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La Tribune : Les épargnants jouent avec les nerfs des assureurs
Laura Fort (AFP)
La collecte nette d’assurance vie est de nouveau repassée dans le rouge, négative de 1.2 milliard d’euros. Les versements sont en baisse et les rachats en hausse.
Elle était timidement repassée dans le vert en février. […] Le mois de février avait été positif de 300 millions d’euros grâce à de moindres retraits sur les contrats. Mais en mars, la collecte nette a pâti à la fois d’une hausse des retraits (+6%) et d’une baisse des versements (-8.8%). Avec l’assurance vie, depuis l’été dernier, c’est l’amour vache… Pendant six mois consécutifs, d’août 2011 à janvier 2012, la collecte nette d’assurance vie (versements moins retraits) a été négative, c’est-à-dire que les retraits effectués sur les contrats n’ont pas été compensés par les versements. Décembre a enregistré la plus forte décollecte, de 3.8 milliards d’euros.
La notion de participation, dont la participation « gaullienne » est l’une des variétés, renvoie à une tentative délibérée, de type proudhonien, de faire l’économie d’une révolution grâce à une réforme de fond du système capitaliste et ceci, en brouillant les rapports de classe.
L’une des options envisageables pour sortir des difficultés qui sont les nôtres aujourd’hui, consiste à remplacer le système en place par un autre, par exemple, par une dictature (provisoire) du prolétariat, comme le suggère Karl Marx. Une autre option, c’est de procéder comme le proposaient les Saint-Simoniens ou Proudhon, c’est-à-dire en faisant disparaître les classes sociales antagonistes par le moyen d’un mélange des rôles, en opérant des combinaisons qui font que chacun est d’une certaine manière salarié, capitaliste et dirigeant d’entreprise à la fois. En arrière-plan du label auto-entrepreneur français se trouve une notion de cet ordre-là ; mais il ne suffit pas bien sûr de modifier les étiquettes : il faut que la réalité réponde elle aussi à l’appel.
La participation fait partie du projet bismarckien, qui en est probablement la première manifestation. Bismarck met en place les rudiments d’un État-providence, parce qu’il est conscient que si rien n’est fait pour modifier la donne sociale, l’Allemagne est en passe de basculer dans une situation révolutionnaire. Il y a là aussi ce souci de combiner les différents rôles : on fera en sorte que chacun s’identifie partiellement aux soucis des représentants des autres classes sociales au sein du système. Il faut pour cela que le salarié soit simultanément aussi dirigeant d’entreprise et actionnaire. Ce sont les préoccupations qui prévalent encore quand on s’efforce de remplacer des entreprises de type classique par des coopératives ou, aujourd’hui, par des Scoops.
Le mouvement coopératif n’est pas mort bien entendu : il existe encore. Mais le même projet de solution de la lutte des classes par une appartenance de classe « imbriquée » pour chacun, a également été promu sous une forme différente, même si cela n’est pas déclaré ouvertement, dans la formule de l’assurance vie.
Le principe de l’assurance vie, c’est en effet d’engager les salariés dans des projets capitalistes proprement dits, bien au-delà de ce qu’impliquait déjà le fonctionnement des caisses d’épargne. Les portefeuilles des compagnies d’assurance, dont ils tirent les rendements qui leur permettront de rémunérer leurs souscripteurs, sont constitués d’obligations d’État mais aussi de créances sur des sociétés et d’actions de sociétés. Dans une perspective proprement marxiste, dans un cas comme celui-ci, le salarié s’auto-exploite puisqu’une partie de la richesse qu’il a créée en tant que salarié d’une entreprise, et dont il a été spolié puisqu’elle a été ponctionnée sous la forme d’intérêts payés à un détenteur de capital, lui reviendra partiellement sous la forme du rendement de l’assurance vie, où en tant que souscripteur, il est lui-même exploiteur.
C’est intentionnellement que l’assurance vie a été conçue dans cette perspective. Il suffit de lire les textes d’inspiration néo-libérale qui ont justifié ce projet : il y est présenté précisément comme une manière de pacifier les relations entre les classes sociales. Si on fait en sorte que le salarié se préoccupe de la bonne santé du système capitaliste parce qu’il est détenteur d’une assurance vie, son potentiel de rébellion en est d’autant réduit, et le maintien de l’ordre en période de tensions en est considérablement simplifié. Il suffit pour se convaincre de ce que j’avance, de consulter dans la presse financière, les articles relatifs au fait que les particuliers retirent en masse leur argent des plans d’assurance vie, et d’y déceler la panique qui saisit les milieux dirigeants à la nouvelle. Il s’agit là de petites choses qui ne transparaissent pas nécessairement dans la grande presse, mais peuvent être lues dans la presse financière spécialisée. Si une grande peur se développe à ce sujet dans ce secteur de l’assurance vie, c’est parce qu’une désaffection de ce type, en défaisant la combinaison des intérêts antagonistes propre à la participation, conduit les sociétés à se polariser à nouveau sur le plan politique, en suivant les lignes de fracture que dessinent le partage des populations en différentes classes sociales.
La désaffection vis-à-vis de l’assurance vie s’apparente à la stratégie suggérée par Éric Cantona quand il a conseillé aux particuliers de retirer leur argent des banques, avis émis au sein d’une opinion exprimée par lui quant au meilleur moyen de faire la révolution, et qui, en temps normal, n’aurait jamais dû bénéficier d’un véritable écho dans la population. On se souviendra cependant que deux ministres sont aussitôt montés au créneau pour contrer les arguments du footballeur, confirmant qu’il existait sur ce plan-là une véritable inquiétude du côté des autorités en place.
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