Le Blog de Paul Jorion, né le 28 février 2007, a aujourd’hui cinq ans et quelques mois.
C’est long pour une entreprise qui exige une veille sept jours sur sept et (presque) vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Oui, bien sûr, il y a certainement d’autres manières de conduire un blog, mais celui-ci s’est voulu dès le départ un observatoire et il est arrivé souvent au cours de ces cinq années que nous soyons pratiquement les seuls dans le monde francophone à relayer certaines informations quand elles tombaient le samedi ou le dimanche et que les autres étaient à la pêche à la ligne. Je ne parle même pas de l’interprétation de événements pour laquelle nous avons souvent été longtemps seuls à proposer celle qui serait ensuite confirmée par les faits.
Le but du blog au moment où je l’ai créé était d’alerter devant la montée des périls. Les circonstances avaient voulu que je travaille dans le secteur du crédit hypothécaire américain au moment où la crise prenait son envol, j’étais le témoin d’événements qui me paraissaient porteurs d’immenses bouleversements et c’était un devoir pour moi de témoigner.
Depuis, mes avertissements n’ont pas été entendus ou, s’ils l’ont été, ce ne fut en aucune manière de ceux qui étaient à la tête des affaires en 2007 et qui, étonnamment, y sont toujours. Je dis « étonnamment » parce qu’il est prouvé par là que l’échec a cessé d’être sanctionné dans le monde où nous vivons. On peut parler à ce propos d’« oligarchie », et certains ne s’en privent pas, mais le mot n’arrive pas à trouver sa place dans ma boîte à outils. Ce qu’on explique de cette manière-là me semble s’expliquer de manière beaucoup plus convaincante par les effets d’une religion inventée dans les années 1870 dont l’objet est l’adoration d’un système économique bancal appelé « capitalisme » et dont le discours d’autojustification blindé contre le démenti par les faits, s’appelle lui « science économique ». Si les faits semblent ridiculiser le dogme de cette religion, la réplique qu’elle offre est imparable : soit les hommes ne sont pas suffisamment rationnels et il est impératif qu’ils s’abstiennent du péché d’irrationalité, soit le Grand Satan appelé « l’État » a interféré avec la sagesse infinie des marchés qui assurent la plus grande gloire du dieu « capitalisme » et il faut réduire toujours davantage ses pouvoirs.
Si l’on témoigne en criant « casse-cou » sans relâche et que l’on n’est pas écouté, que se passe-t-il alors ? Cassandre se transforme en Jérémie. Et si Cassandre peut être admirée a posteriori pour la justesse de ses vues, aussi inconfortables soient-elles, les jérémiades de Jérémie, faites d’interminables descriptions morbides de ce qui est en train de se passer, et que tout un chacun peut tout aussi bien observer par soi-même, finissent par lasser.
Ce qui pourrait nous encourager à ignorer ces considérations décourageantes, ce serait l’audience impressionnante du Blog de Paul Jorion, confirmation apparente d’un besoin de lire ce qui s’écrit ici. L’(anti-)corrélation du chiffre du CAC 40 avec le nombre de visiteurs du blog est cependant si évidente qu’elle en devient comique et suggère que c’est l’inquiétude des investisseurs à la petite semaine qui fait le succès du blog alors qu’ils constituent la part de la population la moins susceptible de prêter attention aux conclusions de nos discussions entre blogueurs et commentateurs sur ce qu’il faudrait impérativement changer dans nos institutions, non pas même pour améliorer le monde où nous vivons mais plus banalement pour le sauver de sa destruction pure et simple, que notre espèce s’ingénie pourtant à orchestrer.
La capacité à l’autocritique étant la vertu la moins bien partagée au monde, il est normal qu’elle se trouve pleinement représentée ici. Mais que faire ? Saborder le blog ? Parce qu’il ne suffit pas de reprocher aux autres d’ignorer le démenti par les faits ou de négliger la sanction par l’échec, si l’on entend faire la même chose quant à soi.
J’en suis là de ma réflexion depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Je ne me ferme pas pour autant aux messages que le monde nous adresse. Aussi quand je retrouve (même si c’est « enfin ! ») la teneur des avertissements de mon livre annonciateur de la crise (La crise du capitalisme américain – 2007, terminé d’être écrit en 2005) dans un rapport de l’OCDE ici, dans une petite phrase là de Mervyn King à la tête de la Banque d’Angleterre, dans le nouvel angle d’attaque de Joseph Stiglitz là encore, je me dis que le temps de réponse nécessaire aux choses qui nous préoccupent est peut-être en effet de cinq ans, et que l’impatience des individus ne représente aux yeux de l’histoire qu’un obstacle de plus pour que le nouveau puisse advenir là où il est attendu et espéré par le plus grand nombre.
Un mail reçu hier, qui suggère lui que mes propos considérés comme « ahurissants » il y a deux mois à peine sont déjà dans l’air du temps ou, hier encore, le relevé du chiffre des ventes de mes cinq livres consacrés à la crise, montrant que chacun a fait mieux, voire beaucoup mieux, que le précédent, sont autant d’informations allant dans le même sens et se renforçant l’une l’autre.
Alors, le sept jours sur sept, le (presque) vingt-quatre heures sur vingt-quatre, n’est sans doute qu’un prix minime à payer. Haut les coeurs ! On continue !
298 réponses à “FAUT-IL ARRÊTER LE BLOG ?”
@ paul Jorion et son équipe.
La finalité du blog n’est pas l’économie. Pour que votre engagement perdure,il doit être lié au plaisir. Pas le plaisir de vos lecteurs à dévorer gloutonnement vos informations mais à VOTRE plaisir. Sans affect positif vous allez probablement produire une rupture dans le « p-graph » du blog.
Alors faites attention, mon expérience des crises (dans le domaine de la psychiatrie), montre que les crises sont des aspirateurs à énergie pour ceux et celles qui s’en occupent.
Concernant ce blog,
le plus important est l’acte que je viens de faire il y a quelques jours.
J’ai eu il y a plus de 20 ans, une histoire conflictuelle avec mon père. Qui n’est toujours pas digérées… Cette semaine je l’ai eu au téléphone et il m’a expliqué qu’il allait passé chez un de ses copains qui possède une petite maison sur Houat. Étonné de cette coïncidence, je lui ai alors proposé de m’y amener dans son bâteau avec ma petite famille… En raccrochant le téléphone j’ai pensé à vous… Et lui ai envoyé le livre de Mr jorion.
En écrivant ces lignes je suis ému …
C’est aussi cela un blog.
Merci.
Ho paul !
tu verras que la réponse « on continue! », qui m’a fait trés plaisir, car quel joie de vous lire tous!!!
Trouvera une autre réponse qui ne sera pas la tienne car les lois liberticides sont déjà mise en place de manière à couper la moindre étincelle: seul le temps qu il maitrise à souhait fera que tu puisses exister demain ou pas .L’outil n’étant pas libre et vérollé vive la coopérative du livre avant farenheit 491si je me souviens bien .Courrage à tous en espérant garder un lien précieux la communication..
Soit vous avez suscité une émulation à votre insu soit la gravité de la crise à éveiller des consciences rebelles à la « financiarisation »
Ou alors je n’ai rien compris au contenu différencié de vos blogs respectifs. Auquel cas je vous serais reconnaissant de raviver la veilleuse qui sommeille en moi…..
Sergepsg
Je viens de trouver un argument de poids pour continuer le blog:
« (Votre )cerveau seul n’est pas rationnel, lors d’un raisonnement en groupe, ces différents biais cognitifs peuvent s’avérer avantageux. »
L’intérêt pour chacun est donc d’apprendre à argumenter. Votre AGORA est dont très importante pour apprendre en co-évoluant.
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2012/06/29/sommes-nous-cables-pour-argumenter/
Paul, c’est vrai que c’est épuisant de tenir un blog en vue… Et encore, cela ne fait qu’un an, moi, pfiou 🙂
Mais bon, quand on se rend compte que, modestement, on apporte vraiment de la matière à la réflexion générale – oh non pas par « pur génie » ou « intelligence cosmique », mais par la travail et surtout par une vision sortant des chemins battus et rebattus de la pensée unique, qui rend de pseudo « élites »aveugles à des phénomènes que comprendrait un enfant de 15 ans – on se dit qu’on ne perd pas trop son temps, et que, ma foi, cela peut valoir de coup de continuer, encore un peu…
En tout cas, ça m’embêterait bien de ne plus lire tes analyses ou celles de François Leclerc…
Alors bon anniversaire, et courage, le bout du tunnel est en vue – ils ne vont plus arriver bien longtemps à glisser les problèmes sous le tapis… 😉
Amitiés
Olivier Berruyer
Merci Olivier : nous formons équipe toi et nous depuis un bon moment !
C’est un peu facile, confortable de dire « vas-y Paul, continue », de courir un instant derrière le coureur le nez dans le guidon dans la montée, pour l’encourager un instant…Alors qu’insuffisamment de lecteurs participent à l’entreprise. J’avoue que moi-même, souvent dans une situation difficile, je n’ai pas versé un rond. Et puis c’est vrai aussi l’année dernière je suis parti au Mexique…Il faut rembourser les traites. On ne fait pas impunément la fête au « Grand Café » comme dirait Trénet.. Qu’est-ce que je peux faire ? Vous inviter dans les Pyrénées cet été ? Euh… à combien vous venez ?
Ouf j’ai eu peur… Longue vie à ce blog
Keep up the good work…. vous êtes peut nombreux a pouvoir expliquer en détail l’actualité economique, financière et politique.
Je suis très TRES en retard. Ce billet m’avait complètement échappé. Parfois je suis complètement accro à votre blog, le consultant trois ou quatre fois par jour, parfois je n’y pense même pas, ou peu et mes soirées se passent à autre chose…
Je comprends que vous soyiez épuisé de temps à autre et même assez souvent; je me demande comment vous faites. Si ce blog disparaissait j’ai l’impression que ce serait une victoire pour ceux qui nous assiègent. Que vous dire d’autre? A part merci.
Que dire de plus que ce qui a été dit ?
Ceci est mon premier post sur le Web. Je fais partie de ces innombrables lecteurs qui ne se manifestent jamais. Mais quand il faut y aller, il faut.
Ma fréquentation est quasi quotidienne, pas tout à fait, et ce billet là m’avait échappé.
Si l’économie m’a toujours intéressée, je n’y comprenais rien jusqu’à que je m’y mette vraiment.
J’ai commencé cette « investigation » au printemps de l’année dernière, lors du 2ème « » »sauvetage » » » de la Grèce. Et j’ai découvert le blog en Août 2011, congés obligent – le mois où la courbe de fréquentation crève le plafond… – à force de chercher à comprendre. Je ne suis qu’une informaticienne lambda, mais avec une soif de comprendre inextinguible. Et là vous m’avez aidé. Sauvée ? Avec vos analyses. Avec le décryptage de François Leclerc. Et dans les liens des commentaires j’ai trouvé le « Triomphe de la Cupidité » de JS ou « La stratégie du choc » de NK (quel choc d’ailleurs ). Et d’autres. Maintenant que j’ai compris, je comprends pourquoi je ne comprenais rien. Comme je dis souvent, quand on ne comprend pas quelquechose, c’est qu’il vous manque une donnée, un paramètre. Et quand il vous est donné, alors tout s’éclaire, et quel plaisir, quelle jubilation !
J’ai 47 ans. Mon espoir à moi c’est d’oser croire de n’être pas la seule dans ce cas là. Et mon découragement à moi c’est parfois de ne plus y croire.
Comme vous dites tous, Haut les coeurs !
Il n’y a pas de doute à avoir là-dessus : nous ne sommes pas seuls !