Hier soir, je ne me trouvais pas sur la promenade des Anglais, par Isabelle Joly

Billet invité.

Hier soir, je ne me trouvais pas sur la promenade des Anglais à l’heure où ce camion fou a foncé dans la foule, semant la mort et la terreur en ce jour de fête nationale.

En général, à cette heure et à cette date je me trouve sur la promenade des Anglais pour attendre le feu d’artifice, au niveau où ce camion fou a foncé dans la foule, semant la mort et la terreur.

Le feu d’artifice de Nice n’est pas le plus beau, même des petites villes peu éloignées, comme Cagnes sur Mer par exemple, en programment de plus beaux, selon moi.

Mais cela reste un lumineux spectacle qui se mire dans la mer. Les familles, les amis, les fêtards, se massent sur les plages, s’asseyent sur les bordures blanches qui longent la promenade, les orchestres de la « prom party » interrompent leur concert pour laisser la place aux pétarades des fusées allumées depuis des bateaux sur la mer.

Je n’aime pas la foule haineuse, je l’aime bien quand elle est paisible. La promenade s’étend sur des kilomètres, la foule a de quoi s’étaler, elle est familiale, vacancière, joyeuse.

D’accord, la Révolution française n’a rien réglé, elle est à refaire et à achever, mais j’aime bien rendre hommage au peuple qui s’est soulevé, s’est battu. Donc en général, seule ou avec des amis, j’y vais.

Et hier soir non. Je n’avais pas très envie d’y être. Je suis sortie tôt, une promesse de concert sur la place Masséna, où je me suis lassée d’attendre qu’il commence, une prom party qui ne devait débuter que beaucoup plus tard, un coffret de conférences de Michel Onfray sur Hannah Harendt qui questionnent le totalitarisme, et des débats sur le blog de Paul Jorion qui m’intéressaient et j’ai décidé de rentrer.

Je ne sais pas si Paul Jorion, ce lanceur d’alerte non encore emprisonné, obtiendra à la suite de son acharnement une prolongation de l’espérance de vie de l’humanité, hier soir, en tout cas il a contribué d’une certaine façon à prolonger la mienne.

Je suis reconnaissante surtout d’avoir échappé à la vision de ces gens écrasés, à la panique de la foule, ce monde sature d’horreurs. Ne pas les subir soi-même aide à préserver sa sensibilité et garantit mieux une réflexion basée sur la raison, et non sur une colère, juste, mais pourvoyeuse de haine et de réflexes déshumanisants.

J’ai fait un tour en ville ce matin, tout le monde parle de ça. Où il était, pourquoi il y était, ou pourquoi il n’y était pas, ceux qui l’ont su après tout le monde, parce qu’on a cherché à les joindre hier, alors qu’ils dormaient déjà. Ce Tunisien, qui a « passé plus d’années en France qu’au bled, qui était trop fatigué pour aller voir le feu d’artifice avec ses quatre enfants, qui sent l’hostilité contre lui comme jamais, et qui voudrait y rentrer, en Tunisie. »

Cette personne qui connaît bien les quartiers « sensibles » parce qu’elle y a travaillé longtemps, le prédit depuis longtemps : « Ils nous haïssent tellement, ces gens-là, tu ne peux pas imaginer comme ils nous haïssent », elle qui les aime et qui leur a beaucoup donné, des cours de danse et de soutien scolaire, et reçu, quand vous donnez vous recevez au centuple, même si ce n’est pas pour ça que vous donnez. Elle ajoute, « Si on va sur internet, il faut voir ce qui y est dit, prenez une voiture, foncez sur ces mécréants, c’est pas étonnant ce qui arrive ».

Ceux qui étaient loin de la scène de panique, mais dont les informations qui circulaient racontaient tout et n’importe quoi, et qui pris dans des mouvements de foule, couraient un enfant dans chaque main, et qui tombaient, sans savoir vraiment où ils allaient. Des gens se sont mis à courir alors qu’ils étaient à des kilomètres de l’endroit où ça se passait.

Ça parle dans toutes les langues, cet Italien qui demande « où sont les soi-disant deux mille policiers qui nous protègent, et pourquoi ils n’ont abattu le chauffeur qu’en bout de course, et non pas au début. » On entend des histoires, cette femme qui est allée chercher sa mère à l’aéroport à cinq heures de l’après-midi, alors que ça faisait cinq ans qu’elle ne l’avait pas vue, et maintenant, sa mère, elle est morte.

Tout le périmètre de la promenade est fermé. Gageons qu’avec la saison de tourisme qui bat son plein, elle retrouvera assez vite son apparence familière.

La question que je me pose, c’est que faire de ce temps supplémentaire qui m’a été accordé hier soir… En profiter pour vivre pleinement, dire à ceux qu’on aime qu’on les aime, chercher des moyens de lutte plus efficaces.

Essayer de contribuer à sa façon au blog de P.J., en espérant que son travail acharné portera ses fruits, c’est peut-être ce que je peux déjà faire ce matin….

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