DES NOUVELLES DU CHOMAGE AMERICAIN, par Olivier Berruyer*

Billet invité

Au début du premier trimestre, nous avions analysé dans un billet précédent la situation du chômage américain, en expliquant que la baisse du taux de chômage observée masquait en fait une importante hausse des Américains découragés qui abandonnaient l’idée de trouver du travail. Analysons plus brièvement la situation un trimestre plus tard.

On constate que le taux de chômage continue sa décrue, entamée en juillet 2010.

Si on s’intéresse à la variation du taux d’emploi (qui est le complément du taux de chômage, à savoir le nombre de personnes ayant un emploi, ramené à la population active = personnes pouvant et voulant travailler), on note que le rétablissement est relativement net, et semble en ligne avec les reprises de 1975 et 1983.

En fait, la situation n’est pas aussi florissante qu’il y parait. Comme nous l’avons exposé, si le calcul du nombre de personnes employées est facile, celui du nombre de chômeurs l’est moins, car cette notion peut être extensive.

Rappelons que les statistiques officielles américaines partent de la Population Totale (312 millions en mars 2011), et définissent la Population Civile hors Institutions (Civilian Noninstitutional Population) comme étant celle des 16 ans et plus, qui ne sont pas pensionnaires d’établissements (prisons, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite). Elle est égale à 239 millions de personnes, qui pourraient donc potentiellement travailler. Un certain nombre ne le veulent pas (essentiellement les retraités – puisqu’il n’y a pas de limite d’âge dans la définition, beaucoup de personnes âgées travaillant aux États-Unis).

Cette population se scinde entre 153,4 millions d’américains désirant travailler, qui constituent la Population Active Civile (Civilian Labor Force) et 85,6 millions qui ne veulent pas, la Population Non Active (Not In Labor Force). Sur les 153,4 millions, 13,5 sont au chômage, soit 8,8 %. En mai 2010, on comptait 15,5 millions de chômeurs pour 154,5 millions d’actifs, soit 10,1 % de chômage : le taux de chômage a bel et bien fortement baissé.

Mais à la lecture de ces chiffres, on voit vite le problème : la population active a diminué dans l’année ! Or, on oublie fréquemment un point majeur : la population des États-Unis est une des plus dynamiques dans le monde développé. La population américaine croît de 1 million tous les 4 mois. Observons l’évolution de la population sur les 40 dernières années.

On constate que la population totale a une croissance très régulière, un peu supérieure au cours des vingt dernières années par rapport aux vingt précédentes. On observe la chute historique de la population employée et la hausse consécutive du chômage en 2008. Mais ce qui est plus intéressant est la stabilité de la population active depuis deux ans, alors que la Population totale ainsi que la Population hors Institutions ne connaissent aucune rupture dans leur évolution tendancielle. Zoomons.

On observe la chute énorme de la Population employée, qui est toujours sous son niveau de 2005. Évidemment, la crise n’a eu aucun effet sur la Population totale, qui continue d’augmenter. Il en est de même pour la Population civile hors institutions.

Le point saillant est que la population active a cessé de croitre depuis le printemps 2009. Et qu’elle a même diminué depuis lors. Un tel phénomène n’est tout simplement jamais arrivé aux États-Unis depuis 40 ans, même au pire de la crise des années 1970. En conséquence, c’est la population non active qui a très fortement augmenté depuis 2009. Nous n’avons pas de statistiques détaillées sur ces travailleurs découragés, mais ce sont probablement des sexagénaires et des septuagénaires qui ont cessé de travailler, alors qu’ils auraient continué avant la crise. Et au vu des retraites misérables américaines, on comprend que cette population se retrouve en situation difficile.

Grossièrement, le bilan entre le 1/6/2007 et le 31/03/2011 est de : 10,5 millions d’Américains en plus, dont 3 millions dans des institutions (y compris écoles dans ce sens) et 7,5 millions hors institutions. Ce sont 6,8 millions d’Américains en plus dans la population non active, et à peine 700 000 en plus dans la population active. C’est 6 millions d’employés en moins, et 6,7 millions de chômeurs en plus.

Depuis 2007, si on prolonge la population active par sa tendance moyenne des 15 dernières années (elle a toujours été très linéaire), ce sont en fait plus de 11 millions d’emplois qui manquent toujours à l’appel. Le taux de chômage « officiel » n’est donc plus de 8,8 %, mais de 11,8 %. En fait, l’impact total de la crise affecte sans doute plus de 20 % de la population active, directement ou non.

Notre raisonnement est cohérent avec l’explosion de la population bénéficiant de bons d’aide alimentaire : + 18 millions en 4 ans. Il semble que la situation commence à peine à se stabiliser, mais il faudra plusieurs mois pour confirmer ceci. Ceci serait une bonne indication de la stabilisation de la situation de l’emploi (mais serait bien loin encore d’une franche « reprise »).

Conscients de cette situation, on peut dès lors représenter non plus le taux d’emploi (faussé par la définition de la population active), mais le ratio d’emploi civil, égal au rapport entre la population employée et la population hors institutions. Cet indicateur est beaucoup plus adapté à la situation du marché du travail américain. On constate alors que la situation est historique :

Si on observe une récente amélioration, la situation de plateau depuis 12 mois reste inquiétante. Pour les crises de 1973 (1) et 1979 (2), la reprise de l’emploi a été très nette à la fin de la crise. Ce n’est pas le cas actuellement. Pire, la seule période en quasi-plateau a été en 1980/1981 (3), et avait été le prélude à la plus forte chute de l’emploi depuis 1929.

Comme :

  • d’une part, contrairement à 1980, le plateau n’est pas « naturel », au sens où il résulte de mesures de soutien se comptant en milliers de milliards de dollars de création monétaire et de déficits publics,
  • d’autre part, la correction du taux officiel (pour le remettre sur la tendance historique de la population active) montre que si la chute est freinée, le taux ne cesse de se dégrader mois après mois,

il convient d’être très vigilants sur le devenir à court terme de l’emploi américain.

L’année 2011 porte toujours en elle des risques majeurs.

* Olivier Berruyer est actuaire, et créateur du site internet www.les-crises.fr.

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10 réponses à “ DES NOUVELLES DU CHOMAGE AMERICAIN, par Olivier Berruyer*”

  1. Avatar de Lisztfr
    Lisztfr

    « L’année 2011 porte toujours en elle des risques majeurs. »

    Pensez-vous … c’est une apocalypse.

    Les think-tanks iront rejoindre les murènes, c’est le seul bénéfice, et l’idéologie de la destruction de la planète sera stoppée nette.

  2. Avatar de Noux
  3. Avatar de chômeur fantôme
    chômeur fantôme

    Les statistiques officieuses du site shadowstats.com démontrent de façon assez convaincante qu’au 1er avril 2011 le chômage aux Etats-Unis est en réalité proche des 22% :
    http://www.shadowstats.com/alternate_data/unemployment-charts

  4. Avatar de philippe
    philippe

    et combien d’années pour retrouver un semblant d’équilibre dans le taux de chômage US,si tant est que l’on retrouve un juste milieu.
    Largement le temps que tout s’effondre peut-être?

  5. Avatar de scaringella
    scaringella

    ni BB ni des ultra-liberaux comme jpchevallier.com ne nient la faiblesse de la reprise de l’emploi aux USA. So what’s the point ?

    1. Avatar de HP
      HP

      Quelle faiblesse de la reprise de l’emploi? Il y a au mieux stagnation, pas reprise, et elle est soutenue par les dépense de la FED, qui pense que créer de bonnes conditions à une reprise est la solution par la faire venir. C’est oublier un peu vite que les USA ne sont plus une nation productrice mais consommatrice, or les américains de l’ex-classe moyenne sont de + en + pauvres.

  6. Avatar de Germanicus
    Germanicus

    Et comme une forte poussée d’inflation s’annonce aux Etats-Unis, l’emploi ne risque pas de s’améliorer, bien au contraire. Manifestement, c’est mal parti pour les USA.

  7. Avatar de Zolko
    Zolko

    « rapport entre la population employée et la population hors institutions. »

    ben, tant qu’à faire, pourquoi pas le rapport entre la population employée et la population totale ? Ne serait-ce pas un indicateur interessant ?

    Je veux dire, à part pour les politiciens qui veulent nous convaincre de voter pour eux, nous-autres, c’est plutôt çe rapport qui est parlant. Et ce d’autant plus aux USA où 3 millions sont en prison, soit 2% de la population active ! Oui, 2%. Ce qui favorise les politiques répressives puisqu’un prisonnier ne « pourrit » pas pes statistiques. Tout comme en France on fait des politiques pour des études à rallonge puis la pré-retraite, qui n’aparaissent pas dans les statistiques gouvernementales, mais qu’il faut quand-même entretenir.

    Comme disait Goebbels, je ne crois que les statistiques que j’ai truqué moi-même.

  8. Avatar de timiota
    timiota

    A noter que ces gens non socialisés dans le travail ne sont pas dans le néant.
    Le rôle actuel des »réseaux sociaux » n’est-il pas de faire un filet (pas un filet de protection, juste un filet) pour ces immenses masses ? C’est aussi le rôle du téléphone portable en Inde, par exemple.

    C’est un filet contre un désocialisation ou contre une trop forte socialisation (familiale ou de caste/de clan en Inde). Disons une « servitude » assez involontaire, si l’on prend l’autre face.

    En tout cas c’est sûrement plus que le frémissement d’une courbe, c’est l’annonce d’un vaste virage dans les occupations humaines.

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