Billet invité.
J’ai fini la lecture de votre livre !
Je confirme pour dire qu’il est très bien. J’espère qu’il réveillera les économistes attachés et adeptes de la confusion entre « argent » et « reconnaissance de dette ».
Votre dernier passage sur la « dimensionnalité » de la monnaie apporte le fait que l’ordre monétaire, qui génère toujours l’intérêt, même faible et même proposé selon des règles plus « convenables », à savoir dans la production en obtenant un partage entre capitaliste et entrepreneur tout en produisant une « croissance », car l’argent est correctement investi – et sans les trop fréquents abus dans la consommation et la spéculation – va tout de même dans le mur ! Car l’insolvabilité qu’engendre ce système est mathématiquement inéluctable ! Cela est encore vrai pour des intérêts très faibles et même nuls ! Vous signalez le côté physique de cet événement ! Par ailleurs, vous rendez hommage, en fin de votre ouvrage, à certaines de vos sources, notamment Emile Zola.
Pour ma part, j’ai regretté que vous ayez, tout en ayant souligné dans la discussion des solutions proposées, souligné la grande « subtilité » de la solution de Gesell, pas davantage médité et retenu sa solution !
Il me semble y avoir deux raisons essentielles.
1) La première, vous semblez craindre que la monnaie dite « fondante » incite à une sorte de « pousse » à la consommation, car cette monnaie qui perd de la substance en fonction du seul temps qui passe, c’est en effet son principe, pourrait inciter à des achats inutiles et à une fuite en avant de la consommation ! Je vous ai déjà démontré que cette analyse est radicalement fausse, car, bien au contraire, celui qui se trouverait dans une telle situation d’avoir de la « richesse à gaspiller, à perdre », autrement dit le capitaliste, n’a certainement pas cette mentalité-là. Au contraire, il chercherait plutôt à acquérir des actifs durables, des terres, des valeurs industrielles, des placements financiers rentables ou, à défaut, qui maintiennent la valeur et donc l’épargne en question ! Car, dans le nouveau contexte où la rétention liquide ne peut plus fonctionner comme moyen de retirer de la monnaie circulante, il est sensible que la seule possibilité de transférer sa richesse d’aujourd’hui dans le futur sans subir la fonte ou, mieux, en réalisant des gains de valeur liés aux actifs qui ont des chances de s’apprécier (ou pas), restera le vrai moteur de l’épargne de précaution que tout un chacun envisage dès que ses revenus lui permettent.
En clair, le fait de rester positionné sur les « nouvelles valeurs refuge » aura pour effet de réduire substantiellement les mouvements boursiers et les transactions immobilières, car les mouvements spéculatifs cesseraient très très vite. Car vous savez bien que ces mouvements, quelle que soit leur sophistication par le biais des achats/vente à terme ou non, nécessitent toujours et encore les passage par la « réalisation » pour transformer les gains virtuels en gains réels. Et dans un contexte où l’argent, devenu « fondant », devient lui-même un risque réel et assez sérieux, les mouvements spéculatifs se calmeront plus sûrement qu’avec une taxe « Tobin ». La taxe Tobin pourrait tout à fait être proposée « en plus » pour compléter ce système. De plus, certainement, il faudra taxer davantage la propriété foncière, car seule une taxe suffisante « oblige » les propriétaires à faire un usage économique optimal de la terre dans le but de produire suffisamment de richesses à distribuer (notamment avec l’aide d’une telle taxe).
Pour les matières premières pour lesquelles vous signalez les fortes fluctuations spéculatives si nuisibles à l’économie, il s’appliquera aussi, comme pour les actions et autres actifs financiers, le fait que les aller-retour entre la matière première achetée avec de seules visées spéculatives et sa revente avec profit « oblige » ensuite les spéculateur/profiteur déjà à trouver un acheteur au prix qu’il exige, et s’il y parvient, de se repositionner aussitôt, sans quoi, les gains obtenus menacent de lui « fondre » entre les mains. Et puisque tous les spéculateurs seront confrontés à cette réalité nouvelle, il y a fort à parier que ce marché, tout comme le marché boursier et immobilier, se calmerait plutôt, permettant une stabilisation assez sensible sur le front des investissements industrielles qui pourront se faire désormais avec bien moins de risques financiers. Cela contribuera à stabiliser sensiblement les échanges économiques.
Je rappelle, enfin, que dite « fonte » n’aboutit pas, selon la proposition de Gesell, à une réduction de la masse monétaire circulante de l’ordre de 5% annuels par exemple, car Gesell précise chaque fois que cette masse doit toujours être « compensée » par autant d’émission de billets nouveaux, par exemple en dotant l’État de ces sommes ou alors, chaque nouveau- né ! Imaginons une masse circulante de 12 milliards (j’ignore le chiffres réels pour la France), cela produirait une « fonte » annuelle à 5% de 60 millions, et, pour 600 000 naissances, cela verserait à chaque nouveau-né, comme cadeau de bienvenue en ce monde dangereux, la somme de 1000 !
Cela aurait alors le côté festif qui convient à une telle réforme et maintiendrait constante la masse circulante!
Par ailleurs, même sans croissance économique (croissance nulle du PIB), cette monnaie circule constamment et ne pourra plus aggraver les écarts de richesse qui croissent, comme vous le montrez dans votre dernier chapitre avec la dimensionnalité de la monnaie et qu’Helmut Creutz place sur une courbe exponentielle selon la loi bien connue des intérêts et des intérêts composés (les intérêts qui s’ajoutent au capital tous les ans produisant des intérêts à leur tour).
2) Vous objectez, d’une façon effectivement pertinente sans doute, que ce coup d’arrêt ainsi généré de l’auto-accumulation du capital et, symétriquement, des dettes, serait « un peu lent », et que les fortunés trouveraient certainement une parade comment s’y soustraire ! Il faut alors dire comment ! Il ne faut pas s’interdire, non plus, que l’État doit veiller quand même au bon déroulement d’un tel changement en informant la population plus convenablement. Il ne faut pas s’interdire non plus, de réfléchir sur des nouvelles lois à appliquer à l’héritage !
Dans ce contexte, je rappelle que le principal « paradis fiscal » n’est pas l’évasion des placements sous de meilleurs cieux actuellement, mais simplement le fait de se réfugier dans la rétention liquide comme le montre Helmut Creutz dans un texte récent.
Par ailleurs, l’épargne deviendra bien plus disponible pour les investissements nécessaires, car les épargnants ne pourront faire autrement que de proposer tous leurs surplus, seule façon, pour eux, de sauver ce qui peut l’être ! C’est par ce biais-là, vous l’admettez, que les taux d’intérêt de crédit, tout comme les taux d’intérêt d’épargne, s’approcheront rapidement de zéro, comme cela doit être ! Le taux « négatif » sur la monnaie liquide se transmettra indubitablement aussi aux comptes courants bancaires, et cela incitera suffisamment les épargnants, pour y échapper, à chercher des placements d’épargne, car le fait de récupérer intégralement son capital à la sortie constituera une incitation tout à fait équivalente en faveur de l’épargne que la promesse actuelle d’intérêts.
Toute inflation aura disparu, ainsi que toute déflation, car la banque centrale a à gérer une masse circulante rigoureusement stable (grâce à cette « fonte » toujours compensée !), moyennant quoi, le raisonnement quantitatif peut s’appliquer à la formation des prix : P= M*V où V est constante et maximale à tout moment ! Le projet gesellien réalise donc bien « l’euthanasie lente du rentier » que Keynes appelle de ses vœux.
Par ailleurs, avec un système monétaire où toute l’épargne doit se réinvestir constamment dans l’investissement (et par ce biais-là à la consommation via les salaires distribués), le chômage se résorbera rapidement, car tout ce que le marché produit trouvera rapidement preneur nécessairement, car l’attente par rétention monétaire, qui est la forme la plus radicale de la spéculation (speculare = attendre pour voir ce qui se passe), disparaîtra instantanément!
L’élévation des salaires, couplée à la disparition de la charge des intérêts des dettes, fera que la redistribution plus « équitable » des richesses se réaliserait assez naturellement à partir de là, et cela est aussi la conséquence logique du fait que les grandes fortunes décroîtront dans un même mouvement.
Autre conséquence : l’argent cherchant toujours le meilleur « rendement », cela resterait vrai en régime de monnaie fondante, aura pour effet que les zones du monde où il y a encore beaucoup de « retard », où les populations manquent de tout, deviendront les zones les plus attractives pour les investisseurs, car, là, les taux d’intérêt se maintiendront au niveau des taux de profit productifs avant de baisser bien après les pays développés où l’efficacité marginale du capital (productif) est déjà faible. Sans pour autant nous « condamner » à aucun chômage d’aucune sorte, car cette monnaie fait bien demande inconditionnellement et ne pourra jamais se soustraire à la circulation ! L’aide au développement, tout comme une politique écologique et sociale véritablement crédibles ne seront envisageables qu’après la réforme gesellienne !
Car n’oublions pas que le destin des biens et services est bien celui d’être évacués au fur et à mesure de leur apparition sur le marché, à la différence de la monnaie qui, « marchandise spéciale », doit y rester indéfiniment !
Cela m’avait incité à produire un schéma sur lequel la production/consommation suit un mouvement linéaire en touchant, sur un mode tangentiel (contingent ?) le circuit de l’argent qui lui, doit toujours être bouclé!
A propos de la « dimensionnalité » : il faut insister, à mon sens, comme dans l’exemple de la « dame de Condé » (expérience mentale), sur le fait que l’argent est toujours à un seul endroit à la fois, et qu’il ne s’agit donc pas seulement que sa « quantité est conservée », ce qui est évident à mon sens, mais aussi qu’il doit être constamment en mouvement (circulaire !).
Il me semble que votre livre prépare assez bien les esprits à une réforme de type gesellien, si, toutefois, nous souhaitons une évolution démocratique et la préservation de la paix civile. On peut faire appel à la « solidarité » désormais nécessaire entre les hommes pour y parvenir, mais je crois davantage aux nécessités techniques ! Car même si on peut vous croire que les dirigeants des banques centrales sont complices et de connivence avec la haute finance parasitaire, il est sensible que la situation actuelle, où la prochaine crise systémique pointe son nez avant fin 2009 – j’ai lu dans Le Monde que les défaillances des crédits immobiliers atteignent maintenant les 10% des encours – il se pourrait, qu’une monnaie dite fondante, que j’appelle anticrise, pourrait devenir une simple nécessité de survie, que les banquiers centraux perçoivent sans aucun doute!
Et s’ils envisagent la réforme gesellienne comme transitoire, on s’apercevra qu’un retour en arrière serait bien problématique et difficilement acceptable.
Merci encore, bien à vous, jf
111 réponses à “« L’argent, mode d’emploi » : un commentaire, par Johannes Finckh”