Le (bon) soliton, la brute vague, et le truand (Trump), par Timiota

Billet invité.

SolitonsCherchant à penser hors des cadres usuels les évolutions qui nous harcèlent ou nous agacent, nous sommes amenés à voir comment agissent les conjonctions de plusieurs phénomènes concomitants. Dans ce cadre, le mot « soliton » a été utilisé dans un sens élargi, un peu comme le pull-over dans d’autres métaphores. Je tente ici de faire la part du soliton « d’origine », des vagues scélérates (freak ou rogue en anglais) qui ne sont pas le soliton d’origine mais agissent à l’aide d’ingrédients similaires, et je tente au passage de prendre du recul pour l’usage plus jorionnien qui est fait de ce concept, ici d’abord et plus généralement voir ici.

1) Le soliton des physiciens est une solution de l’équation des ondes en régime non-linéaire (amplitude assez forte pour que la pente de la vague ne soit pas 1 ou 2° mais disons 15° au moins), où deux phénomènes se compensent (la dispersion décrite plus bas et la non-linéarité…) de sorte que l’onde garde une forme spatio-temporelle stable (l’amplitude a une forme F(x-vt) fixée), la tendance à son éclatement par l’un des phénomènes (la dispersion) étant compensée par l’autre (la non-linéarité). Ces solitons là ont des propriétés remarquables : ils se croisent sans se détruire. Si on en tue une moitié (supposez qu’un yacht passe comme un couteau au milieu dans le sens de la longueur), quand on est assez haut au-dessus du seuil de non-linéarité, la moitié restante se reconstitue automatiquement dans la solution « soliton » au bout d’un temps pas trop long, les autres composantes disparaissant, etc.

2) De cela Paul Jorion a retenu, selon moi, l’aspect « il y a une interaction non-linéaire de plusieurs ondes qui conduit à quelque chose d’identifiable, d »émergent’, qu’on ne verrait pas autrement. Cela correspond dans son analyse aux interactions des crises de différents ordres (écologique, financière, de la complexité), qui interagissent pour perturber de façon forte et comme pas une grosse vague des champs qu’on aurait cru à peu près stabilisé ou autonomisé (le marché immobilier US ? le crédit et la monnaie? les centrales nucléaires ? la géopolitique saoudienne ? …).

3) Du coup, on a gardé ici (et pas tellement ailleurs) le mot « soliton » pour les vagues scélérates « rogue/freak waves ».

Ce qui se passe dans les ondes scélérates est la combinaison de deux phénomènes, pour moi :

D’une part, les ondes interagissant linéairement (donc point de soliton à première vue) n’en ont pas moins une statistique, avec des éléments extrêmes. Sur un million de vagues d’une houle donnée, quelle hauteur atteint la plus haute comparée à la moyenne ? x2 ? x2,3 ? etc.

Ce qui intervient dans les possibilités d’addition « un peu plus forte »–  et qui feront des queues statistiques dans l’histogramme de fréquence des différentes hauteurs de vague un peu plus gonflées — est effectivement ce que dit sur un mode suggestif Philippe Soubeyrand (même lien) : les vagues ont différentes fréquences et différentes directions, et leurs addition passe occasionnellement en régime un peu ou moyennement non-linéaire, faisant apparaitre une hauteur plus grande que ne le laisse penser la période moyenne et les hypothèses d’addition linéaires. C’est ce qui peut rendre la statistique (l’histogramme évoqué plus haut) plus forte aux fortes ondes. Mais point de « soliton » stable dans cette affaire, l’onde est aussi intermittente que l’est une bourrasque plus forte qu’une autre dans l’orage, la non-linéarité dans ce mode désordonné peut aussi bien limiter la durée que la doubler mais pas la conserver sur des km. Pourquoi parler de soliton alors ? C’est juste que les ingrédients sont les mêmes : interactions d’ondes avec des non-linéarités et des dispersions différentes (DISPERSION : nom donnée à la variation de la vitesse avec la longueur d’onde, différence pas très forte dans le cas des vagues, mais visible sur le sillage d’un gros bateau par exemple, les ondes les plus fortes ne se trouvent pas au même côté extérieur vs ; intérieur) du sillage que les plus faibles) différentes. Ajoutons à cela les courants et le vent qui agissent « par-dessous » et « par-dessus » et ne biaisent sans doute pas de la même façon les dispersions des ondes courtes et des ondes longues (par exemple si le courant est un peu plus fort sous la surface, seules les ondes longues et profondes interagissent avec le courant, avec le vent, je pense que c’est encore plus évident).

4) Recul : Bref, il y a un « monde de la complexité », où le raisonnement sur des éléments isolés pour se prémunir des extrêmes est une claire sous-estimation. Pour raisonner sur l’extinction de l’humanité, il est bon de se placer dans ce méta-cadre, les cadres individuels (finance, écologie, numérique-complexité, social, …) ratant les interactions d’intérêt.

Mais il n’y a pas de « grand mystère solitonique » là-dedans, et très rarement du soliton au sens de l’onde solitaire qu’on peut voir dans Wikipedia (solution de l’équation de Sine-Gordon ou Schrödinger non-linéaire ou Korteweg de Vries, observée sur des canaux il y a environ 2 siècles, … et reproduite avec une facilité déconcertante dans le monde des fibres optiques dès les années 1980, au point que dans les années 1990, vers Lannion, des start-up comme HighWave ont proposé de basculer au nouveau  paradigme de la transmission solitonique. Aujourd’hui, on arrive à augmenter les débits de data par des méthodes plus « linéaires » ce qui a fini par emporté la mise dans ce domaine).

Faut-il alors continuer à employer le mot « soliton » ?

Oui si nous avons simplement dans ces quelques mots que nous faisons circuler ce qu’il y a momentanément de mieux pour habiller un roi nu : roi de la radioactivité, roi de l’extraction du pétrole, roi de la génétique des OGM, roi de la chimie du glyphosate ou de la purification de l’eau à Flint, prince du havre fiscal et du pari unidirectionnel aussi. Un roi très peu citoyen et qui s’alimente de la satisfaction sélectivement écoutée des bourgeois compartimentés dans les 0,01%, 0,1% 1% … ou, comme le rappelle Michael Moore, 19% des blancs de plus de 35 ans comme le public électoral visé par Trump aux USA, composante qui est sortie du cadre de ceux qui croyaient gérer le pouvoir entre eux.

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