ÉCLAIRAGES CONVERGENTS SUR LE « GRAND TOURNANT » (II) « Évolution morphologique et culturelle humaine : l’apport des modèles fractals »

L’article « Évolution morphologique et culturelle humaine : l’apport des modèles fractals » a été publié en 2002. Ses auteurs sont Pierre Grou, un sociologue, Laurent Nottale, un astrophysicien, et Jean Chaline, un paléontologue. Sa publication précède donc le début de la crise du « grand tournant » de six années.

L’apport principal de l’article est de mettre en évidence que les crises économiques que subissent les sociétés humaines ont lieu à une échelle de temps que l’on peut caractériser comme « log-périodique », l’expression « log » renvoyant aux logarithmes « naturels » ou « népériens ». Ceci veut dire – pour ceux qui décrochent déjà – que d’un point de vue graphique, si les crises sont représentées comme des points séparés à intervalles réguliers le long d’un axe (« l’axe des x ») et qu’elles sont situées dans le temps, le long d’un autre axe (« l’axe des y »), par rapport à une échelle « log-périodique », elles s’aligneront sur une droite.

Je laisse les mathématiques de la chose à ceux qu’elles intéressent et qu’ils découvriront dans le corps de l’article lui-même, pour m’adresser à tous – y compris à ceux qui sont fâchés avec celles-ci – parce que les enseignements de cet article méritent de retenir l’attention d’absolument tout le monde.

Voici un premier graphique extrait de l’article, illustrant ce que je viens de dire.

La droite que je viens de mentionner est bien visible. Le principe de l’échelle des ordonnées (« l’axe des y ») est défini comme

-ln (Tc – T).

« ln », c’est pour logarithme « naturel » ou « népérien », T, c’est la date de l’événement particulier représenté, Tc’est le moment d’un point culminant dans la série : en gros, le moment, appelé « époque critique », où une accélération dans la succession des crises s’inverse en une décélération. En ce qui nous concerne, vous et moi, une époque critique, c’est ce que nous appelons la date d’un effondrement. Ce qui est représenté dans ce premier graphique, ce sont les crises économiques en Occident. Le graphique secondaire à droite, montre la date de T: la date de l’effondrement telle qu’on peut la situer à l’aide d’un indice statistique très familier des gens de la branche (le t de Student). La valeur de Tse situe aux alentours de 2080. Les auteurs de l’article tiennent cependant à préciser que

On peut donc considérer, si l’on admet la validité de la loi, que nous sommes dès maintenant entrés dans la phase finale critique […]. D’une part la date de 2080 ± 30 n’est qu’une date butoir théorique, le vrai pic de crise devant se produire forcément avant en raison des effets de seuil. D’autre part, cette « super-crise » correspond à une autre échelle de temps que celle des crises individuelles qui la définissent, et ne doit donc pas être considérée comme une époque précise, car elle n’est en fait rien d’autre que le processus d’accélération des crises lui-même dont nous voyons d’ores et déjà les effets actuellement (2002 : 7).

Dans la grande tradition scientifique, l’article de Grou, Notalle et Chaline, laisse au lecteur le soin de tirer de ce qu’il vient de lire les conclusions qui lui semblent pertinentes, sans chercher à lui en imposer aucune. C’est ce qui explique pourquoi l’article ne dit pas explicitement : « Nous sommes entrés dans la phase d’effondrement de notre civilisation et celle-ci sera morte avant 2080 ».

Faut-il en rester là ? Si oui, mon expression de « grand tournant » ferait bien mieux d’être remplacée par celle de « grande perdition » qui a, comme vous le savez, la préférence de François Leclerc ici-même. C’est possible. Ce qui me fait penser qu’il y a un certain espoir, c’est un autre graphique similaire, extrait du même article, relatif cette fois aux civilisations précolombiennes d’Amérique Centrale. Le voici.

L’époque critique, ici, c’est 1800. Or, il existe encore aujourd’hui de grands centres urbains en Amérique Centrale : la civilisation ne s’y est pas effondrée, même si des problèmes extrêmement sérieux de maintien de l’ordre s’y posent en ce moment. La raison en est bien sûr l’irruption dans cette civilisation amérindienne d’une autre, européenne, porteuse d’une énorme capacité de nuisance sans doute, mais susceptible aussi de faire embrayer la civilisation locale à l’intérieur d’une autre prenant partiellement mais massivement, le relais.

On s’est souvent interrogé sur la capacité de quelques centaines d’hommes – montés sur des chevaux et armés de canons sans doute – à faire s’écrouler aux Amériques, des empires, et certains analystes sont allés rechercher dans les témoignages de l’époque les signes de fragilisation des sociétés envahies, comme des conflits internes entre dirigeants ou des manifestations de guerre civile, qui expliqueraient la facilité avec laquelle la conquête d’origine européenne a pu avoir lieu.

Quoi qu’il en soit, l’irruption extérieure (facteur « extrinsèque ») empêcha que n’intervienne un effondrement apparemment « programmé » aux alentours de 1800 selon une logique interne (« intrinsèque »).

Est-ce à dire que – si nous ajoutons foi à cette analyse de type physique – notre salut ne peut provenir que de l’intervention cette fois d’extraterrestres ? Je ne le pense pas : je crois que nous possédons en nous-mêmes la capacité de nous extraire d’un cadre tout tracé et qui semble avoir la rigueur de la physique.

Ce cadre tout tracé est en effet celui de cette « machine à concentrer la richesse » que nous laissons intacte au fil de nos guerres et de nos révolutions : c’est elle qui fait que nous assistons indéfiniment au retour du même, c’est elle qu’il faut casser si nous voulons échapper à la logique inexorable qui fait que notre civilisation disparaîtra sinon inéluctablement au plus tard en 2080.

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