Billet invité
Les leçons de la dette grecque
Tout le monde s’inquiète du niveau d’endettement de la Grèce. Pourtant le premier chiffre que l’on trouve n’est pas affolant : sa dette publique se monte à un an de PNB (100%). D’autres pays ont dépassé ce niveau, d’autres encore l’atteindront prochainement sans créer une panique comparable. Le calcul est simple : un état endetté à hauteur de 1 an de PNB à un taux de 3% doit mobiliser 3% de la production annuelle du pays au titre du service de la dette, et beaucoup y arrivent.
Or les projections que j’ai pu consulter évaluent le service de la dette grecque dans quelques années à 7 ou 8% de son PNB. D’ou vient ce brutal accroissement qui aboutit à un niveau qu’aucun pays ne pourrait supporter?
Une deuxième information donne un début d’explication : le déficit du budget, de l’ordre de 13% du PNB, laisse prévoir une trop rapide croissance de cette dette. C’est préoccupant, mais pas catastrophique : la Grèce n’est pas la seule dans ce cas. Et cela ne conduit pas à une telle explosion des intérêts.
En fait les craintes inspirées par cette dette, le risque de la voir s’emballer, résultent de la conjonction de 3 facteurs :
– le niveau du déficit budgétaire ;
– la mauvaise politique d’émission de la Grèce ces dernières années ;
– la faible taille de l’économie grecque.
Le montant qu’un pays doit emprunter chaque année est la somme de 3 composantes :
– le montant du déficit budgétaire primaire ;
– le montant des intérêts dus sur la dette antérieure ;
– le montant des émissions arrivant à échéance et qu’il faut refinancer.
Les deux premières composantes exposées ci-dessus sont relativement bien contrôlées :
– Le déficit budgétaire annuel en 2009-2010 est élevé mais paraît aujourd’hui transitoire grâce aux fortes mesures d’austérité prises par le gouvernement « à la demande » de ses partenaires de l’eurozone.
– Les coupons à payer sur les dettes antérieures émises à des taux raisonnables ne représentent pas un fardeau proportionnellement plus lourd que pour d’autres pays.
Malheureusement, ce n’est pas le cas de la 3ème composante. La Grèce a émis ces dernières années des titres à court terme à un taux proche de ceux des autre Etats de l’eurozone. Une part importante de ces titres arrive à échéance chaque année et doit être refinancée en émettant de nouvelles obligations. Or ces nouvelles obligations doivent offrir le rendement aujourd’hui exigé par le marché, soit plus de 6%. Et c’est bien ce qui fera exploser la dette de la Grèce plus vite que celle des autres pays. D’ici un an ou deux, l’essentiel de la dette aura été renouvellée et son taux sera passé de 3 à 6%, doublant le fardeau.
Cette remarque montre la courte vue ou le cynisme des responsables qui se penchent sur le dossier grec. En laissant faire le marché ou en se substituant à lui, mais en pratiquant les même taux ou presque, les dirigeants européens poussent la Grèce dans un piège qui est en train de se refermer sur elle. Dans 2 ans il sera trop tard. La dette aura atteint 130% du PIB et portera le taux que nous voyons aujourd’hui, de l’ordre de 6%, voire davantage. A ce moment là, la charge de remboursement de la dette avoisinera 8% du PIB, ce qui est inacceptable (130*6%=7,8%).
Si on était en face d’une entreprise privée, M. Papandréou pourrait être accusé de « poursuivre l’exploitation par des moyens ruineux » en émettant des titres aussi onéreux et pourrait être contraint au dépôt de bilan avant que la situation n’empire.
Si nos gouvernants voulaient regarder un peu au loin, ils verraient qu’à terme deux solutions sont possibles pour la Grèce et deux seulement :
– sortir de l’Euro ; ce serait une crise terrible pour le pays, et plus on attendra, plus elle sera terrible.
– procurer à la Grèce des ressources à long terme – 10ans et plus – à un taux raisonnable pour bloquer à sa source l’effet « boule de neige » qui est en train de s’enclencher. Le coût est faible voir négatif : la France et l’Allemagne qui peuvent emprunter sur les marchés aux environs de 3% pourraient reprêter à la Grèce au taux de 3,1 % et tout le monde serait content. Sauf les Allemands pour qui les « principes » doivent toujours prendre le pas sur tout le reste.
En tout cas, le plan proposé aujourd’hui et qui repose en majorité sur des prêts à taux élevés (le FMI, qui pratique des taux plus doux, doit rester minoritaire) est une recette sûre pour engluer définitivement la Grèce dans la dette et la maintenir artificiellement dans l’euro, préparant ainsi une sortie d’autant plus pénible qu’elle aura trop longtemps été différée.
Lorsqu’on évoque la vulnérabilité de la Grèce aux attaques des marchés financiers, il faut avoir à l’esprit que les soupçons qui pèsent sur le pays ont été sciemment confortés par des spéculateurs qui n’ont pas eu trop de mal pour manipuler l’étroit marché de la dette grecque.
Cette courte analyse montre que la punition infligée à la Grèce est disproportionnée par rapport à ses erreurs. Plutôt que de répéter « tout est de leur faute », les Allemands qui sont protégés par la taille de leur économie et la profondeur du marché des Bunds pourrait admettre que, même en se diversifiant au delà de la cueillette d’olive, les petits pays européens n’auront jamais la même stabilité et qu’il est du devoir des grands de les aider à retrouver l’équilibre. C’est le contraire de ce que disent les traités européens et on voit bien qu’ils ont tort.
Au fond le principe de l’égalité de tous les États qui signent un traité international est une fiction acceptable et nécessaire en politique. Dans le domaine économique cela a conduit l’Union à conclure des traités synallagmatiques inapplicables en raison de la différence de puissance des parties.
Si on jette maintenant un coup d’œil sur la France, on trouve au moins deux raisons pour espérer ne pas subir le même sort que la Grèce :
-la gestion de la dette d’État est active et raisonnée, grâce à 30 ans d’expérience… (ne nous en vantons pas). Notre dette comporte des OAT à 7, 15, 30 et même depuis peu 50 ans. Le taux annuel de renouvellement est ainsi assez faible et nous rend moins vulnérables aux variations de taux, sans être totalement invulnérables.
-la profondeur du marché des OAT rend plus difficile une manipulation du marché par des spéculateurs. Disons qu’il leur faudrait mobiliser des sommes nettement plus importantes que celles qui ont attaqué la Grèce. Cette protection n’est pas absolue, Soros en Septembre 1992 a bien contraint le Royaume-Uni à dévaluer.
Ainsi pourrons-nous éventuellement tenir sans catastrophe jusqu’à la prochaine crise qui sera peut-être la disparition de l’Euro !
Ps : si la Grèce décide d’abandonner l’euro, bien des gens pensent qu’elle retrouvera la drachme. Quelle erreur! La bonne méthode serait de créer un « €uro-Grec ». Cela permettrait de proclamer immédiatement que l’ensemble de la dette a bien évidemment été émise et sera remboursée dans cette monnaie. Monnaie qui, n’en doutons pas, sera dévaluée de 30 à 40 % par rapport au véritable euro (s’il subsiste). Si le gouvernement grec commet l’erreur de lancer une toute nouvelle monnaie, la nouvelle drachme, le discours hypocrite que je viens d’évoquer ne tiendra pas.
Cette subtilité jésuitique et bien naïve peut fonctionner tant les marchés sont dominés par la psychologie. Et puis, au fond d’eux-mêmes, les détenteurs d’avoirs grecs craindront sûrement de tout perdre le jour de la sortie de l’euro. Ils préfèreront alors peut-être un habillage qui leur promet de récupérer 60% de leur mise.
83 réponses à “Le cynisme du « plan d’aide européen » à la Grèce, par Alain Monod-Broca”