L’actualité de la crise: les Irlandais vont-ils montrer le chemin ? par François Leclerc

Billet invité

LES IRLANDAIS VONT-ILS MONTRER LE CHEMIN ?

Les Etats-Unis sont sans autre perspective que d’assister à l’affaiblissement de leur croissance, ce qui menace de les engager dans une claire récession ; le Japon est une fois de plus aux prises avec son vieux démon de la déflation, lançant sans conviction un énième plan pour en sortir ; quant à l’Europe, dont le sort semblait s’améliorer, elle va à nouveau faire parler d’elle.

Plus précisément, c’est l’Irlande qui devrait en être l’occasion immédiate, la crise grecque destinée à mûrir plus lentement, et l’espagnole restant toujours sur le fil du rasoir. Le cas irlandais – déjà remarqué en raison de l’ampleur de la récession qu’a connu le pays et de la rigueur du plan d’austérité qui y a été engagé – est en effet à lui tout seul un résumé exemplaire des contradictions dans lesquelles se trouve la zone euro. Comme une mise à nu des mécanismes de contagion entre dette privée et publique qui dominent la scène européenne et ne sont pas prêts d’être résolus.

D’ici à la fin septembre, les importants besoins de refinancement des banques irlandaises vont être le détonateur d’un nouvel épisode de la crise de la dette, dévoilant un cercle vicieux bien enclenché. D’un côté l’agence S&P diminue la note de l’Irlande, abaissée à AA-, en raison du poids que représentent les garanties que l’Etat a accordées au système bancaire, de l’autre ce dernier cherche à en obtenir le renouvellement, afin de ne pas se présenter seul sur le marché et supporter des taux qui augmentent avec ceux des obligations souveraines, en raison de l’abaissement de la note. Le cercle est bouclé.

Les garanties publiques actuellement en vigueur ne devraient plus être disponibles à la fin du mois de décembre prochain, et les échéances de refinancement des principales banques irlandaises vont intervenir dès ce mois de septembre. Un test attendu et redouté pour la suite des événements. Comment les banques irlandaises vont-elles se présenter sur les marchés et quel accueil vont-elles y recevoir ? Quels montant vont-elles essayer d’y lever et à quelle maturité  ? Quels taux vont-elles devoir consentir  ? Toutes questions auxquelles les prochaines réponses augureront des difficultés qu’elles doivent se préparer à affronter dans un futur qui n’est pas lointain. Et qu’elles voudraient continuer d’esquiver.

Le gouvernement irlandais cherche – et le dit clairement – à se dégager de ce poids financier qui n’est pas dans ses moyens et entraîne le pays dans une spirale descendante. Les banques veulent le contraire et le font savoir. La banque centrale irlandaise joue au go between et suggère un renouvellement trimestriel du plan de garantie, car l’effondrement des banques n’est pas non plus dans les moyens de l’Etat. Le décor du prochain acte est planté.

Ayant connu un déficit dépassant l’année dernière les 14% de son PIB, ce dernier chutant de plus de 11% la même année, comment l’Irlande pourrait-elle en effet remonter la pente, si en plus du fardeau qu’elle supporte déjà elle devait continuer à financer son système bancaire ? Même sans celui-ci, le chemin va être dans le meilleur des cas très long à parcourir. Le poids de la structure de défaisance mise en place par le gouvernement – NAMA – pourrait même s’accroître, si comme il est plus que probable de nouvelles dépréciations des actifs toxiques qu’elle a recueillis des banques devaient intervenir.

Dans un éditorial remarqué à propos de l’Irlande, le Financial Times déclarait tout dernièrement qu’il était temps « d’arrêter la saignée», précisant que « la remise de chèques en blanc aux banques » devait y cesser et qu’elles devaient engager un programme de conversion de leurs dettes en actions. Une détestable issue apparaissant finalement comme un moindre mal, y compris pour les partenaires européens des banques, au premier rang desquels figurent des banques britanniques. Car si un dérapage intervenait, il ne concernerait pas seulement l’Irlande, ce qui explique le ton préoccupé du quotidien financier.

On peut se poser la question : si les banques irlandaises, n’ayant pas d’autre choix, devaient s’engager sur cette voie, cela ne donnerait-il pas le signal à d’autres banques dans d’autres pays, afin qu’elles procèdent de même ? Aboutissant à une reconfiguration du système bancaire européen, dont l’interpénétration est grande ? Cela remettrait au premier plan la crise de la dette privée et pourrait engager le début du désamorçage de celle-ci.

La BCE va se réunir à nouveau, jeudi prochain, et il en est attendu la confirmation d’une nouveauté : la conversion sans restriction du président de la Bundesbank, Alex Weber, à la poursuite du programme d’injection des liquidités de la banque centrale. Les faits sont là et sont installés désormais, le système bancaire ne peut toujours pas se passer de cette attelle, qui tend à s’inscrire de manière permanente dans le paysage, ses maillons les plus faibles en dépendant étroitement pour se refinancer. Confrontés à la crise de leur propre système bancaire, qu’ils ne parviennent pas à régler, les Allemands en viennent à faire de nécessité vertu.

Une autre leçon pourrait être tirée par la BCE, qui se gardera bien de le faire publiquement : son programme d’achat sur le marché secondaire de la dette souveraine n’est pas parvenu à faire baisser les taux que doivent consentir les pays dans la ligne de mire des marchés, comme leurs récentes émissions de l’été l’ont montré.

Avant même de s’interroger sur les conséquences à terme de l’accroissement des spreads (écarts) entre les très bas taux dont bénéficient l’Allemagne et la France – en raison du refuge relatif mais recherché que leurs obligations souveraines offrent – et les taux élevés que subit le reste de la zone euro, il faut enregistrer que la BCE est dans l’immédiat au mieux parvenue à calmer le jeu, sans rien régler. Comment les pays les plus étranglés par leur dette vont-ils pouvoir continuer à la refinancer, si les taux restent obstinément au niveau élevé actuel, remettant en question les efforts qu’ils imposent en application de leurs restrictions budgétaires et accroissement de leur fiscalité ?

La crise de la dette publique n’est plus dans l’immédiat aiguë, mais elle est également devenue chronique, comme sa petite soeur privée. Dans l’attente d’une nouvelle éruption qui ne manquera pas d’intervenir.

Dans l’avenir, quelle politique commune à tous les pays de la zone euro la BCE pourra-t-elle dopter en matière monétaire, pour redéfinir ses taux directeurs, avec une Europe écartelée et n’ayant d’autre avenir que l’éclatement ?

Les résultats à l’exportation de l’Allemagne font actuellement l’objet d’évaluations contradictoires. Mais il semble admis que sa croissance actuelle ne va pas se poursuivre, après son redémarrage en flèche. Les incertitudes à ce propos ne doivent cependant pas masquer ce qui est par contre une certitude : l’économie allemande, en raison même de son moteur, continue d’alimenter la crise en accentuant les disparités au sein de la zone euro. Ce paradoxe-là sera-t-il finalement pris en compte, sous la pression des événements à venir ?

Le FMI vient de son côté d’anticiper, sans attendre. Il a annoncé que sa ligne de crédit par précaution était désormais totalement déplafonnée. Cette facilité, qui a encore été peu utilisée, a été mise en place en 2009, afin de fournir aux pays « bien gérés » une sorte de coussin, a-t-il été expliqué en choisissant le terme le moins alarmiste possible.

Cette nouvelle disposition a toutes les apparences d’avoir été prise en pensant à la nécessité de conforter des pays devant faire face à d’importantes obligations financières sans qu’ils soient dans l’obligation d’aller sur les marchés. Comme par exemple un nouveau sursaut prévisible de la crise de la dette européenne. L’idée pourrait être de sauter l’étape des euro obligations, injouable en raison du veto allemand, et de mutualiser des éléments constituants de la dette européenne via le FMI.

Ce dernier continue de placer ses pions afin d’occuper une position centrale quand des grandes décisions seront finalement inéluctables. En particulier à propos de l’évolution du système monétaire international, dont la crise actuelle du yen japonais – contrecoup de la faiblesse du dollar – illustre la criante nécessité.

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