La démocratie aux pertes et profits, par Michel Leis

Billet invité.

Le FN n’a raflé aucune région. Une semaine après le premier tour des régionales et un mois après les attentats de Paris, certains s’en réjouiront. Voilà qui me semble relever d’un optimisme béat.

Avec une participation en hausse, le FN a su mobiliser des électeurs supplémentaires dans les régions où l’enjeu politique était fort. Qu’on ne s’y trompe pas : dans le Nord, en PACA, dans l’Est ou en Bourgogne, il y a plus de voix en nombre pour le FN au second tour qu’au premier. Pour qui en douterait, les intentions de vote des abstentionnistes ne diffèrent pas fondamentalement de celles du reste de l’électorat. Pour autant, une hypothétique victoire du FN repose sur la capacité à mobiliser au-delà de ses scores de premier tour. MLP mesure l’exact chemin à parcourir pour être élue au second tour de 2017, il est dans l’état actuel des choses un obstacle difficile à franchir.

Ce résultat conforte l’idée chez les responsables du PS et de l’UMP qu’il suffit d’être le finaliste du deuxième tour en 2017 pour remporter les élections présidentielles. C’est probable, mais pas certain. Le FN améliore tous les jours sa communication, aidé en cela par des professionnels de plus en plus aguerris. Surtout, les scores de 2017 pour le FN vont en grande partie dépendre de la capacité des partis de pouvoir à faire face (où proposer des solutions crédibles) aux enjeux économiques et sociaux, et à assurer une sécurité intérieure très menacée. On peut légitimement être inquiet en entendant les déclarations politiques du premier tour. Les appels du pied des ténors du PS pour recomposer une majorité politique sur des valeurs de « réformes » ne font que renforcer l’idée d’une convergence entre la gauche et la droite. Les discours des ténors de la droite insistaient sur la nécessité d’une autre politique sans évoquer autre chose que le retour de la croissance, le logiciel TINA reste plus que jamais d’actualité. Faire « mieux que par le passé » pour reprendre les termes de Paul Jorion paraît plus que jamais hors de portée.

La stratégie du front républicain n’est qu’une victoire de court terme. Dans une perspective plus longue, elle ressemble à une parodie, sinon un déni de démocratie, surtout pour les élections régionales. Les débats dans les assemblées régionales exclusivement occupées par les Républicains et le FN risquent de se limiter à une surenchère permanente, entre préférence nationale et enjeu sécuritaire. Ils pourraient bien contribuer à crédibiliser le discours du FN.

Le débat sur le front républicain a étouffé la nécessaire confrontation frontale avec le FN. Ne pas diaboliser l’électeur FN ne signifie pas que l’on doit l’épargner ou aller dans son sens. Le discours programmatique du FN, c’est du social à géométrie variable. Une politique qui exclut une fraction de la population n’est pas compatible avec les valeurs de solidarité et d’égalité. Des institutions qui ne s’adressent pas à tous ne sont plus démocratiques, telle personne aujourd’hui dans le cadre pourrait bien en être exclue demain.

Le Parti Socialiste a évité la déroute électorale. Il peut remercier une droite dont le discours et la ligne politique sont de moins en moins lisibles. Il a bénéficié de circonstances exceptionnelles qui lui ont permis un virage sécuritaire de dernière minute. Ce positionnement est problématique : le recours à l’état d’urgence et les projets d’extension d’un état d’exception sont à terme une menace pour la démocratie. Fonder un demi-succès électoral sur la restriction des libertés n’est pas glorieux. Quelque part, les terroristes du 13 novembre ont gagné. Les clivages se renforcent, les extrêmes gagnent du terrain, le pouvoir en place cède aux sirènes de l’exclusion.

La séquence politique qui s’achève laisse un goût amer. Une fraction croissante des citoyens semble prête à abandonner une partie des valeurs démocratiques pour défendre l’existant. Les partis de pouvoir n’ont toujours pas compris les enjeux de demain et restent dans une logique autiste. La grande perdante du jour est la démocratie.

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  1. Et donc, le scénario possible, c’est une condamnation suffisamment solide pour que Donald soit inéligible, ce qui serait en mesure…

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