Billet invité.
On a parlé beaucoup d’environnement à l’approche de la COP21. Trop disent ceux qui estiment qu’il est des sujets plus importants pour l’avenir, le plus essentiel restant de mettre fin au règne sans partage d’une finance courtermiste sur l’économie qui tue l’avenir à petit feu et vide de sens toute réflexion sur la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement parce qu’elle entrave, de fait, le financement des infrastructures qui sont indispensables à cette transition. Le problème est de taille, mais il n’est pas le seul sur ce sujet essentiel à être passé sous silence.
Dès que l’on parle d’environnement, il est clair en effet que l’idéologie l’emporte presque toujours sur le raisonnement lucide et informé, faute de disposer des connaissances qui permettraient de prévoir et d’évaluer avec un minimum de précision les conséquences futures des décisions prises. Nous n’avons encore en effet qu’une connaissance très imparfaite de ce qu’elles sont localement, et il faut des catastrophes naturelles (cyclones, éruptions volcaniques, incendies etc.) ou humaines (accident nucléaire ou industriel, marées noires, introduction mal pensée de matériel génétique nouveau dans un écosystème, etc.) majeures, – bien sûr non souhaitables -, pour que nous en prenions simplement conscience.
En attendant que ces connaissances scientifiques indispensables soient acquises, et les solutions technologiques pour en minimiser les effets néfastes soient identifiées et mises en place, on ne peut qu’assister, incrédule, au combat douteux pour le moment très asymétrique entre d’une part les tenants du marché, défenseurs acharnés de la croissance du PIB pour elle-même et regroupés en général sous l’étiquette de climato-sceptiques, et les écologistes défenseurs d’une activité humaine sans impact sur la biosphère, que leurs opposants regroupent pour l’occasion sous la bannière des carbocentristes. La confrontation est d’autant plus difficile à suivre que la frontière entre ces deux groupes est très floue : nombre de sociétés industrielles et commerciales ayant parfaitement compris que leur activité polluante pouvait nuire à leur image, et donc à leurs ventes, ont rallie le camp des carbocentristes. L’un des exemples les plus caractéristiques de ce flou est le World Business Council for Sustainable Development, un forum de grands industriels basé en Suisse, unanimement salué internationalement pour son action en faveur de l’environnement, mais qui a été créé par Stephan Schmidheiny, le propriétaire du groupe Eternit, spécialiste mondialement connu de l’amiante, et qui regroupe une bonne partie des multinationales les plus pollueuses de la planète. Nul n’ignore par ailleurs que nombre d’organisations non gouvernementales actives dans le domaine de la protection de l’environnement comptent ces mêmes multinationales parmi leurs principaux sponsors financiers.
Aussi longtemps que ce débat essentiel ne sera pas clos de façon irréfutable, la logique du principe de précaution voudrait que l’on s’abstienne d’engager tous les moyens disponibles sur la réduction des émissions de CO2, à une réserve tres importante près cependant : outre le fait que l’épuisement des ressources énergétiques fossiles est inévitable à terme (quelques siècles au mieux, beaucoup moins pour les experts de la collapsologie), la nocivité des émissions de CO2 pour l’homme et pour la biosphère est par contre abondamment prouvée et documentée comme le souligne par exemple Guillaume Sainteny dans son livre « Le climat qui cache la forêt » paru récemment : la pollution de l’eau, de l’air et des sols qu’elles impliquent, dont le coût social (maladies), écologique (pollution) et politique (forte dépendance de pays instables et/ou hostiles) n’est pas chiffré avec précision, mais certainement de l’ordre de plusieurs points du PNB mondial et donc du trillion de $ ou plus (on cite souvent 100 milliards d’euros pour les seules dépenses de santé induites pour la France).
La taxation du carbone est une des solutions envisagées par de nombreux carbocentristes, sincères ou intéressés, pour éviter la fournaise finale. Affirmer comme ils le font qu’il suffit de tirer argument des conséquences potentielles aussi mal connues que potentiellement dévastatrices pour créer un marche mondial unique des émissions de carbone qui résoudra tous les problèmes par la main magique des marchés n’est cependant pas aussi évident qu’ils le laissent entendre. On peut certes concevoir techniquement que ce prix puisse être incorporé au prix du brut et du gaz naturel, et transformer ainsi les producteurs et les traders en percepteurs globalisés, mais rien ne garantit que cela sera suffisant pour résoudre les problèmes que pose le réchauffement incontestable de certaines régions du globe, pour au moins 3 raisons :
– On peut douter que les acteurs des marchés auront la volonté d’entreprendre et de financer les recherches extrêmement complexes qui pourraient seules permettre de savoir si le réchauffement est uniquement d’origine anthropique, et donc de déterminer rationnellement ses causes et les investissements à réaliser pour les réduire en espérant un jour les éliminer. Pour faire court, la recherche scientifique dite fondamentale qui doit sous-tendre une telle recherche n’est en général pas la tasse de thé favorite des traders,
– Le fonctionnement actuel des marchés implique qu’il n’y a aujourd’hui plus de marché possible sans spéculations massives sur les anticipations de l’évolution de l’offre et de la demande réelle, dont les variations sur le terrain orientent au mieux en partie les cours dans la longue durée, mais qui servent surtout de prétexte à des variations infinies à très court terme (on parle ici en nanosecondes) génératrices d’écarts de cours et donc de revenus ou de pertes infinies pour les traders, dont le solde négatif, – charité bien ordonnée commençant toujours par soi même -, est bien plus souvent à la charge du secteur non financier qu’à celle du secteur financier
– Les marchés sont incapables de prendre en compte l’intérêt général, car ce n’est pas leur fonction, qui est principalement d’optimiser à un instant donné des intérêts particuliers. Or le devenir de la biosphère est la quintessence de l’intérêt général, et ne peut par nature être déterminé par des marchés dont le but constant est par ailleurs de convertir la dégradation de la biosphère en externalités négatives prises en charge par la collectivité.
Il est parfaitement logique que la perspective des profits potentiels alléchants que permettrait ce marché mondial unique des émissions de CO2 excite l’appétit du capitalisme financier multinational et, partant, de la science économique qu’il entretient pour lui servir de caution intellectuelle. Mais, outre que la spéculation sur la santé des bronches et la qualité de vie de nos descendants qui en résulterait semble être d’un goût douteux sur le plan éthique, on peut craindre par ailleurs que cette mondialisation « privée » de la gestion de l’environnement par le capitalisme financier, ne soit en fait pour une petite élite qu’une tentative de faire entrer par la grande porte vertueuse du salut du monde, une gouvernance économique et politique mondiale, qui serait idéalement réglée par des accords de type « Investor-State Dispute Settlement », qu’il est de plus en plus en plus difficile d’imposer ouvertement, les peuples victimes du chaos déstabilisateur qu’elle entraîne y devenant de plus en plus méfiants et réticents. L’opposition « vent debout des principaux pays émergents » à cette gouvernance écologique par l’argent n’est sans doute pas un hasard.
L’idée de confier aux forces vives de l’économie non financière la recherche des solutions les plus performantes pour la transition énergétique ne doit cependant pas être rejetée, bien au contraire, il s’agit simplement de ne pas se tromper de « marché » et de ne pas confondre le casino douteux des marchés financiers actuels, avec le marché fluide et transparent de la démocratie en économie.
Une façon de le faire serait sans doute de créer un marché physique de troc de quotas. Dans un tel système, on ne pourrait pas vendre une tonne de carburant fossile sans prouver au préalable avoir investi directement dans l’équivalent de la production de x kg d’énergie renouvelable (avec x par exemple < 100 au début, mais augmentant ensuite) de l’équivalent d’une tonne de pétrole prise comme référence, ou dans l’économie de x kg de l’équivalent d’une tonne de pétrole. Un réseau informatique de type Visa, qui permet déjà, entre autres, de suivre à la trace nos achats et de les transmettre à qui veut en connaître pour optimiser son fonds de commerce devrait pouvoir permettre de gérer ce genre de procédure sans créer trop de soucis pour les utilisateurs.
Cette procédure serait sans doute par ailleurs une bonne façon d’inciter à innover les principales entreprises productrices ou utilisatrices d’énergie fossile confortablement installées sur leur marché global. On parle de plus en plus d’innovation comme du sésame universel, capable de ramener la croissance et d’amorcer la pompe de la transition énergétique. Ces incantations tiennent en fait surtout du « demain on rasera gratis » pour le moment. Tous les praticiens savent depuis longtemps, en France comme ailleurs, que la croissance ne peut en effet venir que de trois sources principales : la croissance démographique, la mercantilisation d’activité gratuites, et l’innovation, l’innovation étant la plus féconde de ces trois sources, car, quand elle est technologique, elle crée plus de valeur à quantité d’intrants égale
Mais les experts savent aussi qu’à de rares exceptions près, – il faut bien confirmer la règle -, toute organisation ayant pignon sur rue est par nature averse au risque et donc réticente à l’innovation. On ne peut pas décréter l’innovation, ni contraindre à redécouvrir l’avenir des décideurs qui ne pensent qu’au résultat comptable à 3 mois, – hors prise en charge de toutes les externalités négatives environnementales et sociales -, qui va déterminer leur bonus. Mais on peut faire en sorte que l’avenir devienne un point de passage obligé du fonctionnement de leur entreprise.
On sait par ailleurs que les startups, ces petites structures créées pour promouvoir un produit ou un service nouveau, sont les vecteurs privilégiés de l’innovation, pour une raison simple : quand on part de zéro, le risque majeur n’est pas de perdre des parts de marché, mais de rester sur la ligne de départ. Ce serait une bonne chose qu’elles puissent s’appuyer sur des marchés créés par les grandes entreprises pour se lancer commercialement. Et ce serait encore mieux si les états acceptaient parallèlement de créer des « zones franches fiscales et réglementaires d’innovation énergétique », comprenant notamment une interprétation moins tatillonne du très castrateur principe de précaution, afin de faciliter la mise en marché de toute innovation liée aux économies d’énergies ou aux énergies nouvelles.
On peut toujours rêver.
143 réponses à “COP21 : Innover plus pour vivre mieux plutôt que pour maximiser la croissance du PNB et les profits, par Jean-Paul Vignal”