LE TEMPS QU’IL FAIT LE 9 DÉCEMBRE 2016 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 9 décembre 2016. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 9 décembre 2016. Au début de l’été, j’avais reçu un mail d’un représentant des ventes de chez Fayard qui m’avait dit : « Ah, ça baisse, mais il ne faut pas s’inquiéter : sur les plages, les gens n’emmènent pas des livres du genre Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». Et je lui avais dit : « Bon, vous savez, je ne m’inquiète pas et je crains malheureusement que l’actualité de ce livre ne se démentira pas bientôt, c’est ma crainte ! » Alors j’avais dit ça avant même que Monsieur Trump ne se présente à la présidence, aux élections présidentielles [aux États-Unis] et qu’il l’emporte.

Le Wall Street Journal faisait remarquer, hier, que le gouvernement qu’il va mettre en place ressemble plus à une junte militaire qu’à un gouvernement dans un pays démocratique. Alors, pour que le Wall Street Journal dise ça, c’est que c’est vraiment inquiétant. En effet, Monsieur Trump récolte comme ministres des gens qui en général ont été virés de l’armée pour leurs opinions délirantes du genre Docteur Folamour. Alors, si on a ça à la défense et si on a ça à l’équivalent du ministère de l’intérieur, et on a ça aussi à l’environnement où on nomme un climato-sceptique, ça va être joli. Et voilà, donc ce ne va pas être ça qui va faire baisser les ventes de Le dernier qui s’en va éteint la lumière, malheureusement. 

En France, eh bien les choses se décantent. Vous vous souvenez que Monsieur Piketty a fait une campagne, très récemment, disant qu’il fallait voter pour Monsieur Juppé à la primaire de la droite.

Je ne sais plus s’il avait dit qu’il faudrait voter pour Monsieur Juppé aux élections au 2ème tour, quand il se présenterait face à Madame Le Pen. Mais le fait est que ce n’est pas Monsieur Juppé qui se trouvera là. Les électeurs, enfin les gens qui sont allés voter pour la primaire, ont choisi quelqu’un qui représente une droite bien libertarienne : pas seulement conservatrice, mais aussi dans le sens de ce que nous ont vendu Messieurs von Mises, Von Hayek, Friedman, Rothbard et compagnie, c’est-à-dire, ce que j’appelle le « fascisme en col blanc ». 

Vous avez vu, on m’a posé des questions à France Culture, c’était quoi ? avant-hier ? c’est cette distinction que je fais, c’est très américain – il y avait un livre de sociologie célèbre avant la guerre White collar, blue dollar – cette distinction entre les gens qui ont un col bleu et un col blanc. Les gens qui ont un col blanc, j’y faisais allusion, ne trouvent pas très chics les gens qui ont un col bleu. C’est pour cela que je faisais cette distinction entre fascisme en col bleu qui serait le fascisme à l’italienne, le national-socialisme allemand, des choses de cet ordre là et un fascisme « distingué », le fascisme des « gens chics », c’est l’expression qui m’est venue, et qui, voilà, est ce libertarianisme que j’appelais aussi un néo-féodalisme ou une néo-féodalité – je ne suis pas le seul à l’appeler comme ça – mettre en place une aristocratie de l’argent qui nous expliquera que, comme vous le savez, l’argent qu’on reçoit, ça reflète le talent qu’on a, ou éventuellement, le risque qu’on a pris.

Voilà : ça comporte du risque ! Et comme je l’ai montré récemment quelque part, en fait, je crois que c’est dans le bouquin sur Keynes, Penser tout haut l’économie avec Keynes, en fait les gens qui gagnent de l’argent, ce sont ceux qui, au contraire, sont parvenus à se débarrasser de tout risque sur les autres. Voilà : « debunking », on appelle ça en anglais : démystifier les slogans qui circulent. Si le talent était récompensé par l’argent, Monsieur Trump ne se trouverait pas là où il est, Monsieur Einstein aurait possédé un million de maisons avenue Monceau (rire), Marceau ! Oui, Monceau c’est un autre quartier de Paris. [Bon, je suis un peu fatigué, mais ça ne fait rien, on continue ! ]

Alors, Monsieur Piketty ! Monsieur Piketty qui nous dit qu’entre Madame Le Pen et Monsieur Juppé, il faudrait choisir Monsieur Juppé, eh bien, Monsieur Piketty, Monsieur Juppé ne sera pas là : le choix ce sera entre fascisme en col blanc et fascisme en col bleu. Sauf, si quelqu’un émergeait à gauche qui puisse rassembler. Mais le temps passe, je crois que la limite c’est le 14, et on est le 9. Monsieur Piketty votre stratégie Juppé contre Le Pen n’a pas marché, alors réfléchissez-y. Réfléchissez-y, je vous l’ai déjà dit : vous n’êtes pas très connu en France, mais ça n’a aucune importance : si vous disiez que vous annoncez que la France a un sursaut et que vous présentez votre candidature, et que cela fait partie de ce sursaut, eh bien cela se trouverait à la première page des journaux partout dans le monde. Et même la presse française serait obligée de le noter en disant : « Tiens, c’est curieux, pourquoi la presse internationale parle de la candidature Piketty comme d’un sursaut de la France ? » Eh bien, parce qu’il y aurait une chance très sérieuse, d’avoir un candidat véritablement de gauche, qui sait parler, qui sait réfléchir, et qui puisse l’emporter au second tour.

Alors, je sais ce qu’on me dit et je vais le dire tout haut parce que c’est une chose qu’on me dit tout bas mais ça se trouve sur Wikipédia : Monsieur Piketty, vous avez été impliqué dans un incident de violences conjugales. Alors, on connaît votre épouse à l’époque, on vous connaît vous, et ça me fait penser que si l’un et l’autre vous expliquiez très clairement ce qui s’est passé, je n’ai pas l’impression qu’il y aurait de quoi fouetter un chat. Je peux me tromper. Je peux me tromper. Si c’est cela qui vous retient de présenter votre candidature, racontez, expliquez ce qui s’est passé, qui était sans doute le résultat d’un énervement passager, bien compréhensible dans les pressions qui sont celles de la vie quotidienne.

S’il s’agit d’un incident sérieux bien entendu, je n’ai pas de mots trop durs pour ce genre de choses. J’ai une petite formation en psychanalyse me faisant penser que dans ces incidents là, « it takes two to tango » : l’autre personne n’est pas entièrement irresponsable de ce qui est en train de se passer, ne serait-ce que dans des choix initiaux qui ont été faits… La violence conjugale, c’est quelque chose qui est condamnable. Mais s’il s’agit d’un petit incident et si c’est cela qui vous empêche de poser votre candidature, parlez-en clairement et qu’on passe là-dessus : on parle maintenant, je dirais, du destin de la France, peut-être de l’Europe, ce sont des choses quand même beaucoup plus sérieuses. 

Alors, voilà, il faut qu’il y ait un candidat qui ne représente pas un fascisme d’une couleur quelconque, au deuxième tour, en France. Il faut faire tout ce qui est possible pour que cela soit possible. Y compris ce que vous réclamez de votre côté, c’est-à-dire que Monsieur Macron participe à ça, encore que je ne voie pas trop pourquoi on considérerait qu’il s’agit d’une personne de gauche, mais enfin passons. Et il faut que Monsieur Mélenchon joue le jeu d’une candidature unique à gauche, lui aussi. Mais présentez-vous Monsieur Piketty, s’il vous plaît ! Malheureusement, si de très mauvaises décisions sont prises, comme les Américains, d’élire un fou furieux, simplement parce qu’on est contre, parce qu’on en a marre de la façon dont les « élites entre guillemets », les « gens chics », s’occupent de nos affaires, il ne faut pas que l’on se retrouve dans la situation où tous les gens raisonnables resteront à la maison le jour de la présidentielle française parce que le choix sera simplement entre la peste et le choléra. Il ne faut pas que ce soit le cas !

Voilà ! Bon, il ne reste pas beaucoup de jours ! S’il ne se dégage pas une candidature à gauche – ce n’est pas une menace, tout le monde s’en fout ! – mais je ne parlerai plus moi de cette histoire : ce sera plié ! Le choix n’en sera pas un et la France s’enfoncera dans des années assez noires : noires dans un cadre encore plus ou moins démocratique, si c’est Monsieur Fillon, noires dans un cadre qui ne sera plus démocratique mais qui se souciera peut-être un peu davantage des gens normaux. Il faut bien le dire : il est dommage que ce soit l’extrême-droite qui récolte le sentiment de générosité de certaines personnes qui les attachent encore à vouloir que l’État-Providence survive. Il est dommage que ce soit à l’extrême-droite que ce seul espoir semble encore localisé, sauf si dans les cinq jours qui restent, un sursaut se manifeste du côté de la gauche française. 

J’y ai fait allusion dans le compte rendu que je viens d’écrire du livre d’Aude Lancelin : les gauches dans les pays occidentaux ont été partagées depuis 1917 entre les gens qui ont pensé qu’il y avait un espoir et que peut-être, cet espoir se réalisait en Union Soviétique, et dans les pays qui adoptaient ce genre de régime. Et puis les gens de gauche qui considéraient qu’on se fourvoyait là et, si je reprends l’opinion de Monsieur John Maynard Keynes, à ce sujet là, que malheureusement l’expérience de l’Union Soviétique allait plomber les idées de gauche pendant – je ne sais plus s’il disait deux siècles, mais voilà, quelque chose de cet ordre là. Malheureusement c’est notre calvaire, en ce moment. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas se réveiller, mais l’échéance approche.

Tout ça n’est pas réjouissant : tout ça accélère [la venue du] bout du tunnel. On me posait la question, l’autre jour : « Est-ce que vous voulez vraiment dire qu’il y aura zéro être humain ? » Je m’en fiche, si c’est pour avoir une humanité du type de celle qu’on voit dans le roman et dans le film La route, c’est-à-dire de quelques êtres humains encore décents essayant d’échapper aux zombies qui se nourrissent de chair humaine parce qu’il n’y a plus rien d’autre, eh bien moi je considérerais quand même que c’est plié (rire), en toute modestie, même si on peut encore compter sur les doigts d’une main des êtres appartenant au genre humain, à l’espèce homo sapiens.

Voilà, tout ça n’est pas réjouissant, comme d’habitude j’espère un sursaut. Mais ce n’est pas qu’il faille faire vite : il faut faire très, très, très, très vite, ce n’est plus les minutes qui comptent, ce sont les secondes qui comptent. 

À la semaine prochaine.

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