Billet invité.
Les détails sont souvent instructifs. Le Monde daté du 5/6 juillet 2015 avait publié un cahier spécial Grèce. Il y avait, sur deux pages, deux scenarii présentés pour lundi matin : un sur la victoire du OUI et l’autre sur celle du NON. Je n’avais pas voulu lire ces anticipations avant le résultat final. Il était aisé de toute façon d’en deviner la ligne générale néolibérale qui est systématiquement suivie par ce journal possédé par trois actionnaires privés et dont les principaux éditorialistes économiques n’ont plus ni objectivité ni retenue. Dans ce quotidien anti-Syriza et anti-Tsipras, il y a encore malgré tout quelques articles plus sérieux, comme pour garder un souvenir de ce qu’était le journal de référence – par exemple, la retranscription de la remarquable interview de Thomas Piketty. Ce matin, j’ai donc lu ce cahier.
Alors le détail ? Eh bien il réside dans le scenario du NON vainqueur ce lundi et je cite le début de l’article :
« Le choc. Peu après avoir appris la victoire de justesse du non au référendum, dans la nuit de dimanche 5 au lundi 6 juillet, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, réunit les journalistes. L’heure est grave, il faut sauver l’Europe, coûte que coûte. Il appelle le gouvernement grec à prendre toutes ses responsabilités. Au même moment, à Athènes, le premier ministre, Alexis Tsipras, s’enflamme à la télévision publique. Il a gagné ( …) » . [je souligne]
Voilà le détail : la victoire du NON était envisagée par Le Monde comme ne pouvant être que « de justesse ».
Il y avait donc un 3ème scenario possible : celui qui a eu lieu, une victoire du NON que tout le monde s’accorde à reconnaître massive. Les manipulateurs obnubilés se sont pris au piège de leurs souhaits, entraînant de braves journalistes dans l’intox.
Alexis Tsipras avait perdu d’avance car même avec 51% de NON, il subissait pratiquement une défaite politique. Alors que pour le OUI, 51% auraient évidemment signifié une victoire nette.
Autre point à noter : le taux de participation a été bon. Un professeur grec expliquait à France Inter que le corps électoral compte un grand nombre de Grecs vivant à l’étranger et que le chiffre dans le pays est ainsi plus élevé que les 62,5 % atteints. Le chiffre de NON [61,31 %] est bien un grand succès malgré le matraquage médiatique inédit mis en place comme l’a souligné Panagiotis Grigoriou, au téléphone avec Paul Jorion. Nous l’avons également subi en France et cela ne devra pas être oublié. Deviendrait-il enfin contre-productif ?
L’analyse de Michel Leis est parfaitement confirmée : dans le monde réel, « les premières victimes de la propagande ne sont pas les personnes auxquelles elle est destinée, mais bien les personnes qui l’organisent ». Avec des journalistes en victimes collatérales.
Notez pour finir, la réaction imaginée pour Alexis Tsipras dans ce scénario : « il s’enflamme » car c’est bien connu « ces Grecs, eh bien, Môssieu, c’est non seulement des fraudeurs … mais aussi des excités! ». Curieux son calme triomphant, hier soir : que cachait-il donc ce « perfide Danaéen » ?
Ne boudons pas notre plaisir ! il ne saurait être plus grand devant le désarroi de certains : une bouffée d’oxygène, c’est toujours bon à prendre dans un monde où l’on cherche à nous étouffer.
114 réponses à “Propagande ordinaire : « Tsipras, ayant appris sa victoire de justesse, s’enflamme… », par Jacques Seignan”