grand peuple qui a grandi pendant des siècles dans une bonne vieille sagesse traditionnelle, laissez-le mariner pendant plusieurs décennies dans un bocal en verre bien clos mais immergé dans un monde dominé par le mode de vie bling-bling occidental. Cassez le bocal et observez en connaisseur le mélange des saveurs qui ne manquera pas de s’opérer…
P.-S. sans lien aucun avec ce qui précède : c’est Asimov, pas « Assimov ». Il était loin d’être un « ass », lui, et notre pauvre civilisation aurait bien besoin d’un Hari Seldon.
Kercoz
S’agissant de confiture, il aurait fallu écrire: délices au lieu de délires
Candide dit:
« »La gastronomie asiatique viendrait-elle de s’enrichir d’un nouveau met, le pigeon à la chinoise ? Recette : prenez un grand peuple qui a grandi pendant des siècles dans une bonne vieille sagesse traditionnelle, laissez-le mariner pendant plusieurs décennies dans un bocal en verre bien clos mais immergé dans un monde dominé par le mode de vie bling-bling occidental. Cassez le bocal et observez en connaisseur le mélange des saveurs qui ne manquera pas de s’opérer » »
Les allégories sont bonnes et la recette retenue!
L’opposition sujet-objet pratiquée en Occident, l’Occident qui a tant créé et tant anéanti, d’abord dans la pensée politique, économique et scientifique, rien qu’avec la pensée marxiste, ensuite en moins d’un siècle, avec le tout-libéral-tout-marché-tout-financier, etc. Puis dans la matière, soit, avec la vampirisation des réserves d’énergie fossile, charbon, pétrole, gaz, et la désintégration de l’atome avec le nucléaire, etc, débouche sur une une désintégration dont, en principe, les hommes et leur environnement ne ressortent pas indemnes. Pourquoi les chinois feraient exception?
Les Chinois ont et gardent, de toutes façons, des ressources de par leurs structures mentales, exactement comme nous avons les nôtres. Les Chinois ont inventé la poudre à canon, le papier, le parachute, la vis sans fin, les feux d’artifices, le vilbrequin, peut-être le système piston-bielle. Léonard de Vinci, de son côté, inventa pas mal de choses, dont certaines citées ici. Les Occidentaux, en pleine concurrence entre eux, firent systématiquement barrage à toute prééminence possible d’autres « puissances » à travers le monde, occidentales ou pas par impérialisme. Et en plus, les inventions faites pas les Chinois ne pouvaient appartenir aux individus qui les avaient faites et qui se seraient donc enrichis avec leur exploitation industrielle et comerciale, car selon la loi de l’Empire, – tout – appartenait à l’Empereur. Celui-ci, de son côté en jouïssait, mais n’avait pas (ou peu) de « dessein instinctif » de conquêtes, d’embargo, de monopoles, etc, puisqu’étant, « par nature », et ceci à l’ – intérieur – d’un pouvoir politique et d’un espace « achevés », de par la pérennité même de l’Empire du Milieu, force Yin. Tandis que les Occidentaux, force Yang, toujours « en manque », n’ont eu de cesse de faire exactement l’inverse, – en direction de l’extérieur -.
Il n’y a d’ailleurs pas de « supériorité » de l’une sur l’autre d’une des deux structures mentales, l’occidentale et la chinoise. Le mode chinois pourrait être un complément assagissant et modérateur des exès et des exigences occidentales. Quant aux Chinois, sûrement moins « conscients » de leur mode d’agir et de penser, ils tombent dans un premier temps dans les travers et les dangers (ce qui se constate) du mode occidental dans lequel ils se jettent frénétiquement depuis environ 30 ans maintenant. Ainsi, leur propre inclinaison toute naturelle à l’équilibre, l’équilibre tenu par le fléau de la balance symbolisant, justement, l’Empire du Milieu, devraient les alerter de ne pas dépasser les signaux de danger qui se manifestent de partout. Il est bien dit que toute atteinte ici au fléau de la balance, qui est le « Milieu » (il faudrai que je recherche l’expresson exacte lue dans la traditon chinoise) du monde (ou de l’univers) est donc une atteinte au monde entier, qui peut en trembler… Donc, l’heure de vérité devrait approcher. Tôt ou tard…
Candide dit:
Effectivement, sorti de la litterature SF, on est effaré de constater la quantité de publications qu’il a produites … du bas de gamme du reader’s, …. pourtant, de façon collatérale il a soulevé un point majeur dans une de ses compilations pseudo-scientifiques :
Il y défend la thèse que c’est perdre son temps que de vérifier toutes les affirmations, inventions , découvertes … produites par des personnes qui ne sont pas du domaine concerné et « adoubés » par le système. Il ne nie nullement que des grandes découvertes aient été faites par des « exogènes hétérodoxes », mais que de toutes les façons ces découvertes étaient inéluctables et l’auraient été qqs temps plus tard.
Ce mode de raisonnement est d’une variante inédite de la religion dominante actuelle : le Scientisme.
Il montre aussi que la plupart des adeptes de cette « foi » pensent que nous sommes au maximum des découvertes possibles ds chaque domaine (ou peu s’en faut).
De façon annexe il me persuade un peu plus qu’une « croyance » ne peut etre qu’inconsciente……… Le fait de la verbaliser, c’est deja douter.
Bon, en tant que sociologue platement matérialiste je ne souhaitais pas vraiment réagir, mais je ne résiste pas (le sage se tairait bien sûr).
Je pense que les pensées orientales traditionnelles ( y compris indiennes) et la culture (pas la religion car les rites sont coriaces), sont depuis longtemps écrabouillée par la mondialisation de l’économie, de la pensée… et de la science (je souligne), cette mondialisation se produit avec une coloration occidentale, on est bien d’accord.
Le signe extérieur de richesse des familles chinoises n’est pas le pipa mais le piano (pour la chère tête brune).
La culture traditionnelle est désormais « revivaliste » et identitaire, ce qui m’amène à faire un parallèle avec la reprise/invention du Shintoisme en tant que pensée « Japonaise » par les nationalistes impérialistes japonais avant guerre… brrr…
Le Taoisme, avec son fond ethnique, sa part de violence spontanée et populiste, son dérivé légiste et égalitariste, est le meilleur candidat pour prendre la place d’une pensée « völkisch » à la chinoise/Han.
Alors sacrifions à Confucius.
Enfin un peu de lucidité ! Les religions ne sont que des squatters tardifs (tres tardifs) des rites qui perdurent depuis l’animalité. Il eut été dommage que ces « lieux de pouvoir » restent sans bénéfices.
C’est vraiment dans cette direction qu’il faut chercher si l’on veut chercher nos erreurs sociétales. Goffman, trop méconnu bien que souvent exploité, serait une bonne base.
@ kercoz
« Asimov un bas de gamme du reader’s… » Gloups, j’ai failli en avaler ma souris! Si la trilogie de Fondation est du bas de gamme, je mets le feu à ma bibliothèque… Hari Selon, la concrétisation humaine du démon de Laplace en réécrirait toutes les équations de la psychohistoire…
Sans rire, Asimov, un scientifique de haut niveau qui a réussi à rendre passionnants et lisibles par des millions de lecteurs les enjeux « philosophiques » de bien des théories scientifiques. Les lois de la robotique, les paradoxes déstabilisants du voyage temporel, ce n’est pas du bas de gamme mais de la haute réflexion pédagogisée.
Mais le plus étonnant n’est-il pas qu’avec « Terre et Fondation », le quatrième tome ajouté à la trilogie (comme les trois mousquetaires qui étaient quatre), il ait réalisé et traduit le tournant induit à la fois par le principe d’indétermination de Heisenberg et la notion de Terre-Mère, la Gaïa révélée aussi, mais d’une autre manière, par Fritjof Capra ?
PS : excusez la fausse tape qui envoie mes débuts de message lorsque je ne les écris pas d’abord sur mon traitement de texte 🙁 .
Sans rire le haut niveau consiste en qqs mois d’enseignement. Un ego, c’est comme pour les glandes mammaires, hypertrophié ça devient vulgaire. Si ses romans ont quelques attraits, ses autres écrits (plus nombreux) sont de la vulgarisation de racolage de peu d’intéret. Mais bon, n’ergotons pas, meme San A a amené des gens a la littérature.