Che sarà, sarà … (article 60, devenu 92 de la loi de finances 2014), par Zébu

Billet invité.

Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel a invalidé les deux tiers de l’article 60 de la loi de finances 2014, devenu entre-temps l’article 92, qui proposait rien moins qu’une amnistie pour les banques ayant délivré des emprunts toxiques aux collectivités locales, entre autres.

Cette invalidation ne remet pas en cause la création d’un fonds de compensation créé par l’État, un fonds ‘abondamment’ alimenté par l’État et les banques à parité à hauteur de 100 millions d’euros pendant 10 ans, quand dans le même temps le montant total des créances toxiques avoisine les (seulement) 15 milliards d’euros.

Par contre, les deux dispositions suivantes ont été invalidées (déclarées inconstitutionnelles) et c’est bien celles-ci qui permettaient l’amnistie des dites banques en question.

En premier lieu, la validation législative, c’est-à-dire la suppression rétroactive par le législateur de ce qui produisit la condamnation de Dexia le 08 février 2013 par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, pour défaut de TEG (Taux Effectif Global) sur les contrats de prêts ‘structurés’, est invalidée. Ce qui signifie très clairement que les quelques 200 collectivités locales et autres organismes, concernés par les emprunts toxiques ayant porté l’affaire en justice pour défaut de TEG, pourront toujours continuer à plaider leur cause devant les tribunaux et donc à bénéficier du rapport de force entre prêteurs et emprunteurs pour renégocier leurs prêts avec les banques concernées, comme d’ailleurs bon nombre de collectivités locales l’ont déjà fait avec certaines banques mais pas avec Dexia ni la SFIL, structure publique garantie par l’État reprenant les créances pourries de Dexia. En ce sens, si le Conseil Constitutionnel ne reconnaît pas une entrave à la libre administration des collectivités locales par la création du fonds de compensation par l’Etat, c’est bien parce que justement les collectivités locales sont libres de choisir entre bénéficier du dit fonds tout en annulant le contentieux ou de poursuivre le contentieux en justice afin de préserver des capacités de négocier un arrangement à l’amiable, voir de faire reconnaître en justice leur bon droit face aux banques et d’imposer l’application d’un taux d’intérêt dit ‘légal’ (à 0,04%) en lieu et place de l’absence de TEG sur leurs contrats.

En second lieu, justement, la décision annule aussi la modification du Code de la consommation concernant la substitution du taux légal d’intérêt (à 0,04% en 2013) au taux d’intérêt du contrat lorsque celui-ci n’apparaît pas sur les contrats, par un taux d’intérêt bien plus avantageux pour les banques, afin de limiter les ‘risques systémiques’ dans l’esprit du législateur qu’une telle disposition faisait courir aux banques concernées : des pertes financières. Et là encore, la validation législative (l’effet rétroactif) est rejetée.

Le Conseil constitutionnel rappelle à point nommé, dans le commentaire de sa propre décision, un des fondements constitutionnel français, l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Quels droits effectivement si la Constitution ne permet pas aux citoyens de se prémunir de l’arbitraire qui viendrait frapper de son pouvoir les règles du jeu social selon ses besoins, d’interdire à ceux-ci de recourir à la justice pour des faits définis comme délictueux hier mais devenus légaux par la grâce du pouvoir aujourd’hui, sans garantir que ceux qui surviendront demain ne le seront pas eux aussi ?

Quelle séparation des pouvoirs déterminée entre le pouvoir politique et le pouvoir financier si ce dernier impose au premier de subvenir à ses défaillances quoi qu’il en coûte aux États et à leurs citoyens, mais aussi de garantir ses propres créances pourries, faisant du pouvoir politique l’homme-lige du pouvoir bancaire, à la fois fondé de son pouvoir et fondu par son pouvoir de nuisance ?

Le Conseil constitutionnel a donc une évidence de droit : on ne peut pas amputer du droit d’aller en justice quelqu’un qui n’est en aucun cas concerné par le sujet, ce qui est le cas de l’article 92, par trop imprécis et trop vaste puisqu’il incluait l’ensemble des personnes morales dans sa loi de validation législative, soit concrètement l’impossibilité pour des entreprises, par exemple, de porter en justice une affaire d’absence de TEG mentionné sur des contrats, alors même que le droit oblige les contrats à le mentionner.

Plus profondément, c’est bien la remise en cause de la caractéristique même de l’intérêt général dont le gouvernement se prétendait porteur que le Conseil a sanctionné, jugeant que le risque défini par le gouvernement dans la loi ne correspondait pas aux critères de la loi de validation. Pourtant, lors des observations du gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel par les 60 députés, celui-ci n’a pas ménagé ses efforts pour accréditer sa thèse du ‘risque systémique’ qu’une absence de loi de validation viendrait provoquer, tant pour le système bancaire que pour l’État : un Armageddon financier, l’Apocalypse Now de demain.

« En cas de pertes, il devra donc intervenir pour soutenir ces établissements :

Dès le premier trimestre 2014, une recapitalisation de la SFIL sera nécessaire à hauteur d’au moins 2 Mds€ pour compenser la provision qui devra être enregistrée dans ses comptes pour couvrir les pertes liées aux contentieux déjà engagés (dont 600M€ à 1 Md€ liée à la seule erreur de TEG couverte par le III.) ; au-delà, de nouvelles recapitalisations de la SFIL qui pourront atteindre au total 14,3 Md€ correspondant, d’une part, à 7,3 Mds€ de pertes potentielles liées à la totalité des prêts susceptibles de se voir appliquer la jurisprudence du TGI de Nanterre et d’autre part à 7 Md€ de pertes liées à la mise en extinction de la SFIL, seront nécessaires ;

– S’agissant de Dexia, le risque lié à l’absence de validation atteint 2,7 Mds€ (dont 1,1 Md€ lié à la seule erreur de TEG couverte par le III.). Compte tenu de la trajectoire prévisionnelle de fonds propres de Dexia, tendue notamment du fait des nouvelles règles prudentielles Bâle III et des exigences nouvelles liées à la mise en place de la supervision européenne, une recapitalisation d’un montant équivalent de 2,7Mds€ sera donc nécessaire pour reconstituer un coussin de sécurité équivalent.
A défaut d’une reconstitution des fonds propres, la poursuite de la mise en extinction de Dexia serait compromise, avec un risque ultime d’appel à la garantie des Etats (encours actuel de titres garantis supérieur à 30Mds€ pour la France). Les Etats ne pourraient pas se permettre un tel scénario et devraient donc impérativement recapitaliser.

Compte tenu des engagements financiers de l’Etat à l’égard de ces deux établissements, les pertes financières majeures qui résulteraient de l’application de la jurisprudence affecteraient directement les dépenses budgétaires de l’Etat dès 2014. »

Malgré donc les sommes exhibées par le gouvernement dans ses observations, de plusieurs dizaines de milliards d’euros, le Conseil constitutionnel n’a pas jugé qu’il existait un ‘péril’ si impérieux qu’il devenait impératif de subvertir tous nos principes juridiques et notre contrat social.

De fait, la loi d’amnistie pour les banques et sans doute aussi d’impunité pour le futur, étant donné ‘l’aléa moral’ que de telles dispositions législatives auraient produites, sont caduques telles que la loi les présentaient.

Néanmoins, et comme le permet la Constitution, le gouvernement peut sur la base des motivations de la décision du Conseil Constitutionnel reformer des dispositifs législatifs ‘stabilisés’ juridiquement qui permettront de représenter par la fenêtre ce que le gouvernement n’a pas pu faire rentrer par la porte.

D’ores et déjà, le gouvernement s’y prépare.

Il lui faudra néanmoins répondre à la notion de l’intérêt général suffisant pour qu’il puisse faire passer une loi de validation législative, certes plus adaptée au sujet (restreinte aux organismes concernés, aux prêts structurés), mais devant répondre aussi à un certain nombre de pré-requis.

Plus largement, le gouvernement devra surtout tenir compte de l’agacement visible du Conseil constitutionnel et exprimé publiquement lors de ses voeux au Président de la République le 06 janvier 2014 :

« Dans les responsabilités qui sont les siennes, je constate que le Conseil constitutionnel a en effet aujourd’hui à connaître de lois aussi longues qu’imparfaitement travaillées. Il fait face à des dispositions incohérentes et mal coordonnées. Il examine des textes gonflés d’amendements non soumis à l’analyse du Conseil d’État. Il voit revenir chaque année, notamment en droit fiscal, des modifications récurrentes des mêmes règles. Bref, il subit des bégaiements et des malfaçons législatives qui ne sont pas nouvelles mais sont fort nombreuses. Pire, le Conseil n’a pu que relever en 2013 un mouvement qui apparaît préoccupant. C’est celui de la remise en cause de l’autorité de la chose qu’il a jugée. »

Et plus directement, il vise les dispositions de … validation législative, celles que le Conseil Constitutionnel vient justement d’invalider le 29 décembre 2013 pour l’article 92 de la loi de finances 2014, même si ce rappel concerne plus spécifiquement sa jurisprudence en matière fiscale (2012, puis 2013) :

« L’article 5 de la Constitution dispose que vous veillez au respect de la Constitution. Le Conseil constitutionnel sait pouvoir compter sur votre action pour faire respecter cette Constitution et donc ses décisions. Plus généralement, il forme de grands espoirs dans la volonté que vous avez manifestée de dispositions législatives mieux préparées, plus cohérentes et désormais stables. Le pays attend en la matière une action déterminée.

A la place qui est la sienne, le Conseil constitutionnel se doit de prendre part à cette action. Il a, à cet effet, précisé en 2012 sa jurisprudence sur la rétroactivité de la loi et développé en 2013 sa jurisprudence sur la protection des situations légalement acquises et sur la remise en cause des effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Nos concitoyens peuvent avoir une légitime confiance dans la stabilité et l’approfondissement de ces jurisprudences. »

En clair, M. le Président, remettez de l’ordre dans votre gouvernement. Et dans vos lois.

Bercy est ainsi prévenu mais il n’est pas dit que celui-ci lâche si aisément le morceau, étant donné les enjeux systémiques, ou cataclysmiques selon le gouvernement, que représentent les emprunts toxiques aux collectivités locales … pour les banques, comme pour l’État, le garant de celles-ci.

Comme dans les bons films, on verra bien qui a le dernier mot.

À la FIN.

Che sarà sarà,
What ever will be, will be,
The future’s not ours to see,
Che sarà sarà,
What will be, will be.

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