L’actualité de la crise : L’IMPROVISATION ÉRIGÉE EN RÈGLE, par François Leclerc

Billet invité

Angela Merkel l’avait annoncé : ce serait une erreur de s’attendre à ce que la crise soit réglée d’un coup de cuillère à pot ! Le discours ambiant consiste d’ailleurs à prédire une longue période d’austérité et de faible croissance, à laquelle il va falloir se résigner. Rien dans ce qui a été annoncé après sa rencontre avec Nicolas Sarkozy, en attendant la suite des événements de la semaine, ne permet de contredire cette perspective, elle est tout au contraire réaffirmée.

En conférence de presse, leurs deux allocutions ont d’abord valu pour ce qu’elles n’ont pas révélé. Une éventuelle intervention de la BCE sur la dette obligataire n’a pas été publiquement évoquée, au nom de la confortable jurisprudence de Strasbourg, qui veut désormais que les dirigeants politiques n’effleurent même plus la question. Si le refus des euro-obligations a été affirmé sans difficultés – elles n’auraient pas de sens, sauf si leur émission suivait une intervention de la BCE – le mystère reste donc entier à propos du rôle de la banque centrale.

Ce qui laisse à penser que le désaccord franco-allemand est également entier. Et que l’on se dirige vers la continuation de ce qui a été engagé, sous forme d’achats obligataires à la petite semaine pour éviter que le lait ne déborde, mais sans plus, au prétexte de ne pas inciter les gouvernements à relâcher leurs efforts afin de réduire leurs dettes. Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, a cru pouvoir expliciter cette politique en considérant que la BCE pourrait augmenter ses interventions – sans en détailler la nature – « au fur et à mesure qu’il y a plus de discipline »…

Comme à l’accoutumée, cette politique revient à adopter des demi-mesures et ne fait que repousser les problèmes. L’avancement à l’année prochaine du lancement du Mécanisme européen de stabilité (MES) ne lui donnera pas pour autant la capacité financière pour faire face si nécessaire aux besoins de refinancement de l’Italie et de l’Espagne, en plus de ceux de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, qui frappent déjà discrètement à la porte pour obtenir une rallonge. Tout repose donc sur un calcul risqué : celui d’une accalmie sur le marché obligataire, dont il est pourtant assez présomptueux de penser que la simple perspective d’un accord d’Union fiscale va le convaincre de cesser le feu.

Le marché obligataire a marqué le coup aujourd’hui, les taux italiens et espagnols chutant tout en restant à des niveaux très élevés (et le taux grec atteignant 32 %). Mais, à la première alerte, cette détente peut s’inverser et de nouvelles fortes tensions apparaître. La Grèce, dont les négociations à propos de la restructuration de sa dette se passent difficilement avec l’Institute of International Finance, pourrait facilement être à nouveau l’élément déclencheur.

En déclarant que l’Italie n’irait pas à la faillite comme la Grèce, Mario Monti n’a pas facilité la tâche de cette dernière. Il a présenté un nouveau paquet de coupes budgétaires de 20 milliards d’euros, selon lui destiné à éviter le pire, tout en reconnaissant que les mesures de son plan destiné à relancer la croissance n’auront pas d’effets « significatifs et perceptibles » dans le cadre de la législature en cours, qui s’arrêtera en 2013. Les marchés réagissent positivement aux annonces de restrictions budgétaires et de réformes structurelles, mais ils changent vite de cap au premier coup de tabac.

Qu’importe, il a été décidé de continuer à improviser, comme en témoigne la tenue envisagée de sommets mensuels des pays de la zone euro, ce qui au passage périphérise la Commission de Bruxelles, et laisse grand ouverte la porte à la poursuite de la même politique et à l’adoption d’une succession de compromis accommodants. Il est par ailleurs prévu d’assouplir le fonctionnement du futur MES – ce qui accrédite bien l’idée que la crise va continuer de plus belle – en retenant le principe d’une majorité qualifiée de 85 %, une manière déguisée de se préparer à donner à l’Allemagne et à la France un droit de veto sur ses décisions futures.

Enfin, le principe de « sanctions automatiques immédiates » en cas de déficits budgétaires dépassant la limite de 3 % du PIB a été avalisé, sans que l’on en connaisse les modalités, tel une épée de Damoclès qui va pouvoir être abondamment utilisée. La Cour européenne de justice ayant pour mission de « vérifier la conformité » des budgets nationaux avec une « règle d’or » harmonisée au niveau européen (qu’il va falloir faire adopter pays par pays).

Une feuille de route, pour reprendre cette expression favorite des dirigeants politiques quand ils savent qu’elle va être très sinueuse, a donc été rédigée dans les grandes lignes et nous en saurons prochainement plus, nous est-il promis. Mais ce qui nous a été délivré est tout à fait suffisant pour comprendre que cela ne l’est pas.

Une métaphore guerrière aidant, une révision des traités « à marche forcée » est affirmée, d’ici mars prochain, sans que les éléments d’une nouvelle solidarité financière n’y figurent. Si les Français n’ont rien obtenu à ce stade de la négociation, ils ont par contre remporté une victoire : il a en effet été acté que de nouvelles restructurations de dette ne seront pas imposées aux banques privées, et que l’on en restera à celle de la Grèce. C’était l’un des objectifs de Nicolas Sarkozy, qui était à la manœuvre afin de protéger les intérêts des banques françaises. Sans garantie que cela résiste à l’épreuve du feu.

La face cachée de la crise de la dette est donc présente en filigrane dans les négociations en cours. Les dépôts nocturnes des banques à la BCE sont à un plus haut, signe qu’elles préfèrent les placements à un faible taux à la banque centrale plutôt que les prêts à des taux plus avantageux à leurs consœurs dans le besoin. Vendredi dernier, il s’agissait d’un montant de 332,7 milliards d’euros. De ce côté-ci aussi, des surprises sont à attendre, car le système bancaire européen est face à ses propres misères et ne s’en sortira pas sans aide conséquente, de la BCE en premier lieu. Le désendettement des banques est tout aussi problématique que celui des États, et les deux continuent de se contaminer réciproquement.

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175 réponses à “L’actualité de la crise : L’IMPROVISATION ÉRIGÉE EN RÈGLE, par François Leclerc”

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  1. La partie n’est pas finie, ça ne passe pas (provisoirement ?) au niveau de la Chambre des Représentants (5 défections…

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