Billet invité.
Une étrange découverte vient d’intervenir au Japon : « il n’y a pas de plancher au rendement de la dette ! », se sont effarés les analystes, constatant que la Banque du Japon vient d’acheter des titres au rendement négatif, acceptant en conséquence de perdre de l’argent… C’est à ce prix que la banque centrale poursuit sa politique de création monétaire destinée à sortir vaille que vaille le pays de la déflation.
Les banques japonaises ne s’en plaignent pas, qui en profitent pour acheter sur le marché des titres à rendements positifs pour les revendre assortis de rendements négatifs à la Banque du Japon. L’État non plus, qui finance grâce à cette dernière son énorme déficit budgétaire, son budget atteignant le double de ses recettes fiscales. La banque centrale japonaise roule une dette publique en rapide progression, l’État devenant de plus en plus vulnérable à une éventuelle hausse des taux. Celle-ci risque d’intervenir lorsqu’il faudra se rendre sur le marché international, dès que la Banque du Japon, les banques privées et les fonds de pension ne la financeront plus dans son intégralité. L’incidence de l’évolution des taux de la Fed, promis à être relevés à une date faisant l’objet de toutes les interrogations, en donnera le signal. A moins que la Fed ne s’y résolve pas, condamnée alors à poursuivre sa mission d’assistance, qui deviendrait une composante structurelle du fonctionnement du capitalisme, l’expression achevée de sa fuite en avant…
Les Européens se sont déjà habitués à ce que certains titres de la dette souveraine entrent en territoire négatif (expression soulignant qu’à partir de là c’est l’inconnu), pas seulement pour l’Allemagne mais aussi dans le cas de la France, dont un éminent membre de la Fed, Richard Fischer, vient pourtant de déclarer qu’elle est « extrêmement faible ». Il a été abondamment relevé que le paradoxe n’est qu’apparent, la BCE veillant au grain en cas de dérapage, en application d’une politique d’achat de titres de même nature que ses consœurs, à ceci près qu’elle n’a pas eu besoin de mettre sa menace à exécution.
Un quotidien pro-business en mal de scoop annonçait avant-hier une dégradation de la note de la France par Moody’s, qui n’est pas intervenue; mais les marchés, imperturbables, n’en ont eu cure. Que se passe-t-il donc du côté de la dette publique, qui nous vaut de tels comportements ? Décidément, elle est le siège de phénomènes déconcertants qui suscitent des préconisations hors normes.
Pourvues de pouvoirs magiques auxquels il est fait appel en dernier ressort, les banques centrales sont appelées à la rescousse. Non seulement pour acheter à perte la dette publique, comme c’est le cas au Japon, mais aussi pour l’escamoter purement et simplement, à suivre les préconisation d’Adair Turner, installé dans son rôle d’iconoclaste, qui envisage que la banque du Japon en vienne faute de mieux à annuler une partie de la dette en sa possession, c’est à dire à la restructurer à ses dépens. Il est aussi proposé à ces institutions d’en garder indéfiniment les titres dans leurs livres, en s’accommodant de l’accroissement de la taille de leur bilan qui en résulte. Cette méthode est cousine de la dette perpétuelle, qui n’est jamais remboursée et que le Royaume-Uni a émise pour financer son effort de la seconde guerre mondiale… A situation extrême, solution nouvelle, n’y arrivons-nous pas ?
Les péripéties de l’affaire de la dette argentine sont toutes aussi étranges. Les autorités les plus responsables cherchent à écarter par de nouvelles mesures réglementaires les fonds vautours, ces empêcheurs de tourner en rond dont l’action pourrait faire obstacle à des restructurations ordonnées de la dette publique, quand faire la part du feu devient l’expression de la sagesse, et surtout de l’intérêt bien compris des investisseurs. En moins charitable, ces mesures visent aussi à couper court aux velléités d’instauration d’un tribunal international de la dette dont la mission serait de prononcer des remises de peine. Il est indispensable, a-t-on compris, que la dette publique continue de rendre un service décisif : à tout prendre, on lui demande moins d’être profitable que de rester solide comme un roc, tel un actif de référence et point d’appui du système financier, et pour cela de faire confiance au marché – un quarteron de mégabanques et les banques centrales – pour en déterminer le prix par tous temps.
A ce propos, les conseillers d’Aléxis Tsipras, le leader de Syriza (présenté par le Financial Times comme se préparant à exercer la charge de premier ministre), ont élaboré une proposition qualifiée d’ingénieuse par le journal. Au lieu de continuer à appeler dans le vide à une conférence européenne sur la dette, leur idée est de lier l’intérêt de la dette et le taux de croissance de l’économie du pays, partant de la constatation que 80% de la dette grecque est détenue par des institutions publiques, et que son taux est de 175% du PIB, ce qui rend de toute façon inévitable une restructuration.
Il est proposé de procéder à un échange des titres émis en faveur de nouveaux titres indexés sur le PIB, afin de donner à leurs détenteurs publics une incitation à stimuler la croissance du pays, ce qui donnera les moyens de les rembourser : tout se tient. Assorti d’une réduction de moitié des intérêts de la dette (10 milliards d’euros annuels actuellement), permettant selon les inventeurs de cette formule de consacrer des ressources à l’amélioration des conditions de vie des Grecs, qui en ont bien besoin, et à la relance de la croissance. Ainsi que d’intéresser la partie pour les investisseurs en accroissant le rendement de la dette, si la croissance repart comme prévu.
Sans doute faut-il faire la part des intentions politiques pour critiquer ce nouveau mécanisme. Par convenance, il est destiné à éluder une réalité qui ne se borne pas aux frontières de la Grèce, de l’Italie, ou même de l’Europe toute entière, ainsi qu’à tirer des plans sur une relance de la croissance peu documentée et fort conventionnelle. La dette japonaise, pour y revenir, à dépassé le taux de 200% du PIB, si l’on s’en tient à ce critère par ailleurs absurde mais dont l’usage prévaut à tort ! Qui dit mieux ? L’Italie prend le chemin du Japon, son ratio de dette continuant à croître inexorablement et allant atteindre cette année 137,5% (il était de 103,3% en 2007), faute d’une toujours aussi problématique croissance. Mais la BCE ne pratiquant pas la politique de la Banque du Japon, cette tendance va vite devenir insoutenable. Devant cette réalité, il ne sert à rien de se voiler la face. Il n’y a que deux options, effacer la dette par le biais d’achats de la BCE ou la restructurer. Car les réformes structurelles qui sont avancées ne seront jamais en mesure de produire un effet équivalent par la vertu de la croissance qu’elles sont supposées générer, qui n’interviendra que quand il sera trop tard !
Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, vient de mettre en garde Mario Draghi dans Der Spiegel. Les dernières mesures de la BCE favoriseraient les banques aux dépens des contribuables, analyse-t-il. Ce qui, on en conviendra volontiers, n’est pas mal pensé ! Mais c’est pour proposer de limiter les achats de la BCE d’Asset-backed securities (ABS) à des titres assortis d’un faible risque, ce qui revient à réduire son programme comme peau de chagrin et ses effets espérés sur le crédit aux entreprises d’autant. Le membre minoritaire du Conseil des gouverneurs de la BCE fait front et donne à son attitude sa raison profonde dans la même intervention : rien ne doit soulager la pression exercée sur les gouvernements pour qu’ils réalisent les réformes structurelles. Il tourne en rond !
A l’image du système financier, la dette est devenue trop volumineuse : elle ne remplit plus ses fonctions de vache à lait en raison de ses faibles taux, et elle est de moins en moins un point d’appui à la stabilité financière, à cause du risque grandissant de défaut, aucun substitut ne lui ayant été trouvé. Alors ?
La Chine interdit les exportations vers les États-Unis de gallium, de germanium, d’antimoine et d’autres matériaux de haute technologie.