La crise russe, répétition générale pour les pays européens d’un scénario de sortie de l’euro ?, par Annie Fortems

Billet invité

Depuis le début de l’année, le rouble n’en finit pas de dégringoler et a perdu 50 % de sa valeur. En une seule journée, mardi 16 décembre, il a dévissé de 20 %. L’économie russe est ébranlée et pourrait afficher un PIB en baisse de 5 % en 2015.

Les commentateurs analysent les causes multi-factorielles de cette crise avec une lecture plutôt libérale : ralentissement économique ces dernières années, sanctions économiques, crise géopolitique et chute du cours du Brent.

Ils minimisent une force en présence qui pèse d’un poids considérable sur la monnaie et l’économie russe : la spéculation financière mondialisée. La guerre des monnaies et de l’énergie

Comme il n’y avait pas de raison, autre que spéculative, pour l’envolée des cours du pétrole ces dernières années, il n’y en pas plus aujourd’hui pour une telle dégringolade.

Dans la chute du rouble, on peut se demander quelle est la part due aux paris à la baisse sur cette monnaie, comme on l’a vu lors de la dramatique crise grecque ? Des cohortes de spéculateurs surtout robotisés sont à la manœuvre.

Il n’est pas question de légitimer la folie belliciste et les invasions du président russe. À défaut d’interventions militaires décrétées par l’ONU qui auraient conduit le monde au bord du gouffre, l’arme économique est indispensable et un moindre mal.

La plus importante sanction est certainement la restriction de l’accès de la Russie aux marchés des capitaux avec ses conséquences sur le financement de la dette du pays et des entreprises.

Causes différentes, mais même effets. Depuis 2008, la crise financière a conduit de nombreux pays à ce type de débâcle économique – la Grèce, l’Islande, Chypre, le Portugal, l’Irlande – avec les conséquences que l’on a vu : chute des monnaies, effondrement de la bourse, hausse des prix, taux d’emprunt prohibitifs et incapacité à se refinancer sur les marchés. Comme la Russie aujourd’hui. Nous avons assisté aussi à la réponse sous la contrainte de certains États : intervention du FMI, de la Troïka, renégociation de la dette, austérité…

La seule réponse inédite à la hauteur de la situation fut celle de l’Islande sous la pression du peuple : contrôle des changes, dévaluation de la monnaie de 40 %, défaut total sur la dette au grand dam des spéculateurs, autorisation de la faillite personnelle, effacement des dettes bancaires personnelles et condamnation des responsables. 2 ans après, le pays retrouva le chemin de la croissance.

Les économistes orthodoxes libéraux se sont empressés de circonscrire l’exemple islandais à son niveau local, de leur point de vue microscopique, intransférable au niveau macroscopique. Les réponses islandaise et grecque, dans une moindre mesure avec son défaut partiel de la dette, n’étant donc pas applicables à l’échelle d’un grand pays.

Aujourd’hui, nous y voilà. Le président russe ne finira t-il pas par utiliser les armes de défense massive que sont, entre autres, le contrôle des changes et le défaut sur la dette ?

Ce serait une nouvelle à la fois bonne et mauvaise.

Mauvaise, car si ces décisions permettaient à la Russie de sortir de cette crise économique en quelques années, plus rien n’empêcherait le maitre du Kremlin de continuer sa politique belliciste expansionniste. Ce qui contraindrait les occidentaux à une intervention militaire. Le président russe vient d’ailleurs de déclarer lors de sa grande conférence de presse annuelle que « la crise économique liée aux sanctions était le prix à payer pour l’autonomie de la Russie » et qu’il lui faudrait 2 ans pour redresser le pays. Il a ajouté que « l’occident se comporte comme un empire qui veut faire marcher aux pas ses vassaux ». Il aurait certes été plus rassurant de l’entendre dire que « le monde de la spéculation financière se comporte comme un empire qui veut mettre aux pas les pays, ses vassaux »

Ce serait aussi une bonne nouvelle. En effet, si la Russie mettait en œuvre les solutions hétérodoxes, sur le mode islandais, pour sortir de la crise économique et financière, et réussissait effectivement à retrouver le chemin de la croissance en quelques années tout en ayant gagner son autonomie par rapport au marché financier, ce serait la démonstration à grande échelle que le pouvoir politique peut remettre au pas de manière radicale le pouvoir de la finance. Les conséquences pourraient être rapides dans l’Union européenne : soit Bruxelles saisit l’occasion de reprendre la main sur les cassandres de l’économie libérale mondialisée qui agitent sous ses yeux et ceux des peuples européens depuis trois décennies le chiffon rouge du désastre économique qui découlerait d’une remise au pas de la finance au niveau européen, soit ce seront les tenants de la sortie de l’Euro et voire même de la sortie de l’Union européenne qui l’emporteront.

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