« UN TRAITÉ SUR LA MONNAIE » (I) LA FAUSSE QUERELLE DES CRÉDITS ET DES DÉPÔTS

Qui, du crédit ou du dépôt vint le premier ?

Cette question qui passionne les financiers débutants, présente autant d’intérêt que son illustre prédécesseur mettant en présence l’œuf et la poule et la réponse est identique dans les deux cas : la question dans ces termes est en réalité privée de sens. Il n’empêche que les manuels affirment sur un ton péremptoire que « Contrairement aux apparences (le « contrairement aux apparences » est essentiel), le crédit vint en premier : ce sont les crédits qui créent les dépôts ».

« Contrairement aux apparences, la poule vint en premier ! » Oui, pourquoi pas, mais la dure réalité c’est que tant qu’il n’existe pas d’espèce « les poules », ni l’œuf particulier, ni le poulet individuel ne sont possibles, tandis qu’une fois que l’espèce est là, il existe nécessairement des œufs et des poulets simultanément, même si les poules pondent des œufs et non l’inverse. De même, une fois que la monnaie existe, et les banques aussi, les crédits et les dépôts deviennent simultanément possibles.

Ceci semblant aller de soi, quelle est alors la finalité de l’affirmation péremptoire que la question de la priorité du crédit ou du dépôt a un sens, et que c’est le crédit qui vint en premier ?

Ce qu’il s’agit de faire apparaître en fait, c’est non pas que les crédits précédent les dépôts, mais que, « contrairement aux apparences » (on y revient !), une dette n’est pas une promesse de rendre de l’argent – l’argent étant « une chose en soi » – mais que l’argent lui même est une dette – une dette étant en vérité « une chose en soi », ou plutôt, que l’argent lui-même est une reconnaissance de dette, et en l’occurrence, une reconnaissance de dette émise par la banque centrale.

Joseph Schumpeter (1883 – 1950) qui mena la croisade visant à imposer la thèse que « les crédits créent les dépôts », la fait remonter à, entre autres, Irving Fisher (1867 – 1947), le promoteur de la monnaie 100% dans le cadre de laquelle il est prohibé aux banques de prêter l’argent en dépôt sur les comptes-courants, tous les prêts étant consentis par la banque centrale par le biais des banques commerciales. Le fait que les banques prêtent l’argent déposé sur les comptes-courants de leurs clients, c’est ce que Keynes appelait le « banking principle » : le principe même au cœur du système bancaire ; c’est ce principe qu’il voudra étendre à l’ordre monétaire tout entier grâce à son projet de chambre de compensation multilatérale internationale dont la monnaie de compte serait le bancor.

Schumpeter dit de Fisher qu’« Il a aussi fait ressortir cette vérité évidente que les dépôts et les billets de banque sont fondamentalement la même chose » (Schumpeter 1983 [1954] tome III : 472). Appeler une hypothèse ténue « vérité évidente » est une vieille habitude des doctrinaires : le procédé permet l’économie d’une démonstration qui s’avérerait sinon périlleuse.

Il n’y aurait donc, quand on parle de « monnaie » qu’une seule chose : des reconnaissances de dette, dont il existerait deux types : les reconnaissances de dette entre particuliers et les reconnaissances de dette émises par la banque centrale, que l’on appelle communément « de l’argent ».

Soit, mais si les dettes entre particuliers se règlent en argent, en quoi les dettes entre un particulier détenteur d’argent et la banque centrale se règlent-elles ? En or uniquement. Du moins à l’époque où l’on pouvait véritablement aller échanger son argent contre des pièces d’or sonnantes et trébuchantes.

Tout l’argument vise en fait à contester la légitimité de toute monnaie qui n’est pas une « monnaie-marchandise » au sens de Keynes, la marchandise en question étant l’or ; c’est-à-dire à contester qu’une « monnaie  fiduciaire », qui n’est pas adossée à un métal précieux, soit véritablement une monnaie. Il s’agit d’un argument venu du fond des âges, contestant la légitimité d’un État à émettre une monnaie, et proposant, même si ce n’est pas dit explicitement, le retour aux « monnaies-marchandise », c’est-à-dire à un système où l’on troque toute marchandise ou tout service contre les marchandises génériques, standardisées, que sont l’or ou l’argent-métal.

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