POURQUOI PAS DES IMPÔTS À LA CARTE ?, par Jean-Paul Vignal

Billet invité.

Un des grands principes de la fiscalité publique en France est la non affectation des recettes fiscales : le produit d’un impôt ne peut normalement pas être affecté à une dépense déterminée. Il va de soi que ce principe implique a fortiori qu’aucun contribuable ne peut affecter le montant de ses impôts à une dépense déterminée.

Les exceptions confirmant toujours la règle, il y a bien sûr des exceptions à ce principe ; elles sont en général destinées à simplifier la comptabilité publique et la gestion de certaines entités publiques dotées de ressources propres. Ces exceptions sont très surveillées, car elles constituent un des moyens les plus simples de sortir des dépenses publiques du budget, et donc d’éviter le contrôle parlementaire. Elles consistent le plus souvent à prélever un certain pourcentage voire la totalité des recettes des entités qui bénéficient de ce traitement particulier et à les affecter à leurs dépenses de fonctionnement.

Il y a une autre forme d’affectation des recettes, moins évidente mais bien réelle : ce sont les niches fiscales. Dans ce cas, le contribuable « prélève » directement une certaine somme de l’impôt qu’il devrait payer, parce qu’il a effectué une dépense qui correspondait à une niche fiscale. Dans l’absolu, le principe est sain ; il consiste à subventionner les contribuables qui effectuent des dépenses conformes à la politique souhaitée par l’Etat. Il a le double avantage d’éviter les frais d’intermédiation (collecte de l’impôt, et gestion de la distribution des subventions) et d’avantager les agents économiques bénéficiaires, qui sont donc les plus « efficaces » dans notre système de valeurs actuel.

Mais quand on y regarde de plus près, certaines de ces niches traduisent une vision un peu particulière de l’intérêt collectif et permettent à des personnes physiques ou à des entreprises « d’affecter » les impôts qu’ils payent en fonction de leurs intérêts, de leur humeur, de leur goût et de leur bon plaisir du moment, par le biais des multiples niches fiscales, dont, notamment, celle sur le mécénat dit d’art. Quand on a la malchance de ne pas pouvoir éviter de devoir « admirer » certaines des « oeuvres » qui trônent sur les murs et dans les halls de nombreux bureaux de luxe, on peut parfois douter de l’intérêt autre que de rémunérer des amis artistes ou assimilés en franchise fiscale aux dépens des salariés, des actionnaires et de la collectivité.

Le contribuable/citoyen lambda bénéficie aussi de quelques niches fiscales, mais on pourrait améliorer ce dispositif. Il n’est pas certain que la déduction fiscale pour nain de jardin serait un progrès pour l’art, ou pour la beauté de nos villes et villages, mais ce serait un progrès pour la justice, car leurs propriétaires leur sont aussi attachés, et en sont aussi fiers que le sont les propriétaires en franchise fiscale de certaines croûtes ou mobiles et autres oeuvres avant-gardistes.

On pourrait néanmoins rétablir au moins une certaine égalité en permettant à tous les contribuables d’affecter une partie de leurs impôts, en imaginant un système intermédiaire entre l’impôt et le crédit d’impôt : offrir à chaque contribuable la possibilité d’affecter 10% ou 15% du montant de ses impôts aux budgets locaux régionaux ou nationaux qui lui paraissent le plus utile. Ainsi, quel que soit l’impôt existant, local, régional ou national, chacun pourrait décider dans une limite à déterminer, de 15 ou 20% par exemple qu’un certain pourcentage de ses impôts devrait financer l’éducation, la recherche, la santé, la protection de l’environnement, la police, etc., la somme de ces pourcentages devant être au plus égale à la limite autorisée de 15 ou 20%.

En plus de rétablir un peu d’équité entre amateurs clairs et citoyens non initiés, ce système aurait l’indéniable avantage d’être un sondage grandeur nature de ce que souhaitent vraiment les citoyens/contribuables. On devrait pouvoir au moins l’expérimenter localement sans trop bouleverser le sacro-saint principe de la non affectation des recettes fiscales.

Dans le même esprit, mais sur un autre registre, on pourrait aussi envisager une certaine « démarchandisation » de l’impôt. L’évolution prévisible du travail salarié sous la double pression des gains de productivité et des délocalisations dues à la concurrence fiscale et sociale entre États et la montée actuelle du chômage structurel dans les économies avancées qui en résulte, implique une baisse de revenu pour de nombreux contribuables. Aux augmentations du taux d’imposition près, cette baisse de revenu entraîne évidemment une baisse proportionnelle de l’impôt sur le revenu. Mais elle se traduit rarement par une baisse des impôts locaux et jamais par une baisse des impôts sur la consommation. Dans ce dernier cas, les moyens informatiques modernes permettraient sans doute assez facilement de moduler le taux de TVA sur les produits de première nécessité en fonction du revenu si on le souhaitait vraiment. Chaque contribuable se verrait par exemple attribuer un crédit mensuel de TVA sur une liste déterminée de produits qu’il pourrait acheter en franchise de TVA ou avec un taux de TVA réduite. Le tout pourrait être géré assez facilement par une carte à puce sécurisée par code et/ou par biométrie.

On peut aussi essayer d’aller un peu plus loin au niveau des impôts locaux. Certaines communes pourraient expérimenter une reforme fiscale consistant à démarchandiser l’impôt en autorisant le paiement de tout ou partie des impôts locaux en nature, qu’il s’agisse d’heures de travail, de produits ou de services. Ainsi, la participation aux activités de certains services communaux (enseignement, voirie, permanence des services municipaux, etc.) pourrait par exemple être rétribuées sous forme de crédit impôt communal, la encore avec sans doute des limites, le crédit ne pouvant pas dépasser un certain pourcentage du montant initial de l’impôt du. Il ne fait aucun doute qu’une telle initiative serait sans aucun doute considérée comme un retour aux corvées par certains esprits grincheux, mais il est fort probable que ceux qui sont temporairement ou définitivement privés de revenus financiers apprécieraient beaucoup, surtout si ce crédit impôt pouvait aussi être utilisé pour abonder le compte de crédit TVA évoqué dans le paragraphe précédent.

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