Débats possibles et impossibles avec les catholiques convaincus, par Jeanne Favret-Saada

Billet invité.

Travaillant en ce moment sur la doctrine catholique de la famille, j’en profite pour rédiger un message responsable quant à l’impossibilité de débattre avec des militants catholiques opposés à l’une des causes que je défends sur la reproduction, de la sexualité, et de la famille. La conception de la famille s’insère dans la doctrine sociale de l’Eglise, dont un résumé récent, le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, est accessible sur Internet : cette version formule dans la théologie personnaliste de Jean-Paul II la totalité d’une doctrine qui a débuté avec Léon XIII dans un style intransigeant — lequel avait permis à l’épiscopat français d’en voir la réalisation idéale dans la Révolution nationale de Pétain. 

Dans ce Compendium, les principes de la doctrine sociale, énoncés dans le quatrième chapitre, aboutissent dans le septième à une conception de la vie économique avec laquelle nous ne pouvons qu’être en sympathie. (Je m’étonne seulement de ce que les infractions quotidiennes et systématiques à cette conception n’aient jamais jeté une foule dévote dans la rue. Au mieux, nous avons eu quelques déclarations de l’épiscopat ou d’un pape.) 

Parce que la définition du « bien commun » pourrait être la nôtre, ainsi que le principe d’une « destination universelle des biens », nous pouvons passer sur le fait que l’ensemble de cette conception est hétéronome : Dieu a créé l’univers par don gracieux fait à l’homme… qui est chargé de se vouer librement à faire ce qu’Il estime nécessaire ; passer sur le fait que la « personne » humaine est une « image de Dieu » priée de se vouer librement à lui ressembler, etc… Bref, passer sur le tour de passe-passe habituel des religions, compliqué dans ce cas par le fait que Jésus aurait souffert d’atroces souffrances pour renouveler ce cadeau, et que l’Eglise aurait été chargée par Dieu-le-Christ d’énoncer aux hommes les souhaits divins les concernant. 

Si l’on fait une lecture indulgente des trois premiers chapitres : « Le dessein d’amour de Dieu pour l’humanité », « Mission de l’Eglise et doctrine sociale », « La personne humaine et ses droits », on voit que le quatrième chapitre — « Les principes de la doctrine sociale de l’Eglise » — contient nombre de principes qui nous sont chers (et d’autres dont nous comprendrons plus tard, à propos de la famille, qu’il valait mieux se méfier) ; si on laisse de côté le cinquième chapitre sur « La famille, cellule vitale de la société », on approuve sans doute l’essentiel du sixième chapitre sur le « travail humain », mais plus encore, le septième sur « la vie économique ».

Par contre dès lors qu’il s’agit de la famille, le piège se referme sur le malheureux être humain hétéronome. Car elle est posée d’emblée comme une formation absolument « naturelle », créée par Dieu et voulue éternellement telle : un homme, une femme, et leur progéniture. La démonstration par l’Ecriture de ce que Dieu a créé et voulu justement cela est totalement incrédible, je ne peux qu’y renvoyer le lecteur. Sa traduction en discours personnaliste woytilien énonce que le dessein du Créateur fut la famille « comme lieu premier d’humanisation de la personne et de la société ». La preuve : « Jésus vécut dans une famille concrète » (dont Dolto a donné une interprétation crédible, mais pas « concrète ») et « conféra une dignité sublime à l’institution de mariage, le constituant comme sacrement de la Nouvelle Alliance ». Et l’Eglise, bien sûr, etc. De plus, l’application du « principe de subsidiarité » (dont nous aurions dû nous méfier plus haut), fait que la famille, « première société naturelle », compte plus que « la société », lquelle doit se mettre à son service ». Entendons : la famille, c’est de la Nature, celle que Dieu a créée et voulue ; la société, c’est de la Culture, celle que nous créons et voulons, avec plus ou moins de bonheur.

De là, tout va découler : le mariage est entre un homme et une femme ; il est indissoluble ; les époux sont tenus de procréer ; aucune méthode « non naturelle » n’est licite pour l’éviter. Depuis les premières lois sur le divorce au XIXe siècle, l’Eglise est hostile à tout ce qui pourrait modifier cette conception de la famille. On l’a oublié aujourd’hui, mais elle s’est constamment opposée aux lois accordant la majorité aux jeunes gens à 18 ans au lieu de 21 ; et à celles qui donnaient une autonomie aux femmes mariées ; enfin, les Associations Familiales Catholiques se sont longtemps appelées Associations des Chefs de Famille Catholiques, et elles ont lutté pour la défense de l’autorité du chef de famille. C’est dans ce contexte qu’elles se sont engagées dans des croisades pour la morale au cinéma et à la télévision, mais aussi contre le Pacs et contre l’accès des homosexuels au mariage.

En conséquence, on ne voit pas sur quelles bases on pourrait débattre sur la « famille » avec des catholiques qui en maintiennent les principes à l’abri de la transcendance divine : la « Nature » telle que Dieu l’a voulue et que l’Eglise la décrit ne permet aucune discussion.

Au contraire, il y a suffisamment de jeu entre ces principes fondamentaux et l’économie pour qu’un catholique — et même un père jésuite, comme Gaël Giraud — soient des partenaires intéressants à propos de la crise ou de l’avenir du capitalisme.

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