Une démonstration de gratuité : 180.000 km de chemins de randonnées créés par des bénévoles, par Jacques Seignan

Billet invité

La France est sillonnée de chemins de randonnées. En principe, pas besoin de cartes : il suffit de suivre des marques discrètes (1), peintes sur des arbres, rochers ou tout autre support, qui indiquent à chaque bifurcation le bon chemin à suivre. Mais il est agréable d’avoir en plus les belles cartes IGN. Évidemment, un GPS est non seulement inutile mais incongru… pourtant c’est devenu possible. Dommage, car quel plaisir de s’orienter et de se perdre (un peu). Quelques chiffres donnés par la Fédération Française de Randonnée : 180.000 km de sentiers balisés, 192.000 adhérents dans environ 3.400 associations et environ 20.000 bénévoles (2) qui créent, balisent et entretiennent cet immense patrimoine gratuit et public. La randonnée pédestre, ou la simple marche dans la nature, se développe de plus en plus. C’est un mouvement positif, irréversible et exemplaire.

Positif, car il nous ramène à notre simple humanité, le primate bipède. Dès notre plus jeune âge nous marchons, mais ces sentiers peuvent nous faire redécouvrir la marche et bien d’autres choses. Prenons par exemple la forêt. J’étais incapable de reconnaître les arbres – charme, tilleul ou hêtre… à part quelques-uns, tels chêne ou bouleau. Surpris, j’ai réalisé que je savais plus ou moins plein de trucs sur des tas de machins, mais que je méconnaissais en pratique tout un chapitre du vocabulaire français, et avec lui, tout un savoir. Ainsi des interactions naturelles deviennent-elles plus évidentes en marchant en forêt. Dans les livres pour enfants, des images montrent un arbre, un champignon… Ces représentations qui nous semblent, à nous citadins, aller de soi, sont illusoires. Le « champignon » dessiné dans les livres, c’est la partie reproductrice apparaissant en automne pour disséminer des spores. Ces champignons (dit vrais ou « Fungi ») sont d’immenses réseaux de très fins filaments souterrains, le mycélium. Ces filaments sont entremêlés, en symbiose, avec les plus fines radicelles des arbres. Ces échanges sont vitaux et furent longtemps méconnus. Arbres et champignons, d’autres organismes vivants, insectes, vers, bactéries, oiseaux, etc. forment un système écologique que nous appelons une forêt. D’autres types de champignons, dits saprophytes, contribuent au recyclage des arbres morts. Une fois encore comme pour les arbres et si tardivement sur le terrain, j’ai ressenti la grande variété des champignons : formes et couleurs si diverses et, fantaisie de la nature, souvent des formes phalliques pour ces organes éphémères de reproduction.

Mouvement irréversible ? Quand on y a goûté, on continue. Un réel besoin explique ce succès croissant de la marche à pied. C’est simple à comprendre. Nos écrans, nos systèmes complexes, notre Internet sont omniprésents et envahissants (de notre plein gré !). Certes nos bois et forêts (en Europe) sont tous artificiels depuis des siècles – comme tous nos paysages – et, grâce aux gardes de l’ONF (3), ils sont parfaitement entretenus et généralement exploités. Indubitablement comme je l’ai évoqué, il n’y a rien de plus complexe qu’un système écologique mais cette complexité est en continuité avec la nôtre, pas une source potentielle d’oppression. Marcher donne un sentiment de joie car on maîtrise les distances, on progresse dans la réalité. Par exemple, aller à pied d’Hendaye à Saint-Jean de Luz ; monter à La Rhune et admirer le Pays basque. Chacun devrait faire cette expérience d’aller marcher quelques heures pour joindre deux endroits familiers souvent reliés en voiture. Une façon de s’approprier l’espace et se rasséréner. Gratuitement.

Enfin, ce mouvement est exemplaire. Il démontre la force des associations de bénévoles. Cet énorme travail est fait pour le plaisir des autres ; sûrement les baliseurs des GR et PR en tirent également des satisfactions, mais en étant de généreux donateurs. Un cercle vertueux s’amorce. Si l’on suit un sentier et que l’on trouve une canette ou un papier, il est impulsif de les ramasser. Un tout petit début pour la grande mission : nettoyer la Pachamama, notre Terre-Mère ! Nous entr’apercevons ainsi un autre mode d’échange que celui basé sur la marchandisation universelle. Il n’est pas anodin que la création de ce vaste réseau de sentiers ait débuté en 1947, une époque de reconstruction. Ce legs est comme un message d’espoir: tracer de nouvelles voies.

(1) – GR (Grande Randonnée), balisés en rouge et blanc ; GR pays, en rouge et jaune ; PR (Promenades & Randonnées), en jaune.
(2) – avec quelques comités ayant 1 à 3 salariés.
(3) – ONF, Office National des Forêts, eux aussi agressés par une politique néolibérale « travailler plus avec moins de moyens » : suicides à l’ONF.

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