Billet invité. Le billet sur le travail de Jean-Luce Morlie a suscité beaucoup de commentaires de votre part. Voici une variation sur le même thème
Chant d’une alouette
En ces temps de bouclier mental, pourquoi parler de politique alors que tous les dirigeants sont sous la nano-botte de la finance, et pourquoi parler d’économie alors que tout le monde s’accorde à dénoncer l’irresponsabilité des banques. Irresponsabilité que les banques reconnaissent cyniquement avoir provoquée, mais qui ne change pas pour autant l’essentiel du fonctionnement de la finance, ce qui permet encore toutes les spéculations et autres spoliations. Des richesses érigées sur les ressources de l’humanité, aux prix volés du sang, de la sueur et des larmes de nombreuses générations depuis de nombreux siècles, aujourd’hui rassemblées dans les paradis fiscaux. Tant que les ressources semblaient infinies, le capitalisme, après avoir usé de l’esclavagisme et du colonialisme pour s’affirmer, promettait un capitalisme juste et propre où chacun y trouverait une place. Dans cette illusion, nos démocraties aseptisées, menées par les « Droits de l’Homme », devaient immanquablement nous conduire dans un monde meilleur. A ce jour, les ressources bientôt épuisées affolent le capitalisme dont le but premier est de mettre la main sur tout ce qui est vital pour sauver sa peau. Le retour de tous les extrêmes du ciel et de la terre est en ordre de marche, ce qui occupe bien les peuples à se détester, pendant qu’une chape de plomb nous tombe dessus.
L’évolution technologique nous fascine, nous sidère, elle nous devance, nous suivons sans mot dire. Tu cliques ou tu claques ! Mais cette évolution technologique, à la recherche du degré zéro défaut pour un profit maximum, ne permet plus d’intégrer une large majorité de la population dans ses capacités et aspirations d’êtres humains. Dans ce monde, monde riche à la pointe de tous les savoirs, point de salut pour ces inadaptés, que les origines sociales, leurs natures, leurs vies, leurs choix, mettent à l’écart, ne correspondant pas aux normes imposées par le profit. Face à l’impossibilité de se fondre dans ce flux de technologie impitoyable réservé aux plus forts, aux plus riches, les inadaptés sont éliminés par la faim, les guerres, la pauvreté, les suicides, les maladies, la marginalité, le silence et l’oubli.
Pendant que le capital aux manettes des bio-technologies nous formate à ses besoins à force de compétition, de concurrence indispensable via la croissance, promesse de richesse, ils (les pauvres) savent bien que c’est sur leur dos que repose cette croissance. « Travailler encore plus, plus longtemps et moins cher ».
Du travail digne pour faire œuvre de vie : les places sont limitées et déjà réservées. A ce jour, seule une classe d’initiés peut y accéder, avec néanmoins un solide réseau de gens influents et influençables. Mais pour combien de temps ? Nous avons déjà des savants, médecins, ingénieurs, cadres aux prix d’ouvriers qualifiés, voire moins. Viendra l’heure où cette classe jusqu’alors privilégiée, et qui tend à le rester, rejoindra avec des mots et des actes les cris de souffrance qu’elle entendait hier au loin, mais qui aujourd’hui sont sous ses fenêtres, voire chez elle. Voter a peu de sens dans un système où seule la croissance est salutaire, car la croissance ne vit que pour le profit, et le profit a pour conséquence d’enrichir quelques-uns et d’appauvrir les autres. C’est ainsi que le travail né de ce système est pour une bonne part d’entre nous souvent pénible, ingrat, vicié, destructeur, dénué de sens, polluant, abrutissant, appauvrissant.
Que vaut notre liberté d’expression quand on ne peut pas aller plus loin que son supermarché ou son potager pour les plus chanceux ?
Que vaut l’égalité quand elle est subordonnée à un système où nos vies valent moins que du papier ? Identités, richesses, propriétés, diplômes.
Que vaut la fraternité quand quelques-uns s’accaparent la totalité des richesses de la terre et du ciel ?
Que vaut notre riche civilisation, alors que nous laissons à leur sort des êtres humains qui fuient la guerre, la misère, pendant qu’un milliard d’êtres humains ne mangent pas à leur faim, alors que nous stérilisons la planète par notre façon de vivre dispendieuse pour faire marcher le système ?
Viendra peut-être un jour, par instinct de survie, où nous ferons comme ces animaux sauvages devenus fous qui, chassés de leurs habitats et privés de nourriture, ravagent les cultures et menacent les populations.
Viendra peut-être un jour où la bête humaine sera saisie de compassion envers elle-même.
Reste que les crises sont des leviers pour changer de cap et inventer des rêves nouveaux.
Pour l’heure, après m’être exprimée sur le blog de Paul Jorion que je remercie ainsi que ses participants pour le plaisir des analyses et échanges qu’on peut y lire, je suis contrainte pour ma survie, comme beaucoup, de rassurer les marchés avec mon caddy et de parier sur des lendemains plus justes en attendant la vague salutaire qui nous sortira de cet apnée mortelle.
67 réponses à “Chant d’une alouette, par rienderien”