Le colloque Walter Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », par Serge Audier (XI), La nébuleuse hétérogène du Colloque Lippmann

Le colloque Walter Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », préface de Serge Audier – Penser le « néo-libéralisme », éditions Le bord de l’eau, 2012. Madeleine Théodore nous propose un résumé en plusieurs parties de cette réflexion essentielle. Ouvert aux commentaires.

Plutôt que de rabattre tous les penseurs sur une histoire longue qui mènerait tout droit à Thatcher ou Reagan, ou vers l’Europe néo-libérale, il est préférable de lire les textes attentivement et prendre sérieusement en compte le contexte historique et discursif. Louis Rougier devait inciter à aller dans ce sens, disant que le déclencheur de l’organisation du Colloque était sa propre réaction hostile au Front populaire. Le Colloque rassemblait une liste hétéroclite de libéraux hantés par le communisme et le fascisme. Si Rougier et la librairie de Médicis étaient hostiles au Front populaire, ce n’était pas le cas de tous les participants au Colloque, loin de là.

Rougier était obsédé par le totalitarisme soviétique et son plan quinquennal ainsi que par la poussée électorale du Parti communiste en France et son alliance avec les partis démocratiques. Il évoque la nécessité de mener une bataille doctrinale et il suggère que la Maison Rivière, éditrice de Proudhon et de Sorel, pourrait convenir à cet effet.

Au niveau du libéralisme antifasciste italien, Rougier invite cinq Italiens : le grand défi, c’est en effet, avec le communisme, le fascisme.

La doctrine corporatiste du fascisme s’appuie sur un anti-libéralisme déclaré, surtout chez les grands philosophes comme Ugo Spirito. Les invités de Rougier sont des libéraux déclarés, et non des socialistes.

Francesco Fausto Nitti était le seul grand homme d’État invité au Colloque. Il n’était pas un intégriste du marché ni un anti-keynésien et il est resté plus proche de celui-ci que de von Mises ou von Hayek. Ce libéral fréquentait de longue date le grand leader socialiste belge Émile Vandervelde et était convaincu que les échecs historiques du capitalisme et la misère populaire avaient été les foyers de la réaction anti-démocratique. D’autres Italiens étaient plus libéraux, comme l’économiste Umberto Ricci, ou encore Constantino Bresciani-Turroni et Luigi Einaudi qui sera président de la république italienne de 1948 à 1955. Bresciani-Turroni a construit sa pensée économique notamment en méditant l’exemple catastrophique de l’inflation allemande. Il souligne la différence entre l’école des optimistes qui fit de la science économique un système d’ultra-libéralisme, stipulant que « quand on observe un défaut d’harmonie dans le monde, il ne peut que correspondre à un défaut de liberté » et la nouvelle façon de concevoir le libéralisme, soutenant une ample législation sociale comprenant, entre autres, l’ensemble du sytème de « protection de la classe ouvrière » – assurance obligatoire contre les infortunes, les maladies, le chômage.

Deux autres invités prestigieux au colloque Limmpann, dont les noms étaient souvent associés, ne sont pas venus : José Ortega y Gasset, et Johan Huizinga. Dans son livre « Incertitudes – Essai de diagnostic du mal dont souffre notre temps », préfacé par Gabriel Marcel, Huizinga établit une critique culturelle de la crise de l’Europe. Son livre publié par les éditions Einaudi, foyer de résistance à Mussolini, contient des développements importants sur les ravages de la doctrine vitaliste nietzschéenne de la « volonté de puissance, sur le primat de l’être sur la connaissance, sur les divinités suprêmes que seraient la mécanisation et l’organisation ». Son propos croisait en partie celui de Ortega y Gasset, dont la conviction centrale est que « la liberté et le pluralisme sont deux choses réciproques et constituent toutes deux l’essence de l’Europe ». En outre, il avait fait traduire en espagnol la « Théorie générale… », ainsi que d’autres textes de Keynes. Il n’était pas lui non plus un apôtre du libre marché.

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