« C’est seulement une affaire de 15 milliards ! », par Zébu

Billet invité.

« C’est seulement une affaire de 15 milliards ! »

A lire cette phrase, on se croirait écouter les propos de quelques nababs engoncés dans leurs fauteuils en cuir dans quelques salons d’hôtels forcément luxueux, discutant ‘bizness’ et jonglant avec les milliards comme les clowns sur la piste de cirque pourraient jongler avec des quilles au sujet d’une affaire mystérieuse mais somme toute banale, comme elles le sont toutes pour ces hommes un peu ‘particuliers’.

A la relecture, on s’aperçoit qu’en fait c’est bien un député, M. Christian Eckert, rapporteur général de la Commission des Finances, de l’Économie générale et du Contrôle budgétaire qui parle ainsi, en pleine Assemblée Nationale, réagissant aux propos d’un autre député (d’opposition) l’interpellant sur un article en particulier :

« M. Claude Goasguen – Vous savez aussi que, parmi les pouvoirs des parlementaires, il en est un qui est inaliénable : celui de saisir le Conseil constitutionnel – une législation récente l’a d’ailleurs étendu à d’autres personnes. Par conséquent, nous accuser de vouloir le saisir parce que nous sommes parlementaires, c’est surprenant. J’en ai entendu de belles, mais jamais celle-là. Le président Carrez a souligné la faille de votre raisonnement : c’est la notion de personne morale. Le Conseil constitutionnel validera peut-être cet article, mais parler d’intérêt général quand on interdit d’ester en justice, cela ne tient pas. »

 

De quoi parle-t-on ici ? Encore et toujours de l’article 60, celui qui permet d’amnistier les banques pour quelques centaines de millions (sur 10 ans), d’obliger les collectivités locales à abandonner leurs droits à aller en justice contre la possibilité d’accéder à un fond de compensation pour solde de tout compte concernant leurs emprunts toxiques, tout en continuant à courir des risques financiers incalculables.

Et cet article, qui passe si mal pour tout ce qu’il génère et tout ce qu’il recèle, n’en finit pas de produire des boucles rétroactives ‘positives’, à savoir qu’il amplifie ses effets politiques dévastateurs : déjà, le Président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), regroupant la quasi totalité des établissements hospitaliers publics en France (1000), a envoyé un courrier (à télécharger à droite sur la même page) adressé à tous les chefs d’établissement et les enjoignant à ester en justice concernant leurs emprunts toxiques et ce avant le 31 décembre 2013, avant que la loi de Finances ne soit promulguée !

Dans ce courrier, Frédéric Valletoux rappelle que les établissements hospitaliers publics sont exclus du fond de compensation mais seront aussi frappés par la loi de validation rétroactive éteignant leur capacité à aller en justice et souhaite ainsi … l’invalidation par le Conseil Constitutionnel de cet article, n’hésitant pas à appeler à cesser de verser aux banques les échéances dues, car ce seront bien les intérêts des établissements mais aussi des assurés sociaux qui en seront victimes.

Certes, M. Valletoux est un opposant politique au gouvernement actuel mais en tant que fils de l’ancien vice-président du directoire de Dexia, il a sans doute quelques bonnes raisons de manifester son inquiétude …

Jusqu’où donc ira le pouvoir exécutif pour défendre le statu quo et sauver la mise aux banques ?

A priori, jusqu’au bout, à lire M. Eckert, qui laisse clairement sous-entendre que ces quelques malheureux 15 milliards ne valent pas une saisine du Conseil Constitutionnel ni un tel raffut politique.

Et comme pour l’Affaire Kerviel (encore une autre affaire, de 5 milliards ‘seulement’ cette fois), la faute à pas de chance, la faute au lampiste ou la faute à tout le monde et à personne : pas de quoi fouetter un chat …

Les plus hautes institutions juridiques, Cour de Cassation pour l’Affaire Kerviel, Conseil Constitutionnel pour ‘l’Affaire de l’article 60’, auront à se prononcer et à dire si ces affaires ne sont pas seulement que des affaires de gros sous mais bien plus à voir avec l’état, déliquescent, de notre justice, de nos élus du parlement et du pouvoir exécutif face au pouvoir des banques.

Elles auront à se prononcer et à dire si nous sommes toujours dans ce clair obscur qu’est la démocratie ou si nous avons commencé à basculer irrémédiablement vers les riantes contrées de la féodalité bancaire.

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