Jacques Attali ce matin sur France Culture, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

La discussion de ce matin exprime la stérilité du discours de valeur dont le prix n’est pas calculable ni analysable ni donc discutable. Les jugements de valeur de Jacques Attali auxquels répondent ceux de Brice Couturier nous informent d’une réalité que nous voyons aussi. Mais cette réalité n’est pas partageable dans la singularité des personnes individuelles et collectives dont notre humanité est faite. Oui, la situation actuelle est aberrante du point de vue de toutes les logiques que nous puissions lui appliquer : mais qu’est-ce qu’on décide collectivement et qu’est-ce qu’on fait ?

Rien ne nous est explicable ni compréhensible que nous n’ayons décrit par une grille verbale d’analyse. Mais comment savons-nous que nos grilles nous renvoient à une réalité suffisamment commune pour qu’elle soit collectivement transformable conformément aux vœux des majorités ? Attali et Couturier parlent : mais que disent-ils sur quoi nous puissions agir ; agir par un nous qui soit plus qu’une addition de « moi » ? De quelle matière sont ces règles de droit internationales qui pourraient rendre lisible notre réalité mondialisée ? Cette matière n’est pas faite de valeurs verbales mais bien de prix concrets qui portent des actes décisifs.

Attali dit que la France a des atouts : de quelle matière sont-ils faits pour que nous puissions les saisir et les jouer dans la réalité qui nous échappe ? Nos atouts sont transformables en réalité s’ils ont un prix dans nos actions ; nos actions ont un prix si elles s’inscrivent dans un vivre ensemble dans la cité. Qu’est-ce qu’une cité ? Un ensemble de citoyens singuliers qui disent ce qu’ils font pour faire ensemble ce qu’ils disent. Ce que ni Attali, ni Couturier ne disent, c’est que les cités ne sont humaines qu’à la condition d’être scalables et fractales : efficaces indépendamment de la dimension, de la diversité, de la multiplicité et du nombre des sujets de force.

Qu’est-ce que la cité fractale et scalable si ce n’est l’état de droit de la démocratie des personnes morales et physiques ? Les atouts de la France et de l’Europe sont là. Nous sommes la civilisation de la personne singulière, multiple, plurielle et donc morale. Pourquoi cette civilisation s’effondre-t-elle en entraînant le monde entier dans sa chute ? Parce que la cupidité de la valeur révélée détruit le calcul du prix analytique des personnes. Le bien n’est plus discutable ni transformable : il n’est au mieux que dans des paroles individuelles non négociables, donc non synthétisables dans la réalité collective.

L’effondrement de la valeur dans l’insignifiance des prix est passé en Europe continentale par la monnaie unique. L’euro est la valeur d’une idée non transformable dans la réalité des personnes. Les citoyennetés locales et nationales ont été détruites dans le grand tout des valeurs de l’individu inintelligible aux autres. Les institutions européennes débitent des principes généraux ; la réalité est ingouvernable par une monnaie qui ne dit rien de personne. Le fait nouveau survenu avec les subprimes est que le système bancaire en euro absorbe infiniment les fausses valeurs de la finance anglo-saxonne. Le monde est en euro unifié par le néant.

Le seul moyen de poser un plancher au fond de l’abîme est d’arrêter de parler pour ne rien dire. Il faut COMPENSER ; c’est à dire indexer la monnaie sur la réalité des personnes ; indexer les paroles sur les transformations de la réalité ; indexer les prix sur la négociation des objets signifiés par des personnes ; indexer les personnes morales par les personnes physiques qui partagent leur réalité. La monnaie des personnes solidairement engagées dans la réalité, c’est le bancor. L’euro est déjà un bancor mais privé de réalité par des egos qui parlent de tout et ne répondent de rien.

L’euro mué en bancor est un protectionnisme des cités. Les frontières reconstruites dans l’espace numérique définissent des communautés singulières dans tous les degrés personnels de la réalité ; de la plus petite entreprise de bien commun à l’Union des Européens régie par la démocratie des cités ; lesquelles sont responsables d’elles-mêmes par leurs lois, leur budget et l’unité monétaire comptable de leur bien propre commun. La monnaie est le prix de la loi du vivre ensemble. Si chacun se parle à lui-même de ses propres intérêts dans son auto-langage, la réalité n’a simplement plus de prix.

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