La régulation financière bloquée de tous côtés, par François Leclerc

Billet invité.

L’actualité financière européenne est reléguée au second plan et c’est bien dommage. Elle illustre pourtant les obstacles rencontrés par les régulateurs des banques qui s’efforcent dans la peine de terminer leur ouvrage. Simultanément, l’enterrement de la taxe sur les transactions financières se poursuit lentement mais sûrement, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe se décide à rejeter finalement les recours pendants contre le programme OMT d’achat de titres de la BCE, et l’adoption de la garantie européenne des dépôts bancaires est une fois de plus renvoyé à plus tard.

Wolfgang Schäuble continue de poser des conditions préalables à propos de l’adoption de ce troisième pilier de l’Union bancaire : « les négociations au niveau politique commenceront dès que des progrès suffisants auront été faits en ce qui concerne les mesures de réduction de risques » des banques européennes. En substance, pas question de mutualiser le risque bancaire tant que cette future garantie risquera d’être activée  ! D’autant que les caisses d’épargne et les banques mutualistes allemandes possèdent leur propre système de garantie.

Mais de quel risque parle-t-on au juste ? Dans leur ardeur juvénile, les régulateurs élaborent des mesures circonstanciées pour chacun d’entre eux – risques opérationnel, de marché, de crédit et de taux – sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans la complexité des mesures qu’ils peaufinent dans le cadre de leurs consultations avec ceux qui vont devoir les appliquer. Abordant un volet des réformes laissé en jachère – l’évaluation des risques des actifs bancaires – ils suscitent une forte réaction des banques touchées dans le vif. Jusqu’à maintenant, il était question dans la réglementation de Bâle III du seul numérateur de leur ratio de solvabilité, désormais son dénominateur est en cours d’examen. Les régulateurs s’efforcent de chevaucher ce diable indomptable avec comme résultat que le calcul des actifs pondérés présents aux bilans des banques ne va plus être laissé à la seule discrétion de banquiers juge et partie.

Pour se défendre, ceux-ci dénoncent un Bâle IV dont ils repoussent l’avènement, voulant ainsi signifier que ces nouvelles mesures sont de trop. Le sujet est des plus sensibles, car de nouvelles obligations de fonds propres pourraient en résulter, accompagnées d’une baisse de la rentabilité et de l’attractivité des activités bancaires pour les investisseurs. Signe de l’importance du sujet, l’Institute of International Finance, qui regroupe les grandes banques mondiales, est intervenu publiquement sur le sujet en proposant d’améliorer les modèles internes des banques afin d’éviter l’instauration de modèles standards, le pire.

Il est toutefois non seulement question d’homogénéiser ces calculs, afin de permettre des comparaisons entre banques et de se garantir contre toute sous-estimation du risque par leurs soins, mais également d’y voir clair dans le classement accommodant des actifs dans le trading book ou le banking book, où sont classés les actifs conservés jusqu’à maturité, contrairement à ceux qui le sont dans le premier, dont la valeur doit être évaluée à la cote du marché.

Enfin, l’appréhension d’un dernier risque est fortement en question, non sans sous-entendus politiques. Non pas le risque de réputation, sur lequel il n’y a plus d’illusions à se faire, mais celui du risque souverain qui mesure les aléas du remboursement de la dette publique. En demandant qu’il soit pris en compte, le gouvernement allemand entend obtenir que les banques se délestent des titres de leur dette publique nationale, laissant les gouvernements vulnérables face au marché mondial et dans l’obligation de réduire leurs appels à celui-ci en diminuant leur endettement.

Dans ce contexte où les dirigeants allemands mènent la barque, la décision de leur Cour constitutionnelle d’accorder un blanc-seing à la BCE par rapport à son programme d’achat de titres souverains OMT, qui a joué son rôle sans avoir besoin d’être activé, pourrait sembler détonner. L’indépendance des juges étant une notion trop sacrée pour qu’elle puisse être mise en question par un modeste chroniqueur, que reste-t-il comme explication ? Qu’il n’y a aucun risque à valider ce programme car il ne sera jamais activé, ou bien au contraire qu’il faut laisser à la BCE l’opportunité de le faire si la situation devait déraper ? S’il est permis, laissons aux juges de Karlsruhe le bénéfice du doute et de la clairvoyance et entérinons qu’ils pensent de bonne politique de garder sous la main un ultime rempart. Ce qui conforte l’hypothèse d’un nouveau dérapage dans l’avenir. Au vu des dysfonctionnements enregistrés et du blocage en de la régulation, peut-on leur reprocher ?

Mercredi, la BCE va lancer le premier d’une série de quatre prêts d’envergure très avantageux destinés aux banques européennes. Il était temps de soulager toutes celles qui ploient sous le poids des prêts non performants, dont la restructuration financière et la concentration va s’étaler dans le temps.

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