GRANDEUR, MISÈRE ET FUTUR DE L’INDUSTRIE AUTOMOBILE, par Michel Leis

Billet invité

Les mauvaises nouvelles, grandes et petites se succèdent dans l’industrie automobile au point de faire passer une hausse minime du marché pour une grande victoire. Le secteur automobile mérite que l’on s’y attarde un instant, ne serait-ce que parce qu’il emploie près de 12 millions de personnes en Europe (entre emplois directs et indirects). Plus de 180 sites de production sont exploités par les constructeurs et leurs filiales, y compris ceux produisant uniquement des éléments tels que les moteurs et boîtes de vitesse.

Le marché automobile de l’Union européenne a perdu 4.2 millions d’unités entre le pic de 2007 et la fin 2012[i]. Si l’on considère que l’essentiel de ce qui est vendu en Europe est produit localement[ii], la surcapacité européenne s’établit aux alentours de 3.500.000 unités, peut-être un peu moins compte tenu des exportations. L’impact de la crise et de l’austérité est bien supérieur aux variations du PIB[iii] observées pendant la même période. La baisse est de 20 %, malgré des mesures de soutien de la part des gouvernements (bonus et autres primes à la casse) et la multiplication des opérations commerciales des constructeurs. Encore, cette variation ne prend pas en compte les immatriculations « tactiques » (en d’autres termes des voitures immatriculées sur stock que l’on espère vendre ultérieurement moyennant de fortes remises). Autrement dit, malgré les efforts conjoints des industriels et des gouvernements, rien ne semble devoir enrayer cette spirale à la baisse.

Il est difficile d’avoir une vue exhaustive de toutes les opérations de réduction d’effectifs, entre la visibilité importante des fermetures d’usines et des mesures moins médiatiques comme la suppression d’équipes, l’arrêt des contrats d’intérim et le non-remplacement des départs naturels. Si l’on considère une production moyenne entre 40 et 60 voitures par an et par personne[iv] travaillant sur les sites de production, on peut estimer les pertes d’emplois potentielles dans une fourchette comprise entre 50.000 et 90.000 emplois directs et probablement plus de 500.000 si l’on rajoute les emplois indirects dans la chaîne de valeur (sous-traitance, mais aussi distribution, logistique…). Chaque constructeur a essayé de préserver ces capacités dans l’espoir d’une reprise éventuelle du marché, pourtant, il arrive un moment où l’inévitable se produit, les fermetures effectives ou annoncées se multiplient : Opel Anvers, Ford à Genk, à Southampton et Dagenham , Peugeot Aulnay… Même l’Allemagne, n’y échappe pas : Opel a annoncé la fermeture de ses lignes de montage de Bochum.

Pour comprendre cette situation, il faut remonter aux origines des stratégies menées dans ce secteur et essayer de comprendre en quoi ce qui se joue dans l’industrie automobile est un cas d’école qui renvoie aux questions soulevées dans l’un des derniers billets de François Leclerc. Le déclin actuel ne s’explique pas seulement par l’effet direct des politiques d’austérité ni par un manque flagrant d’innovations. Ce qui est en jeu, ce sont les limites du paradigme sur lequel ce secteur comme d’autres a fondé sa prospérité.

Le secteur automobile a contribué à la naissance de la forme moderne du couple produit / marché, autrement dit à l’interaction entre norme de production et norme de consommation. La naissance de la chaîne de montage propulse ce secteur vers la consommation de masse ou la possession de l’objet vaut certificat d’appartenance à un corps social en route vers le progrès. Très tôt, Ford comprend que la prospérité de son entreprise dépend de sa capacité à créer ces propres clients. La Ford T a été produite à plus de 15 millions d’exemplaires. Pourtant, dès la fin des années 20, l’industrie naissante est confrontée à ses propres limites. Le taux d’équipement des ménages américains frôle déjà la saturation et il faut entretenir la demande. Pour accélérer le renouvellement, on va investir l’objet d’un nouveau statut, celui de la reconnaissance. Pour ce faire, on va construire une gamme et raccourcir le cycle de vie du produit. Dis-moi quel modèle tu achètes et je te dirai qui tu es. C’est une rupture fondamentale, la consommation de reconnaissance qui n’était que l’apanage d’une élite se généralise. Elle segmente les individus par leurs achats et engendre une dynamique essentiellement fondée sur l’accès à une norme de consommation supérieure.

La crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale stoppent ce processus. Au sortir de la guerre, la consommation de masse reste dominante, en particulier en Europe. Pourtant dès les années 60, l’outil de production se réorganise par l’optimisation de la logistique, la robotisation et le recours accru à la sous-traitance. L’introduction de l’informatique dans la conception permet de réduire le temps nécessaire pour concevoir un modèle. Lorsque la consommation de masse s’épuise à la fin des Trente Glorieuses, les efforts se concentrent sur deux points : le raccourcissement du cycle de vie et l’élargissement de la gamme. Par exemple, entre la 1ère et la 6ème génération de la Golf, le cycle de vie passe de 10 à 5 ans auquel on peut ajouter un rafraîchissement majeur programmé au deux tiers de la vie du modèle. La gamme de Renault comporte 5 produits de base en 1970, elle en comporte 12 aujourd’hui sans compter la multiplication des déclinaisons. Les gains de productivité sont en partie absorbés par cette nouvelle approche marketing et la taille du marché devient une donnée essentielle. Sans un certain volume, il n’est pas possible d’amortir les coûts engendrés par le raccourcissement du cycle de vie et de faire des économies d’échelle sur les achats. L’internationalisation semble être une réponse évidente, mais les différences culturelles et d’infrastructures empêchent souvent les constructeurs d’atteindre le Saint Graal de l’automobile : la voiture mondiale vendue partout avec les mêmes spécifications de base.

Pour que l’industrie automobile préserve ses marges et porte l’image jusqu’au relais le plus proche du client, elle doit prendre aussi le meilleur dans la chaîne de valeur et avoir une position dominante. En aval, par un système de norme de représentation, elle maintient le concessionnaire dans un état de dépendance[v] et fera tout pour ne pas tomber sous la coupe de la grande distribution qui impose ses prix à la production. Ce mode de distribution plutôt onéreux à quelques avantages secondaires puisqu’il est relativement peu productif et génère de nombreux emplois. En amont, c’est l’expression même d’un rapport de force vers la sous-traitance qui est à l’œuvre. Cette dernière logique s’est fortement accentuée avec l’élévation de la norme de profit à partir du milieu des années 80. Les constructeurs ont retranscrit cette pression vers les sous-traitants par l’intermédiaire de la fonction achat, poussant une partie des sous-traitants à s’installer dans des pays à faible coût. L’ouverture de l’Europe à l’Est aura été caractéristique : elle s’est transformée en arrière-cour industrielle pour l’industrie allemande.

Cette approche a relativement bien fonctionné des années 70 jusqu’à la crise actuelle, malgré quelques trous d’air violents (en 1983, 93, et 97 notamment). Pourtant, l’entrée dans la crise s’accompagne d’une dégradation rapide de la situation. L’âge moyen du parc automobile est passé de 5.8 années en 1980 à 8.2 années en 2012. Dans le même temps, la durée de détention d’un véhicule neuf est passée de 3.8 ans en 1985 à plus de 5 ans en 2010. Si le prix moyen des véhicules vendu continue à augmenter, il cache une polarisation du marché. D’un côté quelques produits porteurs d’images de par leurs marques connotées comme Premium ou leur carrosserie (4×4). De l’autre, des produits low cost dont la part de marché va grandissante. Cette augmentation du prix ne profite donc qu’à un nombre très limité de constructeurs tandis que la répartition des volumes et des parts de marché se dégrade pour les constructeurs généralistes.

Est-ce que le modèle sur lequel était fondée cette croissance a atteint ces limites ? Sur le fond, la logique d’une consommation fondée sur l’appartenance puis la reconnaissance n’a probablement pas changé, mais les conditions dans lesquelles cette fonction se déploie ont fortement évolué. Cette logique s’est construite à une époque où le nombre d’objets offerts au choix des consommateurs était extrêmement limité. Dans ce contexte, la voiture était l’un des éléments fondamentaux et visibles de la reconnaissance. Aujourd’hui elle n’est qu’un élément parmi d’autres et de nouveaux objets ont capté cette dynamique. Une concurrence entre objets s’est établie au détriment d’une concurrence intra objet. Au premier abord, on compare des choux et des carottes, puisque le prix de ces objets n’est pas du même ordre de grandeur, mais la réalité est plus complexe.

La dégradation progressive de la solvabilité des individus remet en cause les ordres de priorités. Les facteurs se multiplient comme la hausse des carburants ou l’augmentation du prix du logement qui rejette une partie de la population hors des centres urbains. Si ce dernier facteur accroît le besoin d’automobiles, la part croissante du budget consacré à l’habitat est un facteur de désolvabilisation. Nos outils communiquants induisent une consommation de suite et nécessitent des budgets mensuels non négligeables. Enfin, la pression sur les coûts du travail s’est aujourd’hui généralisée, le discours sur la compétitivité tend à accentuer la pression sur les salaires. L’achat d’une automobile reste souvent contraint par l’absence de moyens alternatifs de transports, mais ce faisant, l’automobile se « désenchante », elle perd en partie son aspect valorisant qui avait entretenu la demande.

La crise sert de révélateur, toutes ces pressions aboutissent à cette baisse de marché conséquente dont les effets sont d’autant plus violents que l’outil industriel reste peu flexible. Il pose frontalement aux constructeurs la question de leurs stratégies : comment survivre sous la double contrainte d’une diminution du cycle de vie du produit et d’une baisse du marché ? Bien évidemment, tous les constructeurs ont une stratégie claire sur le futur de leur métier… Prises collectivement, ces stratégies souffrent pourtant de quelques défauts :

Elles tendent à dupliquer la stratégie de ceux qui sont considérés comme les meilleurs de la classe (notion variable au cours du temps), d’où la multiplication des stratégies premium ou des stratégies low cost. Ces stratégies fondées sur la polarisation des marchés ne prennent pas en compte deux dimensions opposées.

La bonne tenue relative du marché premium tient à deux facteurs : une partie de ce marché est un marché d’entreprises[vi] qui se substituent aux individus dans l’achat d’un véhicule statutaire[vii]. Cependant la recherche d’économie pousse à allonger les temps de détention tandis que les réductions d’effectifs touchent aussi l’encadrement. Pour la part du marché premium reposant sur les particuliers, c’est simplement un effet retard. En temps de crise, ce sont les personnes les plus fragiles qui sont touchées en premier, puis les classes moyennes et enfin les classes moyennes supérieures qui sont les plus friandes de ce type de véhicule. Ce segment de marché s’il est beaucoup plus résistant ne porte pas des perspectives de croissances sauf pour le très haut de gamme.

S’agissant des véhicules low-cost, il s’agit pour l’essentiel d’une logique de substitution : les individus achètent des voitures bon marché à la place des produits de marques généralistes. À la base, ces véhicules ont été conçus pour prolonger la durée de vie de plateformes, de composants et d’outils industriels. De conception ancienne, ils polluent et consomment plus. En outre, la production dans des pays low-social de véhicules ne crée pas ou peu de marchés et enfreint cette règle d’or de l’industrie de consommation qui consiste à créer ses propres clients. Si elle répond à un besoin, le low-cost est aussi une stratégie prédatrice dans un marché en perte de vitesse.

Le deuxième élément commun aux stratégies des constructeurs est l’internationalisation. On va chercher dans les marchés émergents les clients perdus, sans s’interroger sur le futur. Une typologie montre trois grands groupes de marchés qui n’ont pas les mêmes caractéristiques:

Le premier groupe est celui des marchés automobiles matures où le besoin reste élevé parce que le mode de vie et les infrastructures sont adaptés et les moyens alternatifs de transport restent limités à quelques usages particuliers. L’Amérique du Nord en est un parfait exemple : à l’exception de quelques mégapoles, l’automobile reste incontournable dans le cœur du pays. S’il existe une sensibilité importante à la crise, le marché recouvre assez vite son niveau antérieur. Une baisse durable est hypothétique, tant elle nécessiterait un changement drastique du mode de vie. Malheureusement, ce sont des marchés très concurrentiels où la spécificité produit reste importante, ce qui est une barrière à l’entrée sauf pour le haut de gamme. Seule une hausse du prix de l’essence pourrait entraîner un réel alignement des modèles avec ceux vendus dans les marchés européens.

Le second groupe est celui des autres marchés matures (l’Europe et le Japon) pour lesquels il existe une demande de fond, les structures alternatives de transports n’offrant pas toujours une couverture suffisante ou la flexibilité nécessaire. Mais l’autre caractéristique de ces marchés est qu’une grande partie de l’infrastructure n’est pas adaptée à l’automobile. L’engorgement des villes pousse les municipalités à restreindre la place qui lui est accordée. Ces contraintes croissantes entraînent un changement en profondeur du rapport des individus à l’automobile, ce que montre le relatif succès de l’opération Autolib à Paris.

Le dernier groupe, celui des marchés émergents, fait rêver tous les constructeurs (la Chine…). Le développement d’une classe moyenne s’accompagne d’une demande fondée sur la dynamique appartenance / reconnaissance qui sert de moteur à cette industrie depuis 50 ans. Avoir une automobile « vaut certificat d’appartenance à un corps social », rouler en berline allemande ou en 4×4 affiche la réussite dans un monde très hiérarchisé. Mais ce dynamisme ne doit pas cacher les enjeux. En premier lieu, ces pays sont très à cheval sur leur indépendance économique et exigent qu’une grande partie de la production soit locale. À terme, le transfert de savoir-faire[viii] pourrait bien se retourner contre les marques occidentales. D’autre part, ces pays souffrent des mêmes défauts que les marchés matures d’Europe. Le besoin réel est dans les campagnes ou les villes moyennes, mais la richesse et le marché se concentrent dans les grandes villes où l’infrastructure est peu adaptée, sans parler des problèmes de pollution. Dans certaines villes de Chine, les plaques d’immatriculation sont tirées au sort (objet de bien des corruptions…) ou vendues extrêmement cher. Pour qui connaît les énormes embouteillages de Pékin ou de Moscou, il n’est pas sûr que l’engouement actuel perdure plus de 10 ans…

Un autre point commun de toutes ces stratégies, c’est qu’elles se font sous contrainte d’une rentabilité élevée, faisant fi de toute responsabilité collective et oubliant l’un des principes du fordisme : l’industrie doit générer ses propres clients, ce que l’industrie automobile européenne n’a pas fait en exerçant une pression accrue sur les sous-traitants et dans sa course vers l’Est.

Le dernier paramètre de cette concurrence est la course technologique. L’élévation des normes de sécurité et la réduction des émissions polluantes posent des problèmes à quelques constructeurs, mais entretiennent l’espoir chez certains de réaliser la percée technologique qui donnera un avantage décisif. Ces normes exercent une pression sur le prix des véhicules : allégement, « downsizing », hybridation, la course technologique mobilise des moyens qui se justifiaient d’autant plus que les retombées pouvaient être mondiales. Or, la crise et la montée en puissance de nouvelles énergies fossiles ont cet effet paradoxal de relâcher la pression sur les prix de l’énergie, éloignant de fait l’espoir de réaliser des économies d’échelles. L’exemple de la voiture électrique est éclairant : Il n’y a pas encore de rupture technologique majeure. L’autonomie et les temps de recharge restent des obstacles qui contraignent son utilisation aux zones périurbaines sans résoudre les problèmes d’infrastructures et d’engorgement inhérents au contexte urbain. Dans l’état actuel, le marché lié à cette technologie reste hypothétique.

Au final, ces stratégies reposent sur l’illusion collective que l’on va faire mieux que son voisin. Sur un espace géographique restreint comme peut l’être l’Europe, avec un volume de client solvable de plus en plus réduit, la concurrence n’est plus un jeu à somme nulle, mais un jeu à somme négative. Dans cette dynamique, le paysage qui se dessine reste hautement dépendant des politiques européennes et nationales. Compte tenu des interventions existantes en matière de normes, le monde politique ne peut se cacher derrière son petit doigt en invoquant seulement la régulation par le marché. Trois scénarios peuvent se dessiner pour le futur.

Le premier scénario est celui du laisser-faire. En fonction de l’arbitrage entre austérité et relance, le marché se stabilise dans l’UE, entre un étiage bas aux alentours de 11.5 millions d’unités et un point haut à 13 millions. La pression sur les prix résultant de normes plus sévères accentue la polarisation du marché entre les marques premium et les marques low-cost qui intégreront des voitures propres ou électriques pour se conformer aux normes antipollution. Les marques vont acter cette nouvelle taille du marché, l’ajustement final sera supérieur à celui évoqué en introduction : l’adapatation étant réalisé par les unités de production, la phase suivante sera de retrouver les niveaux de productivité d’avant la crise. Au final, des plans sociaux massifs (un million d’emplois perdus ?) et des interrogations sur la survie ou le maintien de certaines marques dans le marché européen.

Un deuxième scénario est celui d’une redynamisation des marchés qui dépasserait le cadre d’une simple relance ponctuelle. Un alignement rapide des salaires en Europe de l’Est permettrait de créer un marché dans ces pays (condition de base dans l’industrie des biens de consommation) et pourrait s’accompagner d’une politique de soutien au renouvellement d’un parc automobile devenu le dépotoir des véhicules d’occasion vieux et polluants dont l’Europe de l’Ouest a le plus grand mal à se débarrasser. Le retour d’un marché plus dynamique combiné avec le durcissement continu des normes antipollution permettrait le maintien d’une industrie européenne diversifiée en gamme. Il est difficile de mesurer l’impact d’un tel scénario, mais il est facile d’imaginer la levée de boucliers des constructeurs allemands qui créent une partie de leur profit sur une arrière-cour industrielle bon marché et des constructeurs low-cost qui s’appuient sur le low-social pour accroître leur part de marché.

Reste le dernier scénario, le plus ambitieux, celui de la mutation. À l’heure où le rapport à l’automobile change, il est permis d’envisager une autre forme de production et d’utilisation. Le véhicule de demain n’est probablement pas le même en ville et sur route. Les grandes voies qui se dessinent restent le moteur électrique installé dans de très petits véhicules pour les trajets urbains et la pile à combustible ou l’hybridation pour les longues distances. Toutes ces solutions sont onéreuses et difficiles à mettre en œuvre dans le cadre de cycle de vie court : on pourrait donc imaginer l’instauration d’un cycle de vie minimum comme préalable à cette mutation. L’outil industriel devrait se métamorphoser pour produire en plus petite série, en combinant haute technologie et assemblage final sur des lignes à cadence réduite et moins automatisées, comme cela se pratique dans l’industrie aéronautique. De plus ce type d’approche permet aux personnes travaillant sur la ligne de montage de se réapproprier des savoir-faire complexes. Le cycle de vie long s’accompagnerait d’une remise à niveau régulière, là aussi, l’aéronautique où la durée de vie d’un avion est de plus de 20 ans est un bon exemple. L’amortissement d’un coût global élevé, mais sur une durée plus longue conduit à une révision du lien propriété / usage. Un contrat d’utilisation se substitue au mode propriétaire dominant jusque-là. Le réseau des constructeurs devient autant de points de services exerçant le double métier de la maintenance et de la gestion de contrats d’utilisation où les usagers peuvent changer de type de véhicule en fonction des besoins. L’inscription de l’automobile dans un schéma global pourrait ajouter l’utilisation de moyens de transports collectifs dans la palette de services offerts. Reste à imaginer la transition entre la situation d’aujourd’hui et cette nouvelle vision plus intégrée, transition qui pourrait passer par l’instauration d’une taxe sur la possession automobile pour les particuliers. Celle-ci s’établirait sur un calendrier progressif qui accompagnerait la montée en puissance d’une industrie automobile 2.0.

À la fin de ce long billet, il n’aura été nullement question de compétitivité par les coûts salariaux. Dans le cadre du premier scénario, la prise en compte de cette soi-disant compétitivité salariale serait l’alignement des salaires de l’Ouest sur ceux de l’Est. Elle conduirait à un étiage de marché extrêmement bas (8 ou 9 millions) et à la disparition ou au retrait des constructeurs généralistes du marché européen, avec son cortège de licenciements.

Le libre jeu de la concurrence ne peut suffire à lui seul pour faire face aux enjeux futurs. Évidemment, le troisième scénario bouscule la vision des constructeurs qui fondent toujours leur stratégie sur cette logique obsolète du renouvellement rapide, hésitant entre le redéploiement géographique ou la course technologique pour passer le cap. Il bouscule surtout la religion du marché devenue la norme en politique. Orienter l’industrie en dépassant le cadre du point de vue des acteurs individuels devrait être pourtant une des tâches prioritaires du monde politique. Que ce soit dans l’économie réelle ou dans l’économie financière, on ne peut se contenter du marché pour dépasser une situation de crise.



[i] On est parti pour une baisse supplémentaire d’environ 500 .000 unités en 2013.

[ii] La plupart des constructeurs japonais et coréens produisent en Europe, dans une proportion comprise entre  30 et 70 % de leurs ventes locales suivant les marques et les années.

[iii] 1 % au total pour cette la période 2008-2012

[iv] Chiffre déjà en baisse par rapport au maximum atteint dans les années 2006 / 2007

[v] L’automobile a longtemps été encadrée par une série de règlements européens spécifiques qui sont aujourd’hui en voie d’extinction

[vi] La bonne tenue relative du marché allemand en 2012 tient à des mesures extrêmement favorables aux voitures de fonction

[vii] L’application de la pyramide de Maslow au management !

[viii] Des savoir-faire de design ou de marketing bien plus que des savoir-faire technologiques que les pays émergents ont déjà

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