L’autorégulation des marchés : le retour !

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Aux États–Unis, j’étais au cœur du système financier – du moins jusqu’en octobre 2007 – et j’avais donc un accès direct à l’information sur ce que l’on pensait dans le milieu. J’ai travaillé dans une banque française mais c’était il y a bien longtemps : en 1990-1991. C’est ce qui m’oblige, quand je parle du secteur bancaire en France, de travailler à l’intuition – une situation qui est très loin d’être idéale.

J’ai récemment eu la chance de parler à un banquier français qui a accepté de parler « off the record », hors-micro, et sous le sceau de la confidentialité.

Moi : J’ai le sentiment que si la situation a l’air meilleure dans le secteur bancaire français, c’est à cause d’une certaine tradition de dissimulation en France. Est-ce que je me trompe ?

Lui : Vous ne vous trompez pas.

Cela veut donc dire que les mauvais résultats vont continuer d’apparaître. A-t-on pris la pleine mesure des dégâts ?

Non : il y a encore en France, beaucoup de très mauvais résultats à venir. Et ce n’est pas seulement la France : c’est vrai pour l’Europe en général.

Peut-on dire – comme on l’entend répéter ces jours-ci – que la situation s’améliore dans le domaine financier ou est-elle encore en train de s’aggraver ?

La situation s’aggrave encore.

Pour quelle raison ?

Parce qu’aucune des mesures qui auraient pu être prises pour endiguer la crise n’a été prise. La crise s’est répandue comme une pandémie : il y a eu des phases de développement. À chacune de ces phases, des mesures auraient pu être prises. Aucune ne l’a été.

Comment est-ce possible ?

La peur ! On finira – vous verrez – par adopter partout la formule des « bad bank », des banques de mauvais aloi, où l’on isole du reste de l’économie les produits financiers toxiques. C’est la seule solution raisonnable. Et elle est connue depuis le début de la crise : on l’a envisagée un moment, puis l’on s’en est détourné. La raison, c’est tout simplement la peur : la peur devant les chiffres gigantesques qui étaient apparus.

Les suggestions sur ce qu’il conviendrait de faire ne manquent pas parmi des gens qui sont en-dehors du circuit traditionnel – venant même de certains Prix Nobel d’économie. Pourquoi les éléments de solutions proposés par ces gens-là sont-ils ignorés ?

Parce qu’il existe un cadre traditionnel pour résoudre ces problèmes : celui du milieu financier et de ses superviseurs – c’est-à-dire l’État – et l’on persiste à vouloir résoudre les difficultés au sein de ce cadre traditionnel. Or, comme vous le savez, c’est le monde financier qui est à l’origine des difficultés actuelles mais c’est de lui que l’on exige de les résoudre. Le monde politique ne remet pas en question que ce soit là le cadre au sein duquel il faille opérer.

Que va-t-il se passer ?

Il y aura de nouvelles phases dans la pandémie et on s’abstiendra à nouveau de prendre les mesures qui devraient être prises. Encore une fois, par peur.

On ne fera jamais appel à ceux qui proposent au moins des bouts de solution ?

Si, le moment viendra.

Qu’attend-on ?

Que la situation soit encore beaucoup plus grave.

Et à quel moment s’adressera-t-on à eux ?

Paradoxalement, c’est le marché qui en décidera : quand la situation sera si grave qu’il faille absolument sortir du cadre de référence habituel, les marchés l’imposeront alors.

Moi (un peu désarçonné, il faut bien le dire) : La solution viendra donc de l’autorégulation des marchés !

Si vous voulez.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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112 réponses à “L’autorégulation des marchés : le retour !”

  1. Avatar de JJJ
    JJJ

    @ Auguste

    On voir bien que, vous aussi, vous êtes trop jeune pour avoir investi dans les emprunts russes !
    Depuis lors, c’est vrai, on a « rééchelonné » la dette des Etats en cessation de paiements, dont une partie plus ou moins importante est purement et simplement abandonnée. Toujours au nom du « risque systémique » et de la crédibilité du système financier. Dans certains cas, il en vrai, les questions d’argent débouchent sur un conflit armé (lorsqu’il y a des richesses naturelles). Mais voyez-vous un empereur quelconque, logé aux Caïmans, nous faire déclarer la guerre parce qu’il va perdre du fric avec nos OAT ? Qui donc nous attaquerait ? Aujourd’hui, tous les Etats sont condamnés à la banqueroute (quand ils n’y sont pas déjà). Ce serait une guerre entre décavés.

  2. Avatar de TARTAR
    TARTAR

    @notre vieux copain Michel
    Il faut toujours penser que les banques sautent à pieds joints sur les bon coups quittes à évaporer les actifs clients pour autant que la faible régulation ou un Bâle X le permette.
    Mais qu’en plus elles sont en concurrence.
    Il y urgence pour chacune à attraper le ballon sous peine de se le faire piquer par une plus rapide.
    Prédateurs fous.

  3. Avatar de Crapaud Rouge
    Crapaud Rouge

    @Auguste et JJJ : vous me répondez en considérant des créanciers qui envisagent « sérieusement » les risques ou dont on peut prédire qu’ils vont se faire rouler dans la farine. Mais quand je me posais la question de « quelque chose de complètement idiot au départ« , je pensais à ce qui a précédé la crise : surendettement des ménages, politique de la FED, titrisation, produits dérivés et cie. Je crois qu’il y a quelque chose de contradictoire dans la façon dont on s’est mis à penser le risque. Quand le CAC40 annonçait chaque jour sa petite augmentation, qui disait encore que la bourse est un placement risqué ?

  4. Avatar de TARTAR
    TARTAR

    Pour les lecteurs (contrariens) de la chronique Agora çà faisait plus de 2 ans que la cata était annoncée et le CAC comme le S&P considérés comme un théatre pour les « lumpen-investisseurs »….

  5. Avatar de Crapaud Rouge
    Crapaud Rouge

    Autre manière de poser la question du risque : quand vous êtes à bord d’une vieille guimbarde et que vous montez, sur l’autoroute, à 150/160, vous la sentez vibrer de partout, et vous savez que vous êtes en train de prendre un risque. Si vous faites la même chose à bord d’une voiture de luxe, vous ne ressentez rien de plus qu’à la vitesse réglementaire, et vous avez l’impression de ne prendre aucun risque. Comparaison n’est pas raison, certes, mais je le dis quand même parce que j’adore les comparaisons : le système capitaliste est ce qui vous fait prendre toujours plus de risques en vous faisant croire le contraire.

  6. Avatar de barbe-toute-bleue
    barbe-toute-bleue

    @JJJ

    Je constate que vous voilà encore en train de plaisanter. Incorrigible semeur de panique, va !

    Je crois que vous seriez attendu pour interpréter de ce côté, au cas où vous vous ennuieriez autant que vous le semblez :

    http://www.pauljorion.com/blog/?p=3160#comment-27553

  7. Avatar de Cécile
    Cécile

    à crapeau rouge
    ce lundi 25 mai 2009 dans « l’économie en question », titrée « Penser la crise « ,
    http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/economie/fiche.php?diffusion_id=73750
    André Orléan utilise cette comparaison de la voiture, tout en est à revoir les freins , la direction, la carburation, le carburant, …. (changer de voiture ? )

  8. Avatar de Auguste
    Auguste

    à Barbe-toute-Bleue [15:45]
    Je pensais ne pas répondre à JJJ [15:19]
    mais votre propos m’incite à le faire.
    L’un de mes grand-pères qui avait travaillé dur toute sa vie avait placé une large part de son épargne dans ces emprunts russes [Nota: Je ne l’ai jamais connu et j’ai oublié ce qu’on m’en a dit]. Il perdit tout.
    La situation n’est pas du tout celle-ci. Elle serait même plutôt opposée.
    Il y a un siècle, à l’époque du chambardement en Russie, c’était une multitude de porteurs (petits, moyens, etc.) qui avaient (je crois) prêté pour de grands travaux en Russie (non ? à peu près cela ?)
    Faites un instant un saut au billet n°3160 du 22 mai, intitulé « Le Temps qu’il fait »

    Barbe-toute-Bleue a affiché le Bilan de la BRI sur ans

    blog/?p=3160#comment-27493

    Le 31 mars 2008, les créanciers avaient déposé (en monnaies, or et quelques babioles) environ 300 milliards de DTS, soit pas loin de 300 milliards d’euros.
    S’agit-il d’une multitude de créanciers ?
    Le nombre de ces créanciers (exempts d’impôt) qui ont versé plus de 15 milliards d’€ [Plus de 15, plus de 5%]
    est déclaré. Combien sont-ils ? quatre.
    Leur créance est, à quatre, supérieure (le montant est inconnu) supérieure à 60 milliards €.
    N’allez pas me dire, qu’avec 60 ou 100 milliards à la BRI on n’a moyen de voir sa dette honorée
    d’une manière ou d’une autre. J’ai fourni une liste à titre d’exemple. Sans doute ont-ils d’autres passions ou ambitions.
    Espérons que ben Laden … un ayatollah … un apparachik difficile à tenir … ? … ne soit pas l’un d’eux.
    mon expression « voulez-vous la guerre ou quoi ? » est symbolique.
    Il n’y a pas que la guerre avec des missiles de croisière … on peut aussi couper des approvisionnements en gaz ou pétrole, ne pas acheter d’armements (adieu les commissions), etc.
    Voudriez-vous aussi une liste ici.
    Maintenant j’aurai grand plaisir à recevoir un scénario différent du mien, mais qui ne soit tout de même pas dans le style un « empereur aux Caraibes », car c’est là se moquer de mes contributions.
    Et vous aviez tort de dire que la BRI n’avait plus aucun privé. Désolé, j’ai été contraint de relever.

  9. Avatar de Allfeel
    Allfeel

    C’est pourtant simple la plus grande force en action dans notre société
    c’est l’inertie , l’attachement a l’existant sans doute gouvernée par le principe de l’économie cognitive
    alliée au conformisme social. Comment des politiques pourraient remettre en cause le systeme financier
    alors qu’ils n’ont aucune compétence dans ce domaine , objectivement la principale qualité d’un gouvernement c’est de se faire élire pas d’avoir des idées révolutionnaires dans un quelconque domaine ca peut se comprendre par le fait que pour etre élu il faut convaincre la plupart des électeurs d’une part que vous êtes comme eux, et d’autre proposer des solutions abordable a la compréhention . D’un autre coté pourquoi des banquiers ou des financiers remettraient ils en question l’ensemble de leurs compétences risquant de se faire tres rapidement considérés comme des parias par l’ensemble de la profession.
    Rien ne doit changer, rien la misère avance tant mieux ,c’est ce qui permet au capitalisme de propérer, le chomage permet aux entreprises de tirer les salaires vers le bas, l’état aide les chomeurs a rester en vie et a consommer.
    Les états s’endettent et alors , qui va leur réclamer de force un remboursement?
    C’est pourtant pas difficile de comprendre ce que disait ce brave banquier sans faire des analyses sémantiques fumeuses
    ou des extrapolations d’intentions: Les conséquences d’un échec quelles qu’elles soient seront une sorte de régulation par le marché, meme la mort du marché elle meme. Sa réponse:  » si vous voulez  » ca ne veux pas dire grand chose si ce n’est qu’on peut considérer que toutes les catastrophes sur le marché possibles peuvent etre considérées comme de l’autorégulation
    mais c’est presque un lieu commun encore le principe d’économie cognitive en action, ici dans la bouche d’un banquier.
    Paul Jorion fait a mon avis l’erreur de croire que son banquier fait comme lui attention a la portée de chacune de ses paroles.
    Eh bien non les personnes qui passent le moins de temps a chercher a remettre en question la finance et a s’interroger
    ce sont surement les banquier . ILs ont été sélectionnés pour appliquer un systeme existant et les plus doués l’améliorent
    et actuellement ils passent leur temps a soigner leur bilan et a lever des fonds, dites moi pourquoi et a quels moments pourraient ils réfléchir a une évolution profonde de la finance?

  10. Avatar de LeClownBlanc
    LeClownBlanc

    Dès qu’il s’agit d’ultralibéralisme ou d’économie Wikipedia n’est plus du tout fiable, plus du tout
    ça va bien pour la mathématique ou les papillons

  11. Avatar de LeClownBlanc
    LeClownBlanc

    Allfeel est dans le vrai à 99%
    Un banquier normalement constitué est, en général, incapable de voir le monde autrement que par la représentation automatique, réflexe, qu’il a de son monde en $ Y, € £ et, souvent, limitée à quelques items d’actif et/ou passif.
    Le top-banquier est à rapprocher de l’informaticie IBM des années 1975-1992 : il avait mis 10 ou 12 ans à acquérir la connaissance des gros bouzins IBM, ultra-complexes à comprendre, installer et faire fonctionner; il valait cher sur le marché. Il ne pouvait pas s’imaginer quittant sa grosse armoire où s’empilaient les centaines de manuels auxquels il devait son expertise recherchée; les solutions étrangères à IBM n’existaient tout simplement pas. Ne parlons pas des idées

  12. Avatar de johannes finckh

    @ tous:
    Je vois que mon commentaire a pu faire sentir à quel point la dette n’est pas récupérable dès que (comme au monopoly!) le gagnant a déjà « tout »! Il y a néanmoins un chemin pour régler ce problème avec le temps!:
    Pour maintenir le système « fluide », il faut alors bien autre chose, cela me semble clair!
    Autrement dit, pour recommencer à « jouer » à la marchande, il faut trouver une monnaie qui circule efficacement en échange de biens et services réels!
    Pourquoi alors n’émettrait-on pas tout bêtement une monnaie nouvelle qui circule en tout circonstance?
    Que même et surtout les créanciers, qui ont déjà « tout », doivent remettre en jeu!
    Laissons-leur leurs avoirs acquis, même injustement, c’est déjà « digéré », si je puis dire!
    Mais dès à présent, toute nouvelle émision monétaire centrale aurait à veiller à ce que ces émissions nouvelles ne soient plus susceptibles d’être « gelées »!
    Et cela, précisément, est le projet de la monnaie anticrise!
    Nous assisterions dès lors à une sortie immédiate de la crise systémique, les grandes fortunes se maintiendraient, certes, dans un premier temps, mais elles ne pourraient plus croître! Même les banques et les grandes entreprises défaillantes n’empêcheraient plus la « reprise »!
    Et le seul travail humain, sans aucun autre adjuvant, ferait que les richesses crées dès maintenant seraient mieux redistribuées!
    Les débiteurs redeviendraient solvables et rembourseraient alors, peu à peu, ce qu’ils doivent sans s’endetter à nouveau!
    C’est cette révolution paisible qui stabiliserait remarquablement l’économie du monde et participerait efficacement à un monde paisible!
    jf

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