Billet invité.
Je n’ai pas de billes (plus que cela) pour l’affirmer mais je me risque à une analyse toute personnelle sur le fait que Papandréou a tout simplement pris acte de l’absence d’une majorité au parlement et que la motion de confiance était d’ores et déjà perdue, suite à la finalisation de l’accord. De sorte qu’il ne lui restait qu’une seule carte, mais à ‘coup unique’ : le référendum.
Celui-ci a plusieurs ‘avantages’ politiques :
1/ comme de nombreux commentateurs l’ont indiqué déjà, celui de mettre les Grecs devant non plus le fait accompli (au contraire) mais bien devant leurs responsabilités : en cas de ‘oui’, le premier ministre en ressortira renforcé politiquement pour mener sa politique mais aussi mettre ses propres troupes devant leurs responsabilités (leur légitimité représentatives contre celle du peuple) ; en cas de ‘non’, il pourra sortir de cette situation en s’en lavant les mains.
2/ le chantage aux partenaires, afin qu’ils acceptent de renégocier l’accord de manière plus favorable. Personnellement, je n’y crois pas, même si la date indiquée est celle de janvier 2012 (2 mois), pouvant laisser croire que le délai serait suffisant pour renégocier l’accord plus favorablement. Or, cet accord obtenu et d’ores et déjà caduc l’a été au prix de tensions phénoménales, sans même être certain qu’il le soit, puisque le Bundestag doit le ratifier. On imagine mal les députés allemands, mis devant le fait accompli, avaler une telle couleuvre … Papandréou le sait et ne compte pas vraiment sur cette option : il n’obtiendra pas plus, surtout pas de cette manière là. Car si les partenaires cèdent à ce ‘chantage’ politique, demain, rien ne pourra alors empêcher tel ou tel pays entré dans la zone des tempêtes de faire de même (je pense à l’Irlande). Si les partenaires européens cèdent maintenant, ils n’auront alors plus aucune légitimité.
Autre élément très important : on ne me fera pas croire que Papandréou ne sait pas que deux mois à attendre un référendum dans une telle configuration ne pourrait pas ne pas être calamiteux quant à la réactions ‘des marchés’, et ce pour TOUS les pays européens. C’est actuellement en cours, avec la plongée des bourses mais aussi l’augmentation des spreads et des taux d’intérêt (et donc des tensions entre nations).
3/ imposer une référendum lui permet d’éviter un gouvernement d’union nationale, réclamé jusque dans ses propres rangs mais aussi d’imposer à l’opposition un positionnement : pour ou contre l’accord mais aussi pour ou contre la légitimité de ce gouvernement à conduire la mise en œuvre de ce plan. L’opposition ne s’y est pas trompée, qui réclame à cors et à cris non pas un référendum mais bien des élections anticipées, pour éviter ce piège. In fine, il ne reste comme seule solution à l’opposition que de démissionner en bloc, pour provoquer de nouvelles élections (et donc porter la responsabilité de l’instabilité politique). Le référendum aurait donc aussi un objet de politique intérieure.
4/ l’histoire : Papandréou ne veut pas entrer dans l’histoire comme celui qui aurait ‘vendu’ son pays à des pays étrangers. Cette dernière option est des plus importantes, si on examine l’histoire grecque contemporaine et que l’on tient compte du fait que Papandréou a fait une bonne partie de sa carrière à l’étranger (aux US). Hier, le Président de la République lui-même a dû battre en retraite lors des manifestations de l’anniversaire de l’indépendance, sous les cris de ‘traître’. Devant l’histoire, Papandréou ne veut pas paraître comme LE traître à sa patrie, celui qui l’aurait vendue sous la pression de l’étranger. Les partenaires européens n’ont pas suffisamment tenu compte du passé contemporain de la Grèce, en méjugeant ou sous-estimant le nationalisme (et sa spécificité, l’occupation turque pluri-centenaire, soit le ‘joug étranger’) et sur-valorisant l’européanisme (véritable) des Grecs.
Cette dernière option s’appuie sur une analyse qui tiendrait pour acquises :
– l’inadéquation du plan par rapport aux besoins réels du pays et du peuple grec : pire, ce plan ne ferait que renforcer la crise sociale et politique si il venait à être appliqué (avec notamment comme effet induit de sabrer les retraites par répartition des Grecs si celles-ci sont ‘libellées’ en obligations grecques) ;
– l’impossibilité d’augmenter la politique d’austérité sans provoquer un soulèvement populaire majeur, risquant de mettre en péril la jeune République hellène ;
– l’impossibilité, même par le chantage, d’obtenir plus des partenaires européens ;
– l’impossibilité pour le gouvernement de continuer à gouverner ainsi, les marges politiques devenant non plus nulles mais absentes (défaillance de députés du PASOK).
En récapitulant :
1/ Papandréou sait qu’en cas de référendum, la réponse sera négative. Dans ce cas, il en sort dédouané devant l’histoire, ce qui rejoindrait le point 4/
2/ Le chantage ne peut pas produire autre chose qu’une contre-réaction encore plus négative, surtout s’il laisse le temps ‘aux marchés’ de réagir (c’est actuellement le cas).
3/ Il prend sa revanche face à une opposition qui est en bonne partie responsable de la crise de la dette (explosion de la dette publique sous le gouvernement précédent, SPV de Goldman Sachs, …) et qui ne l’a jamais soutenu, bien au contraire.
4/ le premier ministre est persuadé, qu’avec ou sans accord, la Grèce EST dans le mur (mais pire encore avec l’accord).
Il n’a donc aucun intérêt à signer cet accord mais ne peut pas, dans le même temps, refuser de la signer, vu la pression des partenaires européens.
Il se ‘venge’ donc : de l’opposition, de ses députés qui ne le soutiennent plus, de ses partenaires qui ont voulu lui faire signer un accord ‘léonin’.
Toutes proportions gardées, Papandreou n’a-t-il pas voulu être le dirigeant d’un gouvernement signataire d’un accord dont tout apparemment pour les Grecs faisait qu’il ressemble à celui du Traité de Versailles, que les vainqueurs ont imposé à la toute jeune République de Weimar ?
Si nous connaissons les conditions ‘accordées’ à la Grèce quant à ‘l’effacement’ de sa dette (en fait, seulement d’une partie, celle des banques, pas 50%), car c’est évidemment autour de cette question (et de celle-ci uniquement) que les médias ont porté leurs regards, connaissons-nous les ‘contreparties’ exigées ?
Les avons-nous bien jaugés, à l’aune du regard grec ?
Si certains (un bon nombre) ont glosé sur le ‘Munich financier’ que l’aide chinoise aurait produit avec l’accord de Bruxelles, qu’ont-ils à dire maintenant qu’un référendum est proposé au peuple grec par un gouvernement social-démocrate sur ce même (dés)accord ?
Georges Clemenceau avait dit : « L’Allemagne paiera », comme certains ont pu dire ‘La Grèce paiera’, lors de l’accord de Bruxelles, par un étrange revers de l’histoire (la Grèce faisait partie des vainqueurs, reconnue par le traité de Sèvres, qui lui octroya la Thrace et une partie égéenne de l’Asie mineure).
Friedrich Ebert, président de la République de Weimar dira, lui : « de cette paix imposée grandira une nouvelle haine entre les peuples et de nouveaux meurtres au cours de l’histoire ».
Un jeune économiste anglais, membre de la délégation britannique envoyé pour participer à la négociation du Traité, John Maynard Keynes, s’opposa lui aussi au ‘diktat de Versailles’, jugeant que celui-ci ne produirait rien de bon, ni pour l’Allemagne mais ni non plus pour l’Europe, voir le monde entier.
Il écrit alors, dans le livre qu’il fait paraître en 1920, ‘Les conséquences économiques de la paix‘ : « le Traité ne contient aucune mesure en faveur du rétablissement économique de l’Europe – rien pour faire des empires centraux vaincus de bons voisins, rien pour stabiliser les nouveaux Etats européens, rien pour que la Russie revienne vers nous. Il n’encourage en aucune façon des accords de solidarité économique entre les Alliés eux-mêmes. Aucune disposition n’a été prise pour remettre de l’ordre dans les finances de la France et de l’Italie, ou pour réajuster les systèmes du Vieux et du Nouveau Monde. » (soulignés en gras par moi).
Mais il écrit aussi ceci : « Ainsi ce système remarquable reposait pour se développer sur une double supercherie. D’une part, les classes laborieuses acceptaient une situation où elles ne pouvaient prétendre qu’à une très petite part du gâteau qu’elles-mêmes, la nature et les capitalistes avaient travaillé ensemble à produire ; elles l’acceptaient par ignorance ou par impuissance, sous l’effet de la contrainte ou de la persuasion, ou amadouées qu’elles étaient par la coutume, la tradition, l’autorité et la solidité de l’ordre établi. D’autre part, les classes capitalistes pouvaient prétendre au meilleur morceau du gâteau et il leur était loisible, théoriquement, de le consommer, à la condition, implicite, de n’en consommer en fait que très peu. Le devoir d’ »épargner » représenta bientôt les neuf-dixièmes de la vertu, et l’agrandissement du gâteau l’objet de la vraie religion. »
« Nous sommes à la morte-saison de notre destin » écrivait-il alors.
91 ans plus tard, il est toujours possible de souscrire à son analyse.
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