Interdiction des paris sur les fluctuations de prix, par Timiota

Billet invité.

Quel homme affirmerait qu’une technique mystérieuse à tous n’en est pas moins un bien pour l’humanité ?  En 1200 et quelques, voilà pour le dire un marchand de soie du Levant que croisait Marco Polo: Car lui profite de l’ignorance du fameux ver à soie dans la civilisation du couchant pour créer un échange, dont nul ne se plaint.

Mais la caravane du marchand a contracté la danse de Saint-Guy : dans le globe bien plus communiquant et capillaire du XXIe siècle, c’est la métaphore biologique de l’immunité et du virus qui prend la main. Le virus cache son information, mais en propage le principe. En 2015, alors que l’ignorance des uns autant que la connaissance des autres quant à la technique financière a maintenant pour cadre un monde immatériel — donc dépourvu d’une stabilisation naturelle par l’échange –, l’Etat français a laissé proliférer depuis 1885, et comme d’autres alors, un virus qui mute trop rapidement pour être tolérable. Nul Ebola ici, son nom s’énonce en six mots: « paris sur les fluctuations de prix« . Comme en biologie, un « bout de programme » de notre ADN de commerçant calculateur disséqué par Fernand Braudel, « programme » utile jusqu’à avoir précocement tissé des réseaux mondiaux, est devenu viralement hyperactif et épidémiologiquement nuisible.

La spéculation du type des « paris sur les fluctuations de prix« , dont parle cet appel est bien comparable à celle d’un « virus ».

Femme ou homme de la rue, n’ait crainte, cette spéculation là est du coup très loin de l’appât du gain par le cycle d’achat et vente tangible que tout un chacun fait en se croyant « au bon moment au bon endroit ». Ces pratiques sont depuis des siècles régulées au fond par des codes de commerce notamment lorsqu’un agent ou une agence tient le rôle bienvenu d’intermédiaire, au sein de rapports de force clairs et documentés.

La spéculation pathologique, celle des « paris sur les fluctuations de prix » agit, elle, comme les virus sur les cellules: ils détournent opportunément la machinerie à des moments où nous avons la tête tournée, mieux qu’un Gnafron au Guignol. Ils déclenchent des paiements bien réels, eux: une crise de production ici, une crise géopolitique là, mais encore le flot d’évènements plus mineurs dans toute activité: cela suffit pour que le mécanisme de « fluidifiant du marché » qui sert de cache-sexe à ces pratiques, devienne un abrasif rognant les efforts ou les mérites réels des producteurs (vendeurs) face aux acheteurs, corrodant l’échange, asservissant le faible dans une pseudo loi du marché. Des Gnafron bardés de chartes d’éthique n’en finissent pas moins par détourner vers une finance incontrôlée et de plus en plus prédatrice des fractions de ces échanges, armée microscopique que vient ensuite coiffer des équipes de marionnettistes autrement chevronnés, dont le métier est le rapport de force avec des états constitués, Luxembourgeois qui s’en défiscalise.

Dans le théâtre de nos vraies vies, la volonté de se prémunir d’une fluctuation est humain, très humain, et tout à fait logique dans les affaires d’une société: Avoir des contrats pour des prix dits « à terme », telle est la pratique saine dont on part, compréhensible si le « courtage » est fait en étroite symbiose avec l’objet ou la matière sous-jacente dont il est question, seule une fraction des ventes réelles pouvant s’évanouir. Mais avoir des positions « nues », c’est une pratique de pur pari, à la hausse ou à la baisse, qui exclut tout échange réel, c’est une adrénaline qu’on transforme en vertu en n’en éclairant que le côté blanc. Et dans la foulée des premières banqueroutes, elle fut sans ambages interdite en France au XVIIIe siècle, pour n’être réintroduite qu’un bon siècle plus tard, en 1885, sous la pression d’affairistes, légalisant une pratique « grise » qui se passait dans « la coulisse » de la Bourse.

Ces virus là, nous le savons maintenant depuis 2008 voire avant si l’on écoutait un Paul Jorion, ne sont hélas pas ceux d’un simple théâtre de marionnettes. Ils ont le mauvais goût de se nourrir des propres fluctuations qu’ils engendrent, au cours de cyclones financiers, ceux qui ont d’abord siphonné vers 1997 dans les pays émergents d’Asie une décennie de développement, et ceux maintenant qui dévastent un pays de l’UE comme la Grèce. Dans cette sur-amplification on aura reconnu une cousine germaine de « l’inégalité de Piketty r>g » qui aura marqué l’année 2014 intellectuellement : le mot « systémique » s’impose pour décrire la profondeur des mécanismes sous-jacents. Mais autant le remède pikettyen d’une taxation mondiale des fortunes nécessitera au mieux un très très long chemin, autant « l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix » du présent appel ne nécessite qu’un article de loi de deux lignes: quelques jours, c’est ce dont les députés auront besoin pour faire revivre ce clone moderne de l’article 1965 du code pénal modifié en 1885 cité en note.

Nous aimerions que les affaires de notre monde marchent aussi visiblement qu’au théâtre de marionnettes mais ce n’est pas le théâtre de nos vies. Notre présent doit évacuer les fumées les plus nuisibles des crises financières pour affronter les véritables crises d’envergure qui nous attendent : crise écologique, crise de complexité, question du travail pour tous, question de la culture à revisiter. Spéculer à nu nous a tués ! Faisons voter l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix! Le bienfait qui en résultera n’est pas mystérieux : c’est l’activité engendrée parl’investissement de capitaux dans une économie réelle, et pourquoi pas dans la réparation du monde cassé où nous vivrons les prochains siècles !

La finance a toussé de toutes ses quintes, les Diafoirus nous font régurgiter des graphiques qui n’inverseront plus jamais les bonnes courbes. Nous leurs disons : vous avez trop joué ; au choix avec des lames de rasoir ou avec des allumettes. Mais aucun peuple n’est une marionnette à détrousser. Sans honte, vous ne manquerez pas de nous demander une petite lampée d’adrénaline à crédit. La liste où vous piochez, elle serait à la Prévert si elle n’asséchait pas la substance de nos vies mêmes : pétrole de schiste, retraites, assurances maladies, éducation. Partout, vous tondrez tout au prétexte de trier l’ivraie des fluctuations dans l’épi des richesses faites de nos mains. Notre scénario, le théâtre de nos vie, change d’acte :

Basta l’Acte I des « paris nus ».

Rideau,

et pour l’Acte II : changement de décor, messieurs les députés !

============================================
Article 1965 du Code civil

Créé par Loi 1804-03-10 promulguée le 20 mars 1804
La loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari.

Ajout de 1885

Tous marchés à terme sur effets publics et autres, tous marchés à livrer sur denrées et marchandises sont réputés légaux.

Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui en résultent, se prévaloir de l’article 1965 du code civil, lors même qu’ils se résoudraient par le paiement d’une simple différence.

Article 421 du Code pénal abrogé en 1885

Les paris qui auraient été faits sur la hausse ou la baisse des effets publics seront punis des peines portées par l’art. 419

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta