CONTRE TOUTE ATTENTE, par Zébu

Billet invité.

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sont maintenant connus.

Avec une grosse tache au milieu du tableau des résultats, celle de la montée en puissance du FN.

‘Contre toute attente’, la stratégie de Marine Le Pen a donc réussi : attirer l’UMP et le gouvernement au pouvoir sur ses terrains de prédilection et opérer une mue stratégique tout en sauvegardant l’essentiel. L’échec de la ‘cornérisation’ du FN par l’UMP et M. Sarkozy est patent.

Pire. En nombre de voix, Marine Le Pen réalise une progression de près d’un million de voix entre le premier tour de 2002 et celui d’hier (900 000 d’avec le second tour de 2012).

Pire encore, en comparaison de l’étiage de 2007, le FN, qui était alors à la limite du dépôt de bilan, a su, en réalisant la ‘transmission de l’héritage du vivant’ entre père et fille faire prospérer la boutique de près de 67% de progression en nombre de voix, et ce en 5 ans seulement.

A dire vrai, le FN peut se payer le luxe de ne même pas être présent au second tour pour monter sur le pavois gaulois qu’il affectionne : il lui suffira d’attendre que la droite tombe comme un fruit mûr, travaillée de l’intérieur par ses propres thèses, travaillée par les dissensions qui se faisaient jour depuis plusieurs mois déjà entre ‘faucons’ et ‘centristes’, travaillée par une crise qui travaille pour elle comme un passager clandestin.

Dès hier soir, le FN s’est donc proclamé logiquement comme le premier parti d’opposition, prenant acte de la probable ‘mort’ politique d’un sarkozysme qui n’a pas eu le temps d’entrer dans l’histoire politique française, sinon pour faire le lève-pied à une extrême-droite qui n’en demandait pas tant.

M. Guaino appréciera …

A fortiori même si M. Sarkozy est réélu (qu’à Dieu ne plaise), le FN se fera fort d’être le faiseur de députés dans les circonscriptions où les députés de droite se présenteront, faisant élire tel ou battre un autre. Il verrait ainsi non sans déplaisir, pendant que le temps de la crise s’écoule imperturbable, un Sarkozy réélu mais moribond, ‘gouvernant’ avec une assemblée nationale de cohabitation, attendant patiemment que les ‘tous pourris’ s’effondrent d’un bloc. Et il y a fort à parier qu’il sera présent dans les luttes sociales, si celles-ci se font jour au troisième tour.

Dès hier soir, Marine Le Pen s’est posée comme l’opposante de M. Hollande qu’elle voit comme probable vainqueur du second tour, non sans avoir fait payé au préalable la livre de chair nécessaire à M. Sarkozy pour obtenir des voix qui lui manqueront de toute façon selon elle, quitte à faire passer in fine un message ‘subliminal’ à ses troupes de faire payer cette livre en premier lieu aux ‘sortants’.

§

A la question ‘Comment a-t-on pu en arriver là ?’, on pourrait substituer la question ‘Comment n’aurait-on pas pu ne pas en arriver là ?’.

D’évidence, les alertes n’ont pas manqué depuis 10 ans. Mais il faudra bien prendre conscience un jour qu’en juin 2012, nous fêterons en France les 30 ans du ‘tournant de la rigueur’, ce tournant qui fut une réponse à une question : l’ajustement structurel par la déflation salariale ou le maintien dans la zone monétaire européenne (et par voie de conséquence, le maintien de la mise en œuvre des politiques néo-libérales menées au nom de l’Union Européenne).

Depuis 30 ans que ce ‘choix’ a été réalisé, quelles que soient les alternances politiques ou même les référendums sur les traités européens, la question est sans cesse éludée ou tranchée, dans le même sens. La crise ‘aidant’ et ses effets sur la société européenne se généralisant, il est donc plus qu’étonnant que d’être étonné de ces résultats, les citoyens les plus touchés ou les plus effrayés ayant désormais des exemples concrets de ce qu’une politique d’ajustement structurel DEFCON 4 au niveau européen donne, notamment en Grèce. La hantise d’être eux aussi assujettis très bientôt à une Troïka qu’ils identifient comme ‘européenne’ (ce en quoi ils ont raison à deux tiers) le dispute à l’envie croissante de sortir coûte que coûte d’une Europe qu’ils perçoivent depuis longtemps comme étant aussi protectrice que la déesse Kali.

C’est là toute l’intelligence de Marine Le Pen et de son staff que d’avoir senti le coup stratégique à réaliser avec sa proposition de sortir de la zone euro, dont l’immense majorité des médias se gaussaient comme improbable, impossible, inconséquente. Sauf que pour une partie croissante de la population française, l’instinct de survie leur commande de ‘sortir’ justement plutôt que de périr noyés ou brûlés dans le grand feu purificateur néo-libéral qu’on leur promet de manière récurrente depuis 30 ans mais maintenant ‘pour de vrai’. On pourra donc raisonner autant qu’on le souhaite, il existe très peu de chances de contrer un phénomène considéré comme instinctif, doublé de surcroît d’une glorification nationaliste, mythifiée par les ors protectionnistes, entonnée peu ou prou par certains.

En face, qu’avions-nous ? En premier lieu, un FG qui a par son combat permis de capter en partie l’expression protestataire, sans lequel le FN aurait sans doute augmenté encore ses voix. Reste que le FG lui aussi n’a pas pu dépasser, malgré sa très forte progression, un ‘plafond de verre’ pour certaines personnes qui auraient pu être tentées de voter pour ce parti par sa proposition d’imposer une renégociation des traités sans dire explicitement s’il menacerait de sortir ou non de la zone euro, tout en prônant l’utilisation de la BCE pour financer les dettes publiques. La stratégie d’affrontement direct d’avec le FN du FG, pour efficace qu’elle fut à un certain niveau, fut néanmoins limitée, en l’absence d’une réponse jugée cohérente sur l’Europe et l’euro par ceux-là mêmes que le FG désirait convaincre. Un MODEM, pro-européiste, engoncé dans un programme d’austérité ‘raisonnable’, comme il existe une agriculture ‘raisonnable’, voué à l’écartèlement entre ‘pro-européens’ et ‘anti-austérité’. Un PS qui annonçait qu’il irait renégocier les traités non pas pour contrer les politiques d’austérité inscrites mais pour y adjoindre des clauses de croissance dont on attend toujours la définition. Et enfin, une UMP qui en la personne de M. Sarkozy décida ‘brusquement’ d’opérer un revirement stratégique sur l’Europe, en promouvant un ‘euro-bashing’ deux semaines avant le premier tour, lui permettant sans doute de récupérer quelques points précieux auprès d’un électorat qui aurait sinon voté FN.

§

Des deux candidats restant en lice, il ne reste que peu de choses à attendre quant à une possible réponse à cette question.

M. Sarkozy dira tout le mal qu’il pense de l’Europe sans rien renier du choix effectué, sans que beaucoup ne puissent lui donner quitus.

M. Hollande défendra son idée d’aller négocier avec ses partenaires européens une inscription dans les traités d’une relance pseudo-keynésienne sans renier le choix effectué, sans que certains ne lui donnent non plus quitus.

§

Il y aurait pourtant matière à affronter le FN tout en répondant à la peur viscérale qui saisit l’électorat du FN (et d’une bonne part de l’électorat français et européen).

Cette matière là est néanmoins hautement inflammable.

Elle consisterait à promouvoir une autre idée d’une Europe qui deviendrait protectrice, tout en apportant à la table des négociations la mallette nucléaire.

Une Europe protectrice, qui attaquerait enfin bille en tête la finance, l’ennemi déclaré number one de M. Hollande, avec de véritables armes : interdiction de mouvements de capitaux vers les paradis fiscaux, interdiction des paris sur les fluctuations des prix, suspension provisoire du paiement des dettes publiques pour les pays en difficulté avant que de remettre à plat l’ensemble du système.

Une sortie par le haut du dilemme du prisonnier de l’euro, en lieu et place de rester/sortir, par la création d’une monnaie commune de compensation.

Mais aussi la mallette nucléaire d’une menace de sortie effective de la France de la zone euro, par le biais d’un référendum, en cas de refus de négocier des partenaires européens sur la base des propositions françaises. Cette menace devrait être suffisamment crédible pour que l’Allemagne revienne de son ordolibéralisme effréné à un meilleur état d’esprit, plus ‘coopératif’ disons, permettant ainsi de contrer efficacement l’évident refus du Royaume-Uni sur ces sujets.

§

Ce serait ainsi couper l’herbe sous le pied du FN, qui prospère sur ces thématiques laissées en jachère, par une réponse biaisée à la question qui fâche. Et le mettre en porte-à-faux quant à la réalité de son programme économique et social, clairement libéral bien qu’inscrit sous le haut patronage de l’anti-capitalisme.

§

‘Contre toute attente’, M. Hollande pourrait prendre ce pari, rassemblant protestataires et partisans, anti-capitalistes et tenants de l’économie de marché, européistes et thuriféraires d’une certaine grandeur de la France.

A moins qu’il ne décide de répondre à la question qu’une fois élu.

§

Les deux stratégies sont de toute façon risquées.

Mais nous pouvons l’aider, sur les deux versants.

D’abord en l’élisant, sans être dupes de son absence de réponse quant à la question posée.

Ensuite en lui rappelant, aux législatives, qu’il existe une alternative et qu’il a une responsabilité.

Devant l’Histoire.

§

La pente est rude, mais le chemin le plus court n’est pas forcément celui auquel on pense.

Partager :

214 réponses à “CONTRE TOUTE ATTENTE, par Zébu”

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Les élections de mi-mandat seront truquées : comme chez Poutine. Faut suivre Gaston! 😊

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta